Menaces du père Duchêne.
Les adversaires de la Commune mènent grand tapage autour
de cette déclaration dans laquelle ils croient voir déjà la mort
de la Révolution.
Ces messieurs ont vraiment la joie facile.
De quoi s’agit-il donc en effet?
Une fraction du Conseil – un tiers environ – dit aux deux
autres tiers :
« Vous pensez avoir seuls raison dans votre conception de la
Commune et dans les moyens de la faire triompher.
Cette confiance en vous-même est telle que vous ne prenez
plus la peine de nous soumettre vos projets – ne fût-ce que
pour la forme – et vous les arrêtez d’avance dans des réunions
extra-officielles. Eh bien ! soit. Nous nous le tenons pour dit.
Nous ne paraîtrons plus à aucune séance du Conseil, où notre
présence n’aurait plus qu’un caractère blessant, pour notre
dignité, en même temps qu’elle nous ferait perdre à tous un
temps qui doit être à mieux employé.
Désormais, sans les discuter inutilement, nous nous appliquerons
à faire exécuter les mesures que le Comité de salut
public aura prises. Seulement, nous avertissons nos électeurs
de ce nouvel état de choses pour qu’ils soient édifiés.
Mais sur le terrain de la défense des principes mêmes de la
Révolution, nous n’en restons pas moins prêts, comme par le
passé, à en courir tous les risques et toutes les responsabilités
des moyens qui seront employés. »
Notre déclaration ne dit rien de plus ni rien de moins.
Que les réactionnaires cependant feignent d’y voir autre
chose, ils sont après tout dans leur rôle en essayant de présenter
aux naïfs notre déclaration sous un autre jour.
Mais ce qui s’explique moins, ce sont les attaques furieuses
dont nous sommes l’objet de la part des journaux partisans
de la majorité.1
Il est vraiment incroyable qu’on s’exaspère à ce point contre
des gens qui, ayant suffisamment constaté qu’on n’entend
plus tenir désormais le moindre compte de leurs observations, prennent la résolution de n’en plus présenter et de se contenter
de concourir simplement à la défense commune.
Un des organes de la majorité surtout dépasse tellement
toute mesure à ce propos qu’il en tombe dans le plus complet
ridicule.
Le Père Duchêne2 dont Vermersch3 est le rédacteur en chef
et qui, sous prétexte de rendre fidèlement le «langage du
Peuple», émaillé à profusion sa littérature de «foutre»,
de «bougre» et de «nom de Dieu», demande, dans son
numéro 63 du 28 floréal an 79 (vulgo 17 mai 1871), la «mise
en accusation des Jeanfoutres qui foutent le camp de la
Commune».
Le rédacteur de l’article y déclare gravement – ah ! nom
de Dieu ! – que tous les signataires du manifeste sont une
«collection de Jeanfoutres, d’ignobles lâches, des misérables
qui n’ont demandé qu’à se goberger dans leurs fauteuils à
l’Hôtel de Ville, tant qu’il n’y avait pas de danger et d’en tirer
profit ! Qui se foutent de la cité comme de l’an quarante, qui
veulent foutre leur camp et tirer leur épingle du jeu… sans
rien dire. Des déserteurs devant l’ennemi, ne demandant qu’à
vivre comme des bons bourgeois. Enfin, nom de Dieu ! qui ne
méritent que le peloton d’exécution.»
Et le bouffon de la chose, c’est que ce pourfendeur de la
minorité – «un tas de lâches» -, invité à venir faire un petit
tour de remparts du côté où il pleut des bombes, se garde bien
de se rendre à cette gracieuse invitation !
Dame ! nom de Dieu ! Bougre de bougre ! Que deviendrait
la Révolution s’il lui arrivait malheur ! Mille millions de
fourneaux !
Gustave Lefrançais, Souvenirs d’un révolutionnaire, De juin 1848 à la Commune
1 De la presse comme arme d’écrasement des révolutionnaires les plus authentiques… Dans la même veine, lors de la guerre d’Espagne, les journaux républicano-staliniens qualifieront le prolétariat révolutionnaire le plus intransigeant de “cinquième colonne” de Franco…
2 “… tous les grands faits et les grands personnages de l’histoire universelle adviennent pour ainsi dire deux fois […]: la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce…” (Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte).
Le (tragique) Père Duchesne (y être signalé comme ennemi de la République se soldait souvent par une fin à la guillotine) fut, sous la Révolution française, le journal des hébertistes, dont le principal rédacteur était Jacques Hébert lui-même.
Reprenant son style grossier et racoleur, Le (bouffon) Père Duchêne parut durant les périodes révolutionnaires du XIXe siècle, notamment pendant la révolution de 1848 et la Commune de Paris de 1871.
3 Eugène Vermersch (1845-1878): pamphlétaire et polémiste socialiste ; communard ; fondateur du Père Duchêne en 1871 avec Maxime Vuillaume et Alphonse Humbert ; après la Semaine sanglante, il se réfugiera à Londres, et sera condamné par contumace à la peine de mort.