Explications de Rossel.
Rossel vient de s’expliquer devant le Conseil sur la façon dont
il conçoit son rôle de délégué à la Guerre et ses relations avec
la Commune.
Ces explications, empreintes d’une grande sincérité et données
simplement, ont produit une excellente impression. Mais
pas plus que Cluseret il ne nous a paru, à Vermorel et à moi,
que Rossel puisse être le chef militaire dont nous aurions
besoin.
Lui aussi semble croire qu’il lui faut surtout un outil qui ne
raisonne pas et se contente d’agir sans comprendre.1
Or c’est justement cette nécessité de comprendre qui, seule,
peut donner à une armée révolutionnaire des chances de victoire.
Que ce soit là une difficulté grave à surmonter c’est indiscutable.
Mais il faut pourtant que ceux qui acceptent la situation
sachent qu’ils doivent absolument compter sur les nécessités
qu’elle comporte.
Il leur faut apprendre à diriger cette force pensante et
non s’obstiner à l’assujettir à des formes dont elle est, au
contraire, la négation.
Patriote ardent et convaincu, Rossel ferait un excellent chef
de corps en temps de guerre ordinaire pour la défense du sol
national.
Mais, absolument étranger à la cause pour laquelle nous
luttons – il nous l’a franchement confessé2 -, comment pourra
s’établir entre ses troupes et lui cette communion d’idée indispensable
au succès ?
Notre nouveau délégué à la Guerre, trop imbu lui aussi de
ses préjugés hiérarchiques, ne pourra que succomber comme
Cluseret à la tâche qu’il a pourtant loyalement acceptée.
Plus cassant, moins bon enfant que son prédécesseur, plus
actif surtout, il se brisera plus rapidement encore contre
l’obstacle. Voilà tout.3
Gustave Lefrançais, Souvenirs d’un révolutionnaire, De juin 1848 à la Commune
1 Très marqué par son milieu bourgeois, protestant et militaire, Rossel reste avant tout un officier, exaspéré par l’armistice franco-allemand, puis reprochant à la Commune sa désorganisation militaire et ses lenteurs délibératives.
2 Rossel déclara à la Commune: “Je ne vous dirai pas que j’ai profondément étudié les réformes sociales; mais pendant la dernière guerre j’ai bien été forcé de voir qu’un ordre social inique agonisait […] En haine de ceux qui ont livré la patrie, en haine du vieil ordre social, je suis venu me ranger sous le drapeau des ouvriers de Paris. J’ignore ce que sera l’ordre nouveau du socialisme. Je l’aime de confiance.”
3 Quelques jours plus tard, dans sa lettre publique de démission adressée à la Commune, Rossel écrira: “Je ne briserai pas l’obstacle; car l’obstacle, c’est vous et votre faiblesse: je ne veux pas attenter à la souveraineté publique.”