Retour de Vermorel.
Vermorel aussi a été élu à Montmartre, bien qu’absent, par
13 400 suffrages. Cela prouve que les révolutionnaires n’ont
tenu aucun compte des calomnies dont les prétendus républicains
du Siècle et de L’Avenir national l’ont abreuvé.
Mais, pensais-je à part moi, ce sera un siège vide. Vermorel
est parti depuis huit jours chez sa mère, aux environs de Lyon.
Du diable s’il reviendra dans la fournaise, alors que nul ne
peut vraiment l’accuser d’avoir en quoi que ce soit contribué
à l’allumer.
Il est sous ce rapport dans une indépendance morale absolue
et peut, sans crainte, décliner le mandat dont on l’a investi
sans même le consulter.
Quelle n’est pas ma surprise de le rencontrer, le lendemain,
en montant l’escalier qui conduit à la salle du Conseil.
– Vous ici ?
– Sans doute. Je regrette seulement de n’être pas arrivé
pour la première séance. Mais j’ai dû, pour revenir, lancer sur
une fausse piste des agents qui me filaient depuis Lyon.
Cela m’a causé un retard de près de dix heures.
– Comment vous êtes-vous décidé à venir ainsi vous jeter
dans la bagarre ?
– Où nous resterons probablement tous, je le sais. Mais
qu’importe ?… J’ai réfléchi tout un jour, ayant appris mon
élection dès lundi, sur ce que j’allais faire. Pas plus que
vous et bien d’autres, je suppose, je ne crois au succès de l’entreprise dans les terribles complications où elle va se
trouver engagée. Mais il serait vraiment trop facile de s’abriter
derrière ce pessimisme pour demeurer les bras croisés
en ce moment. Le problème est posé dans de mauvaises
conditions, c’est vrai ; mais il n’en faut pas moins tenter de
le résoudre. Telle est la réponse que je me suis faite… et
me voilà.
C’est bien là l’homme que m’ont fait connaître nos longues
conversations à la Conciergerie. Je lui serre la main pour
toute réponse. Son entrée produit un certain étonnement.
Personne ne s’attendait certainement à le voir venir prendre
possession de son siège à la Commune.
Quelle différence entre un Tirard et cet homme acceptant,
après mûre réflexion, les conséquences – terribles peut-être
– d’un mandat qu’il n’a pas sollicité, ni même désiré !1
Gustave Lefrançais, Souvenirs d’un révolutionnaire, De juin 1848 à la Commune
1Après presqu’un mois d’agonie, faute de soins, Vermorel mourra de ses blessures à Versailles le 20 juin 1871, veille de son trentième anniversaire.