Émissaires versaillais.

Grâce à la confusion qui s’est établie dans beaucoup d’esprits entre le titre de « président des séances du Conseil » et celui de « président de la Commune », et malgré l’avis que j’ai fait insérer à ce propos dans l’Officiel le lendemain même de mon élection, je suis assailli de lettres dans lesquelles on me demande ma « protection » pour obtenir des fonctions publiques – quelconques… pourvu qu’on puisse émarger. Le reste n’a point d’importance.
D’autres lettres contiennent des offres de services… pour monter la cave du « citoyen Président », pour lui fournir des provisions de bouche et encore une foule d’autres choses.
Si j’avais le temps, ça m’amuserait peut-être. Mais en ce moment cela me dégoûte… Au panier toutes ces platitudes !
Il est aussi de bonnes gens qui me demandent « audience » pour m’entretenir de leurs projets financiers, d’inventions d’armes nouvelles, ou de marchés relatifs aux fournitures dont les fédérés vont avoir besoin.
Je renvoie ces solliciteurs aux diverses commissions ayant à s’occuper de ces questions.
Dans ce défilé de gens d’affaires figure un grand nombre de femmes, ce qui me fait croire que Versailles pourrait bien être pour quelque chose dans les démarches de ces solliciteuses.
Ils sont peut-être curieux là-bas de savoir comment nous allons nous tirer des embarras qu’on a voulu nous créer en désorganisant tous les services.
Ils pourront se convaincre, en ce cas, que ce « ramassis d’ignorants et de gens sans aveu » s’est mis très vite au courant des affaires.
Varlin, un relieur ; Jourde, un simple comptable, ont su parfaitement reconstituer le service des finances.
La Monnaie, sous la direction du monteur en bronze Camélinat, va de nouveau battre pour la Commune et dans des conditions plus économiques, grâce à une découverte du nouveau directeur, relative à l’alliage qui s’opérera d’une manière plus rigoureusement scientifique.
Theisz, un ciseleur en bronze – comme son ex-ami Tolain, le transfuge -, aidé du citoyen Massen, un professeur, et grâce surtout au zèle des facteurs dont quelques-uns seulement ont déserté avec leur directeur Rampont, font très bien marcher le service postal pour Paris.
Si les relations de Paris avec la province sont interrompues de nouveau, on doit s’en prendre à Thiers qui n’a pas craint de les suspendre, malgré les offres que nous lui avions fait transmettre par les délégués du commerce parisien, de neutraliser ce service public.
Ces offres sont celles-ci :
La direction générale des postes et télégraphes se composerait de trois délégués, l’un nommé par la Commune, le second par Versailles et le troisième par les commerçants et les industriels de Paris, de façon que les droits budgétaires de l’État et ceux de la Commune fussent sauvegardés. Le délégué du commerce et de l’industrie parisienne remplirait dans ce cas le rôle de contrôleur et aussi d’arbitre en cas de conflit.
Thiers a nettement refusé.
Une des hontes de la bourgeoisie républicaine ou prétendue telle sera d’avoir accepté, en haine des travailleurs, d’être gouvernée par cette cervelle étroite que la verve d’Henri Monnier a si bien esquissée dans son type immortel de « Joseph Prudhomme1 ».

Gustave Lefrançais, Souvenirs d’un révolutionnaire, De juin 1848 à la Commune

1Personnage caricatural du bourgeois français du XIXe siècle, dont Balzac disait qu’il était “l’illustre type des bourgeois de Paris”.