Deuxième séance de la Commune.
Cette seconde séance du Conseil a débuté par une excellente
décision.
Tous les actes publics ne porteront d’autre signature que
celle-ci: « La Commune ».
Nous devons, en effet, être tous solidaires des décisions délibérées
en commun.
Malheureusement on a pris une autre résolution qui détruit
en partie la valeur morale de la première ; c’est de ne publier
aucun compte rendu de nos séances.
Nous nous replaçons ainsi sur le plan des gouvernements
qui nous ont précédés.
Nous décidons et le peuple obéit.
Nous nous transformons en pouvoir dictatorial. Nous retirons
à nos électeurs tout moyen de contrôle ; le pourquoi de
nos décisions ne leur sera pas donné.
On a invoqué à l’appui de cette mesure la crainte de voir se
produire des influences personnelles et aussi celle de donner
à nos ennemis le spectacle de nos divisions.
Ce sont là des raisons médiocres à mon avis.
S’il y a parmi nous des ambitieux de popularité, ce n’est
pas parce qu’on ne reproduira pas leurs « discours » qu’on les
empêchera d’intriguer. Et puis il ne s’agira pas, il faut bien
l’espérer, de faire des discours, mais de donner des raisons,
c’est-à-dire de porter un jugement rapide et motivé sur les
mesures proposées.
Quant à la crainte « de donner à nos ennemis le spectacle de
nos divisions », c’est là un vieux cliché qu’il serait bien temps de mettre au rebut.
On peut être divisé sur les moyens de faire triompher la
révolution actuelle : l’important est qu’on soit d’accord sur le
but à atteindre et qu’il y ait unité d’action quant à l’exécution
des mesures acceptées.
Mais il serait puéril de supposer que ces mesures seront
adoptées sans qu’il y ait de discussions sur leur valeur réelle,
et, alors, quel danger y a-t-il à les faire connaître ? – à l’exception
bien entendu de tout ce qui concerne les questions
purement militaires.
Les citoyens dont nous sommes seulement les mandataires
ont le droit absolu de connaître les motifs de nos déterminations.
Le leur retirer, c’est méconnaître dans son essence
même le caractère original de cette révolution populaire.
Certainement le Conseil reviendra sur cette résolution
regrettable1.
Une autre question de plus grande importance nous a
sérieusement préoccupés mais sans que nous ayons su y donner
de solution satisfaisante.
Il s’agissait de l’existence du Comité central.
Dans la séance d’hier, en effet, les délégués du Comité nous
ont déclaré que, tout en s’effaçant devant le pouvoir communal,
il n’entendait point disparaître.
Plusieurs de nous étaient d’avis au contraire qu’il y avait
lieu de le déclarer dissous.
A ne s’en rapporter qu’aux précédents, cette façon de
voir est strictement conforme à la tradition historique et
gouvernementale.
Or, dans l’esprit de ses électeurs, le Conseil communal est
certes plutôt un comité exécutif, un gouvernement, qu’une
assemblée délibérante.
Mais les conditions dans lesquelles nous sommes placés
n’ont rien de commun avec nos précédentes révolutions,
imprégnées de parlementarisme.
La fiction d’un pouvoir provisoire, transmis à un pouvoir
légal et définitif, seul dépositaire de la puissance souveraine,
ne peut être sérieusement invoquée par nous.
Le Comité central, élu par les citoyens armés pour la
défense de la République contre l’invasion étrangère et aussi
contre les menées monarchistes des ruraux de Bordeaux –
aujourd’hui Versaillais -, ne peut être dissous que par ceux-là
mêmes qui l’ont nommé.
Si la Commune proclamait sa dissolution sans l’assentiment
des bataillons au sein desquels le Comité central a pris naissance,
elle retomberait dans les errements du pouvoir contre
lequel précisément a été fait le 18 mars.
D’autre part, il est non moins impossible au Conseil communal
d’accepter la responsabilité de mesures auxquelles il
peut être étranger.
Le seul moyen de sortir de ce dilemme embarrassant, c’eût
été de transformer le Comité en agent du Conseil communal et
de le charger de surveiller l’exécution des mesures militaires
sur l’adoption desquelles il serait préalablement consulté.
Cette décision, respectant son origine élective, pouvait parfaitement
être imposée au Comité central. En cas de refus
on avait la ressource de poser la question directement aux
bataillons de fédérés, afin de la vider définitivement.
Il semble hors de doute que ceux-ci eussent alors décidé la
suppression du Comité pour éviter tout conflit ultérieur entre
la Commune et lui.
On s’est contenté d’ajourner cette question, ce qui ne fera,
je le crains, qu’augmenter les prétentions du Comité, qui se
considère certainement comme ayant le droit d’agir en dehors
de tout concert préalable avec le Conseil communal et peut-être
même, contre les résolutions de celui-ci.
C’est là un sérieux danger dans la lutte qui ne peut tarder
entre nous et le gouvernement versaillais.
La séance s’est terminée par l’élection d’un président des
séances pour un mois.
Grâce aux intrigues de Vallès, c’est à moi qu’est échu cet
honneur. J’espère bien qu’on supprimera cette fonction, la
direction de nos débats n’étant qu’affaire d’ordre et pouvant
fort bien être exercée à tour de rôle par chacun de nous2.
Gustave Lefrançais, Souvenirs d’un révolutionnaire, De juin 1848 à la Commune
1 Quelques jours après, en effet, des comptes rendus absolument fantaisistes ayant été publiés dans certains journaux auxquels le citoyen Régère fournissait des renseignements, le Conseil décida qu’à l’avenir L’Officiel de la Commune publierait la sténographie de ses séances.Le citoyen Loiseau-Pinson me recommanda un sténographe qui fut accepté: il se nommait Thomson. Il est aujourd’hui député d’Algérie. (N. de l’A.)
2 Cette présidence ne dura que dix jours en effet. Le président fut depuis nommé à chaque séance de façon à ce que tour à tour les membres du conseil y fussent appelés. (N. de l’A.)