Chef de secteur suspect.

Le secteur de la Muette est commandé par un certain Laporte qui ne m’inspire pas la moindre confiance.
Sa jactance, son attitude servile devant le « citoyen membre de la Commune », comme il m’appelle, me sont des plus suspectes. Il produit, du reste le même effet sur tous ceux qui l’approchent.
Le commandant Bénot, chef de bataillon des « Enfants perdus de La Villette », ne peut pas le souffrir.
Singulier type que le commandant Bénot.
Enfant naturel abandonné, il a été élevé aux Enfants trouvés. Depuis sa sortie de l’hospice, il a constamment mené l’existence la plus vagabonde et la plus pénible. Tour à tour homme de peine, garçon d’abattoir, charretier, il a naturellement les mœurs rudes que comportent ces sortes de métiers. Mais il est resté honnête et plein de cœur. D’un sens droit, il a certainement flairé la trahison chez le colonel Laporte.
Ils ont entre eux de fréquentes altercations dans lesquelles le Gascon vantard ne brille ni par l’esprit de riposte, ni surtout par une réelle dignité. On dirait que celui-ci a peur que Bénot ne découvre quelque jour je ne sais quelle vilaine histoire sur son compte.
J’ignore pour quel motif Tridon1, ordinairement si circonspect, s’est engoué de cet homme qu’il s’obstine à protéger, en m’assurant que le colonel est un très honnête homme.

Gustave Lefrançais, Souvenirs d’un révolutionnaire, De juin 1848 à la Commune

1 Gustave Tridon (1841-1871): avocat, journaliste, blanquiste, membre de la Commune.