Le Capital, livre III, Troisième section: Conclusions, Les contradictions internes de la loi (Baisse tendancielle du taux de profit)
Ce qui se révèle ici c’est la limite de la production capitaliste, sa relativité: elle n’est pas un mode de production absolu, mais un système historique qui correspond à une époque déterminée et restreinte du développement des conditions matérielles de la production.
“C’est, de toutes les lois [la baisse tendentielle du taux de profit] de l’économie politique moderne, la plus importante qui soit.”
K. Marx – Grundrisse
“[elle] a une importance capitale pour la production capitaliste, au point que l’on peut dire qu’elle est le problème dont la solution a occupé toute l’économie politique depuis Ad. Smith et qui a servi de base à la ligne de démarcation entre les différentes écoles.” K. Marx – Capital – Livre III
La baisse du taux de profit et l’accumulation accélérée ne sont que des expressions différentes du même processus : elles expriment toutes deux le développement de la productivité du travail. De son côté, l’accumulation accélère la baisse du taux de profit, dans la mesure où elle implique la concentration du travail sur une grande échelle et par suite, une composition supérieure du capital. D’autre part, la baisse du taux de profit accélère également la concentration du capital et sa centralisation par l’expropriation des petits capitalistes, du dernier des producteurs chez qui il y a encore quelque chose à exproprier. Ainsi, l’accumulation se trouve accélérée, quant à la masse, bien que le taux d’accumulation baisse avec le taux de profit.
En outre, dans la mesure où le taux d’expansion du capital total, le taux de profit, est le moteur de la production capitaliste (comme la mise en valeur du capital en est le but unique), sa baisse ralentit la formation de nouveaux capitaux indépendants et apparaît ainsi comme une menace pour le développement du processus de production capitaliste. Elle favorise la surproduction, la spéculation, les crises, le capital excédentaire à côté de la population excédentaire. Les économistes qui, à l’exemple de Ricardo, considèrent le mode de production capitaliste. comme un absolu, ont alors la sensation que ce mode de production se crée lui-même une barrière, et ils en rendent responsables non pas la production, mais la nature (dans leur théorie de la rente). L’important, dans l’horreur qu’ils éprouvent devant le taux de profit décroissant, c’est qu’ils s’aperçoivent que le mode de production capitaliste rencontre, dans le développement des forces productives, une limite qui n’a rien à voir avec la production de la richesse comme telle. Et cette limite particulière démontre le caractère étroit simplement historique et transitoire, du mode de production capitaliste; elle démontre que ce n’est pas un mode de production absolu pour la production de la richesse, mais qu’à un certain stade il entre en conflit avec son développement ultérieur (1).
L’existence des moyens de production nécessaires – c’est-à-dire une accumulation suffisante de capital- étant assurée, la création de plus-value n’a d’autre limite que la population ouvrière, si le taux de la plus-value, donc le degré d’exploitation du travail, donné; elle n’a d’autre limite que le degré d’exploitation du travail si la population ouvrière est donnée. Et le processus de production capitaliste consiste essentiellement dans la production de la plus-value, représentée dans le surproduit, ou la partie aliquote des marchandises produites, où est matérialisé du travail non payé il ne faut jamais oublier que la production de cette plus-value – et la reconversion d’une partie de cette plus-value en capital ou accumulation, fait partie intégrante de cette production de la plus-value – est le but immédiat et le mobile déterminant de la production capitaliste. Il ne faut donc jamais présenter celle-ci comme quelque chose qu’elle n’est pas, c’est-à-dire une production ayant pour fin immédiate la jouissance ou la création de moyens de jouissance pour le capitaliste. Sans quoi, on ignore tout de son caractère spécifique tel qu’il se révèle dans toute son essence profonde.
La création de cette plus-value constitue le processus de production immédiat qui, comme nous l’avons dit, n’a d’autres limites que celles que nous venons d’indiquer. Dès que toute la quantité de surtravail que l’on peut extorquer est matérialisée en marchandises, la plus-value est produite. Mais cette production de plus-value n’achève que le premier acte du processus de production capitaliste, le processus immédiat. Le capital a absorbé une quantité déterminée de travail non payé. A mesure que le processus se développe, qui s’exprime dans la baisse du taux de profit, la masse de plus-value ainsi produite s’accroît immensément. Vient alors le second acte du processus. Il faut que toute la masse des marchandises, le produit total, aussi bien la partie qui représente le capital constant et le capital variable que celle qui représente la plus-value, se vende. Si la vente ne s’opère pas ou bien qu’elle ne s’opère que partiellement ou a des prix inférieurs aux prix de production, il y a bien eu exploitation de l’ouvrier, mais elle n’est pas réalisée comme telle pour le capitaliste : elle peut même aller de pair avec l’impossibilité totale ou partielle de réaliser la plus-value extorquée, voire s’accompagner de la perte totale ou partielle du capital. Les conditions de l’exploitation directe et celles de sa réalisation ne sont pas les mêmes ; elles diffèrent non seulement de temps et de lieu, mais même de nature. Les unes n’ont d’autre limite que les forces productives de la société, les autres la proportionnalité des différentes branches de production et le pouvoir de consommation de la société . Mais celui-ci n’est déterminé ni par la force productive absolue ni par le pouvoir de consommation absolu ; il l’est par le pouvoir de consommation, qui a pour base des conditions de répartition antagoniques qui réduisent la consommation de la grande masse de la société à un minimum variable dans des limites plus ou moins étroites. Il est, en outre, restreint par le désir d’accumuler, la tendance à augmenter le capital et à produire de la plus-value sur une échelle plus étendue. C’est une loi de la production capitaliste qu’impose le bouleversement continuel des méthodes de production, par la dépréciation concomitante du capital existant, la concurrence générale et la nécessité d’améliorer la production et d’en étendre l’échelle, ne fût-ce que pour la maintenir, et sous peine de courir à la ruine. Il faut par conséquent, constamment élargir le marché, si bien que ses interrelations et les conditions qui les règlent prennent de plus en plus la forme d’une loi naturelle indépendante des producteurs et deviennent de plus en plus incontrôlables. Cette contradiction interne, tend à être compensée par l’extension du champ extérieur de la production. Mais, plus les forces productives se développent, plus elle entrent en conflit avec les fondements étroits sur lesquels reposent les rapports de consommation.. Il n’est nullement contradictoire, sur cette basse remplie de contradictions, qu’un excès de capital soit lié à un excès croissant de population. Bien que la combinaison des deux puisse accroître la masse de la plus-value produite, la contradiction entre les conditions où cette plus-value est produite et les conditions ou elle est réalisée s’en trouverait accrue.
Si comme nous l’avons montré, une baisse du taux de profit coïncide avec un accroissement de la masse du profit, une partie plus grande du produit annuel du travail est accaparée par le capitaliste sous la catégorie du capital (en remplacement du capital consommé) et une autre, relativement plus faible, sous la catégorie du profit (2).
Nous savons d’ailleurs que, même à un faible taux, la masse du profit augmente avec la croissance du capital investi. Toutefois, cela nécessite en même temps la concentration du capital, étant donné que les conditions de la production exigent maintenant l’emploi massif de capitaux. Cela conditionne en outre la centralisation, c’est-à-dire l’absorption des petits capitalistes par les grands et leur dépossession. C’est une fois de plus, mais à la seconde puissance, la séparation des conditions de travail d’avec les producteurs dont font encore partie ces petits capitalistes, parce que chez eux leur propre travail joue encore un rôle ; d’une façon générale, le travail du capitaliste est en raison inverse de la grandeur de son capital : plus il est capitaliste, moins il travaille.
Ce processus ne tarderait pas à entraîner l’effondrement de la production capitaliste si des tendances contraires n’agissaient pas continuellement pour produire un effet décentralisateur parallèlement à la force centripète (3).
Le développement de la productivité sociale du travail se manifeste doublement: I° dans l’ampleur les forces productives déjà créés, dans la valeur et la masse des conditions de production qui préside à la production nouvelle, et dans la grandeur absolue du capital productif déjà accumulé, 2° dans la petitesse relative de la partie du capital total avancée en salaire, c’est à dire dans l’insignifiance relative du travail vivant nécessaire à la reproduction et à la mise en valeur d’un capital donné, à la production en masse. Cela implique en même temps la concentration du capital.
Pour ce qui est de la force de travail employé le développement de la productivité accuse de même deux aspects : I° l’augmentation du surtravail, c’est à dire la réduction du temps de travail nécessaire exigé pour la reproduction de la force de travail ;II° la diminution de la quantité de force de travail ( nombre d’ouvriers ) généralement employée pour mettre en œuvre un capital donné.
Les deux mouvements non seulement vont de front, mais s’influencent réciproquement ; ce sont des phénomènes ou s’exprime la même loi. Toutefois, Ils agissent en sens contraire sur le taux de profit. La masse totale du profit est égale à la masse totale de la plus-value, le taux de profit = pl/C= (plus-value)/(Capital total avancé). Mais dans sa totalité, la plus-value est déterminée : 1° par son taux ; 2° par la masse du travail simultanément employé à ce taux, ou, ce qui revient au même, par la grandeur du capital variable. D’un côté, l’un des facteurs, le taux de plus-value, monte ; de l’autre côté, le nombre des ouvriers baisse ( relativement ou absolument ). Pour autant que le développement des forces productives diminue la partie payée du travail employé, il augmente le taux de la plus-value, donc cette dernière ; mais, dans la mesure où il diminue la masse totale du travail employé par un capital donné, il diminue le facteur du nombre par quoi se multiplie le taux de plus-value pour produire sa masse. Deux ouvriers travaillant plus de 12 heures par jour ne peuvent produire la même masse de plus-value que 24 ouvriers ne travaillant chacun que deux heures, même s’ils pouvaient vivre de l’air du temps et n’avaient donc pas à travailler pour leur propre compte. À cet égard, la compensation du nombre réduit des ouvriers par l’intensification du degré d’exploitation du travail ne peut dépasser certaines limites ; entraver la baisse du taux de profit, mais non la supprimer.
Dans la mesure où un taux de profit plus élevé suscite une augmentation de la demande de travail, il tend à accroître la population ouvrière et, par suite, les matériaux dont l’exploitation permet aux capital de remplir réellement son rôle. Toutefois, le développement de la productivité du travail contribue indirectement à augmenter la valeur du capital existant, en augmentant la masse et la diversité des valeurs d’usage où se présente la même valeur d’échange et qui forment le substrat matériel, les éléments concrets du capital, il se crée plus d’objets, qui peuvent, quelque soit leur valeur d’échange, être convertis en capital. Ces produit peuvent servir à absorber du travail additionnel et, par conséquent, du sur travail additionnel et former ainsi du capital additionnel. La masse de travail que le capital peut manipuler ne dépend pas de sa valeur, mais de la masse des matières premières et auxiliaires, des machines et des éléments du capital fixe, des moyens de subsistance qui tous constituent ce capital, quelque soit leur valeur. Comme la masse du travail employé et, par conséquent, du sur travail s’accroit, la valeur du capital reproduit et la plus-value additionnelle augmente du même coup.
Or, ces deux facteurs du processus d’accumulation ne sont pas à considérer simplement dans leur tranquille juxtaposition, comme le fait Ricardo ; ils contiennent une contradiction qui se manifeste dans des tendances et des phénomènes contrastants. Ces facteurs antagoniques se contrarient mutuellement.
En même temps que les tendances à un accroissement réel de la population ouvrière dues à l’augmentation de la partie qui, dans le produit social total, fonctionne comme capital, agissent des facteurs qui créent une surpopulation simplement relative.
En même temps que baisse le taux de profit, la masse des capitaux croît, alors que se produit une dépréciation du capital existant, laquelle arrête cette baisse et imprime un mouvement d’accélération à l’accumulation de valeur-capital.
En même temps que se développent les forces productives, la composition supérieure du capital, autrement dit la diminution relative de la partie variable par rapport à la partie constante, s’accentue.
Ces différentes influences s’affirment tantôt simultanément dans l’espace, tantôt successivement dans le temps. Périodiquement, le conflit des forces antagoniques éclate dans les crises. Les crises ne sont jamais que des solutions momentanées et violentes des contradictions existantes, des éruptions violentes qui rétablissent pour un moment l’équilibre troublé.
Formulée en termes tout à fait généraux, la contradiction consiste en ce que le mode de production capitaliste implique une tendance au développement absolu des forces productives, sans tenir compte de la valeur et de la plus-value qu’elle renferme, et indépendamment des conditions sociales dans lesquelles la production capitaliste s’effectue ; tandis que, d’autre part, il a pour but la conservation de la valeur capital existante et son expansion maximum (c’est-à-dire l’accroissement accéléré de cette valeur). Son caractère spécifique, c’est d’utiliser la valeur du capital existant comme un moyen d’accroître au maximum cette valeur. Les méthodes par lesquelles il atteint ce but impliquent: la baisse du taux de profit, la dépréciation du capital existant, le développement des forces productives et du travail aux dépens des forces productives déjà créées.
La dépréciation périodique du capital existant – un des moyens inhérent au mode de production capitaliste pour arrêter la baisse du taux de profit et accélérer l’accumulation de valeur-capital par la formation de capital nouveau – trouble les conditions données où s’accomplit le processus de circulation et de reproduction du capital et s’accompagne donc d’arrêts brusques et de crises du processus de production.
La production capitaliste tend constamment à surmonter ces limites inhérentes; elle n’y réussit que par des moyens qui dressent à nouveau ces barrières devant elles, mais sur une échelle encore plus formidable.
La véritable barrière de la production capitaliste, c’est le capital lui-même. Voici en quoi elle consiste: le capital et son expansion apparaissent comme le point de départ et le terme, comme le mobile et le but de la production ; la production est uniquement production pour le Capital, au lieu que les instruments de productions soient des moyens pour un épanouissement toujours plus intense du processus de la vie pour la société des producteurs. Les limites dans lesquelles peuvent uniquement se mouvoir la conservation et la croissance de la valeur du capital – fondées sur l’expropriation et l’appauvrissement de la grande masse des producteurs – ces limites entrent continuellement en conflit avec les méthodes de production que le capital doit employer pour ses fins et qui tendent vers l’accroissement illimité de la production, vers la production comme une fin en soi, vers le développement absolu de la productivité sociale du travail. Le moyen – le développement illimité des forces productives de la société – entre en conflit permanent avec le but limité, la mise en valeur du capital existant. Si le mode de production capitaliste est, par conséquent, un moyen historique de développer la puissance matérielle de la production et de créer un marché mondial approprié, il est en même temps la contradiction permanente entre cette mission historique et les conditions correspondantes de la production sociale.
Avec la baisse du taux de profit s’accroît le minimum de capital requis aux mains du capitaliste individuel pour l’emploi productif du travail ; requis aussi bien pour son exploitation en général qu’afin que le temps de travail employé soit le temps nécessaire à la production des marchandises, qu’il ne dépasse pas la moyenne du temps de travail socialement nécessaire à cette production. Et en même temps s’accroît la concentration, parce qu’au-delà de certaines limites, un gros capital avec un faible taux de profit accumule plus rapidement qu’un petit capital avec un fort taux de profit. Parvenue à un certain niveau, cette concentration croissante provoque de son côté une nouvelle baisse du taux de profit. La masse des petits capitaux disséminés est ainsi entraînée dans la voix aventureuse de la spéculation, des actions et du crédit frauduleux, des crises. La prétendue pléthore du capital, c’est toujours et surtout la pléthore du capital pour lequel la baisse du taux de profit n’est pas compensée par la masse du capital – et c’est toujours le cas pour les jeunes pousses des capitaux anciens – ou bien encore la pléthore que tels capitalistes, incapables d’agir pour leur propre compte, mettent, sous forme de crédit, à la disposition des brasseurs de grosses affaires. Cette pléthore de capital provient des mêmes circonstances qui provoquent une surpopulation relative et constitue ainsi un corollaire de celle-ci, bien qu’elle se trouve toutes deux à des pôles opposés, capital inemployé d’une part et population ouvrière inemployée d’autres part.
Surproduction de capital, et non surproduction de marchandises – bien que l’une implique toujours l’autre –signifie donc simplement suraccumulation de capital. Pour comprendre ce qu’est cette suraccumulation (dont l’étude détaillée suit plus loin) , on n’a qu’à supposer qu’elle est absolue. Quand la surproduction du capital serait-elle absolue ? À savoir une surproduction qui affecterait non pas tel ou tel domaine ou quelques domaines importants de la production, mais serait absolue par son ampleur même et engloberait donc tous les domaines de la production.
Il y aurait surproduction absolue de capital dès le moment où le capital additionnel destiné à la production capitaliste serait égal à zéro. Mais le but de la production capitaliste, c’est la mise en valeur du capital, c’est-à-dire l’appropriation de surtravail, la production de plus-value, de profit. Dès que, par rapport à la population ouvrière, le capital se serait donc accru dans une proportion telle que ni le restant de travail absolu fourni par cette population ni le temps de surtravail relatif ne pourraient être étendus (ce qui, d’ailleurs, serait irréalisable dans le cas où la demande de travail serait assez forte pour déterminer une tendance des salaires à la hausse) ; dès que le capital accru ne produirait donc qu’autant, voire moins de plus-value qu’avant son accroissement. il y aurait surproduction absolue de capital; autrement dit, le capital accru C + Δ C ne produirait pas plus de profit, peut-être moins, que le capital C avant son accroissement par Δ C. Dans les deux cas, il y aurait aussi une baisse sensible et subite du taux général du profit, mais la cause en serait cette fois un changement dans la composition du capital, dû non pas au développement des forces productives, mais à une hausse dans la valeur monétaire du capital variable (en raison des salaires accrus) et à la diminution correspondante dans le rapport du surtravail au travail nécessaire.
En réalité, on verrait qu’une partie du capital resterait inoccupée – totalement ou partiellement – parce qu’avant de fructifier il aurait à évincer le capital déjà en fonction; et l’autre partie, sous l’influence du capital inoccupé ou à moitié occupé, fructifierait à un taux de profit inférieur. Peu importerait qu’une partie du capital additionnel prît la place de l’ancien capital et que celui-ci occupât une place dans le capital additionnel. Nous aurions toujours d’un côté l’ancien capital, et de l’autre côté le capital additionnel. La baisse du taux de profit s’accompagnerait cette fois d’une diminution absolue de la masse du profit, puisque, dans les conditions que nous supposons, la masse de la force de travail employée et le taux de plus-value ne seraient pas accrus, si bien que masse de la plus-value ne pourrait pas non plus être augmentée. Et la masse de profit réduite serait à calculer sur un capital total accru. Mais en supposant même que le capital employé continue à fructifier à l’ancien taux de profit et que la masse de profit reste donc la même, celle-ci serait toujours calculée sur un capital total accru, ce qui implique de nouveau une baisse du taux de profit. Si un capital total a laissé un profit de 100, et qu’après avoir passé de 1 000 à 1 500 il continue à n’offrir que 100 dans le second cas, 1 000 ne rapportent plus que 66 2/3. La valorisation de l’ancien capital aurait donc diminué en valeur absolue. Et, dans les conditions nouvelles un capital de 1 000 ne rapporterait pas plus qu’un ancien capital de 666 2/3.
Toutefois, il est évident que cette dépréciation effective de l’ancien capital ne saurait se faire sans lutte, et que le capital additionnel Δ C ne pourrait, sans combattre, fonctionner comme capital. Le taux de profit ne baisserait pas sous l’effet de la concurrence due à la surproduction de capital; bien au contraire, il y aurait lutte concurrentielle parce que la baisse du taux de profit et la surproduction de capital découlent des mêmes circonstances. La partie de ΔC que les anciens capitalistes actifs auraient en main, ils la laisseraient plus ou moins oisive, pour ne pas déprécier eux-mêmes leur capital primitif et ne pas rétrécir sa place dans le champ de production; ou ils l’emploieraient, même avec des pertes momentanées, pour amener les nouveaux venus et, d’une façon générale, leurs concurrents à ne pas employer le capital additionnel.
La partie de Δ C qui se trouverait entre de nouvelles mains chercherait à se faire une place aux dépens de l’ancien capital, et elle y réussirait partiellement en réduisant à l’inactivité une partie de l’ancien capital qu’elle forcerait à lui céder sa place et à prendre lui-même celle du capital additionnel partiellement ou totalement inoccupé.
En toutes circonstances, une partie de l’ancien capital devra rester oisive et renoncer à sa qualité de capital actif destiné à fructifier. A la lutte concurrentielle de décider quelle sera cette partie. Tant que tout va bien, la concurrence engendre, comme l’a montré l’égalisation du taux de profit général, la fraternité pratique de la classe capitaliste: elle se partage le butin commun proportionnellement à la mise de chacun. Mais, dès qu’il ne s’agit plus de partager le profit, mais la perte, chacun s’efforce de réduire sa quote-part à un minimum et de la mettre au compte du voisin. La perte est inévitable pour la classe capitaliste. Quant à la part que chaque capitaliste doit en supporter, c’est affaire de force et de ruse, et la concurrence se change alors en une lutte de frères ennemis. L’opposition s’affirme entre l’intérêt de chaque capitaliste particulier et l’intérêt de la classe capitaliste, tout comme, antérieurement, l’identité de ces intérêts s’était manifestée pratiquement dans la concurrence.
Dès lors, comment ce conflit s’aplanirait-il et comment seraient rétablies les conditions d’un mouvement« sain» de la production capitaliste ? Le simple énoncé du conflit qu’il s’agit d’aplanir implique déjà la manière de le résoudre. Dans tous les cas, l’équilibre se rétablirait par la mise en friche, voir la destruction de capitaux plus ou moins importants. Cela s’étendrait en partie sur la substance matérielle du capital; c’est-à-dire que partie des moyens de production, capital fixe et capital circulant, cesserait de fonctionner et d’agir comme capital ; un certain nombre d’entreprises cesseraient leur activité. Et, bien que le temps s’attaque à tous les moyens de production (la terre exceptée) et les détériore, l’arrêt de leur fonctionnement aurait ici un effet bien plus fortement destructeur.
La destruction principale, dans sa forme la plus aiguë, frapperait le capital en tant qu’il possède le caractère de valeurs, donc les valeurs des capitaux. La partie de la valeur-capital qui n’a que la forme de simples titres sur des parts futures dans la plus-value ou le profit, en fait, la forme de créances sur la production sous des aspects divers, se trouve dépréciée dès qu’il y a baisse des recettes sur lesquelles elle est calculée. Une partie de l’or et de l’argent en barre reste inexploitée, ne fonctionne pas comme capital. Une partie des produits jetée sur le marché ne peut accomplir son processus de circulation et de reproduction que par une énorme contraction de ses prix, donc par la dépréciation du capital qu’elle représente. De même, les éléments du capital fixe sont plus ou moins dépréciés. A cela s’ajoute le fait que le processus de reproduction dépend de certaines conditions de prix préalablement données, donc qu’une baisse générale des prix l’arrête et le désorganise. Cette perturbation et cette stagnation paralyse la fonction de l’argent en tant que moyen de paiement, dont le développement est lié à celui du capital qui est fondé sur ces conditions de prix présupposées. La chaîne des obligations de paiement à échéance fixe est brisée en cent endroits; la confusion se trouve encore aggravée avec l’effondrement inévitable du système du crédit, qui s’est développé simultanément avec le capital, et elle aboutit ainsi à des crises violentes et aiguës, à des dévalorisations soudaines et forcées, à l’arrêt effectif du processus de reproduction et, par suite, au déclin total de la reproduction.
Mais en même temps, d’autres facteurs seraient entrés en jeu. L’arrêt de la production aurait réduit à l’inactivité une partie de la classe ouvrière, plaçant ainsi la partie occupée dans la nécessité de subir une réduction de salaire même au dessous de la moyenne. Cette opération a, pour le capital, le même effet que si, avec des salaires moyens, la plus-value relative ou absolue avait été augmentée. La prospérité aurait favorisé les mariages parmi les ouvriers et diminué la décimation de la génération à naître. Tout en impliquant une augmentation réelle de la population, ces circonstances n’entraînent pas un accroissement de la population ouvrière proprement dite, mais affecte le rapport des ouvriers au capital, de la même manière que si le nombre des travailleurs actifs s’était accru. La baisse des prix et la lutte concurrentielle auraient, d’autre part, incité chaque capitaliste à élever la valeur individuelle de son produit au dessus de sa valeur générale en employant des machines nouvelles, de nouvelles méthodes de travail perfectionnées, de nouvelles combinaisons, c’est à dire à accroître la productivité d’une quantité donnée de travail, à faire baisser la proportion du capital variable par rapport au capital constant, et à libérer des ouvriers, bref, à créer une surpopulation artificielle. En outre, la dépréciation des élément du capital constant serait elle-même un facteur pouvant déterminer une hausse du taux de profit. La masse du capital constant employé aurait augmenté par rapport au capital variable, mais la valeur de cette masse pourrait avoir diminué. La stagnation survenue dans la production aurait préparé- dans les limites capitalistes – une expansion subséquente de la production.
Ainsi, le cycle aurai été, une fois de plus, parcouru. Une partie du capital dépréciée par la stagnation retrouverait son ancienne valeur. Au demeurant, le même cercle vicieux serait à nouveau parcouru, dans des conditions de production amplifiées, avec un marché élargie, et avec un potentiel productif accru.
Toutefois, même dans l’hypothèse poussée à l’extrême, la surproduction absolue du capital n’a pas ce caractère général et n’est pas une surproduction absolue des moyens de production. Elle n’est telle qu’autant que ces moyens fonctionnent comme capital et incluent, par conséquent, une accroissement de la valeur, devant produire une valeur additionnelle, proportionnellement à leur masse accrue.
Ce serait pourtant de la surproduction, parce que le capital deviendrait incapable d’exploiter le travail au degré voulu par le développement “sain, normal” du processus de production capitaliste, à une degré qui augmenterait tout au moins la masse du profit en fonction de la masse croissante du capital employé, donc, qui empêcherait le taux de profit de baisser à mesure que le capital augmente, ou même plus rapidement.
Surproduction de capital ne signifie jamais que surproduction de moyens de production – instruments de travail ou moyens de subsistance – qui peuvent fonctionner comme capital, c’est à dire servir à l’exploitation du travail à un degré donné d’exploitation; une baisse du degré d’exploitation au-dessous d’un certain point provoque, en effet, des perturbations et des arrêts dans le processus de production capitaliste, des crises, voire la destruction du capital. Il n’y a pas de contradiction dans le fait que cette surproduction de capital s’accompagne d’une surproduction relative plus ou moins considérable. Les circonstances qui ont augmenté la productivité du travail, accru la masse des marchandises produites, étendu les marchés, accéléré l’accumulation du capital en valeur autant que dans sa masse et diminué le taux de profit, ces mêmes circonstances ont produit et produisent constamment une surpopulation relative, une surpopulation d’ouvriers que le capital surabondant n’emploie pas à cause du faible degré d’exploitation du travail auquel il serait contraint de les employer, ou du moins à cause du faible taux de profit qu’ils rapporteraient au niveau donné d’exploitation.
En outre, la baisse du taux de profit en raison de l’accumulation provoque nécessairement une lutte concurrentielle. La compensation de la baisse du taux de profit par la masse de profit accrue ne vaut que pour le capital total de la société et pour les gros capitalistes complètement installés. Le nouveau capital additionnel, opérant en toute indépendance, ne rencontre pas ces conditions compensatrices; il est obligé de les conquérir de haute lutte, et c’est ainsi que la baisse du taux de profit provoque la concurrence entre les capitalistes, et non inversement celle-ci celle-là. Cette concurrence s’accompagne certes, d’une hausse temporaire du salaire et d’une baisse correspondante temporaire du taux de profit. Le même phénomène se manifeste dans la surproduction de marchandises, l’encombrement des marchés. Le but du capital n’est pas de satisfaire des besoins, mais de produire du profit ce but, il ne peut l’atteindre que par des méthodes qui visent à régler la quantité des produits en fonction de l’échelle de la production, et non par inversement. Dès lors, une discordance ne peut manquer de s’établir entre les dimensions restreintes de la consommation sur une base capitaliste et une production qui tend toujours à dépasser cette imite immanente. D’ailleurs, le capital se compose de marchandises; donc, la surproduction de capital implique celle de marchandises. D’où ce phénomène paradoxal: les mêmes économistes qui nient la surproduction des marchandises admettent celle du capital. Dire qu’il n’y a pas surproduction général, mais disproportion au sein des différentes industries, c’est simplement dire que, dans la production capitaliste, la proportionnalité des diverses industries est un processus permanent de la disproportionnalité, en ce sens que la cohérence de la production totale s’impose ici aux agents de la production comme une loi aveugle, et non comme une loi comprise et dominée par leur raison d’individus associés qui soumettent le processus de production à leur contrôle commun. C’est exiger en outre, que des pays, où le mode de production capitaliste n’est pas développé, consomment et produisent dans des proportions qui conviennent aux pays de production capitaliste. Dire que la surproduction n’est que relative est tout à fait correct; mais, dans son ensemble, le mode de production capitaliste n’est précisément qu’un mode de production relatif, dont les limites ne sont pas absolues: elles ne sont absolue que pour ce type de production, c’est-à-dire sur ses propres bases. Sans cela, il ne pourrait y avoir une demande insuffisante des marchandises dont la masse du peuple est privée et on ne serait pas force de rechercher cette demande à l’extérieur, sur des marchés lointains, pour pouvoir mesurer aux ouvriers de l’intérieur la portion congrue de subsistances nécessaires. En effet, ce n’est que dans ce contexte spécifiquement capitaliste que le produit excédentaire prend une forme où son possesseur ne peut l’offrir à la consommation qu’après l’avoir reconverti en capital. Si l’on dit enfin que les capitalistes n’ont qu’à échanger et à consommer leurs marchandises entre eux, on perd de vue la nature foncière du système capitaliste, et l’on oublie qu’il s’agit de faire fructifier le capital, et non de le consommer. Bref, toutes les objections contre les manifestations évidentes de la surproduction (phénomènes qui se soucient fort peu de ces objections) reviennent à dire que les limites de ce mode spécifique, la production capitaliste. Or, la contradiction inhérente à ce mode de production capitaliste consiste précisément dans sa tendance à un développement absolu des forces productives qui entrent constamment en conflit avec les conditions spécifiques de la production, où le capital peut seul se mouvoir.
Ce n’est pas qu’on produise trop de moyens de subsistance par rapport à la population existante; bien au contraire, la production est insuffisante pour satisfaire de façon normale et humaine les besoins de la masse de la population.
Ce n’est pas qu’on fabrique trop de moyens de production pour occuper la partie de la population valide. Bien au contraire, 1° une trop grande partie de la population produite est effectivement incapable de travailler, et dépend par sa situation, de l’exploitation du travail d’autrui, ou des travaux qui ne peuvent passer pour tels que dans un système de production misérable; 2° il n’est pas créé suffisamment de moyens de production pour que toute la population valide travaille dans les conditions les plus productives, de façon que son temps de travail absolu, puisse être diminué par la masse et l’efficacité du capital employé durant le temps de travail.
En revanche, trop de moyens de travail et de subsistance sont produits périodiquement pour qu’on puisse les faire fonctionner comme moyens d’exploitation des ouvriers à un certain taux de profit. Il est produit trop de marchandises pour qu’on puisse réaliser et reconvertir en capital nouveau la valeur et la plus-value qui s’y trouvent contenues, c’est à dire exécuter, dans les conditions de répartition et de consommation de la production capitaliste, ce processus soumis à des explosions périodiques.
Il n’est pas produit trop de richesse. Mais, périodiquement, il est produit trop de richesse dans les formes antagonistes du capital.
La limite du mode de production capitaliste se manifeste dans les faits que voici:
1° Le développement de la productivité du travail engendre, dans la baisse du taux de profit, une loi qui, à un certain moment, se tourne brutalement contre ce développement et doit être constamment surmontée par des crises;
2°Ce qui décide de l’extension ou de la limitation de la production, ce n’est pas le rapport entre la production et les besoins sociaux ou les besoins d’individus socialement développés, mais l’appropriation de travail non payé et le rapport entre celui-ci et le travail matérialisé en général, ou bien, en termes capitalistes, le profit et le rapport entre ce profit et le capital employé, donc un certain niveau d’extension qui, en partant de l’hypothèse inverse, paraîtrait bien insuffisant. Il s’arrête à un moment qui est fixé non par la satisfaction des besoins, mais par la production et la réalisation du profit.
D’une part, si le taux de profit baisse, le capital tend ses énergies pour que le capitaliste individuel fasse, par l’emploi de meilleurs méthodes, descendre la valeur de ses marchandises particulières au-dessous de leur valeur moyenne sociale et réalise de cette façon, à un prix courant donné, un profit extraordinaire; d’autre part, la spéculation frauduleuse s’épanouit grâce à des expériences passionnées avec de nouvelles méthodes de production, de nouveaux investissements, de nouvelles aventures: on cherche à s’assurer un surprofit qui soit indépendant de la moyenne générale et la dépasse.
Le taux de profit, c’est à dire l’accroissement proportionnel du capital, est important surtout pour tous les rejetons de capitaux qui cherchent à se grouper de façon indépendante. Et, dès que la formation de capital aurait incombé à un petit nombre de gros capitaux bien établis pour qui la masse du profit compenserait le taux, on verrait s’éteindre le feu vivifiant la production, laquelle tomberait en sommeil. Le taux de profit est la force motrice de la production capitaliste; seul est produit ce qui rapporte du profit (4).
Voici comment se présente, dans la concurrence, le minimum croissant du capital exigé par l’augmentation de la productivité pour l’exploitation efficace d’une entreprise industrielle indépendante: dès que des nouvelles installations plus coûteuses se sont généralisées, les petits capitaux sont désormais exclus de cette industrie; ils n’y peuvent fonctionner comme tels dans les divers secteurs de la production qu’à l’origine des inventions mécaniques. D’un autre côté, de très grandes entreprises, disposant de quantités proportionnellement importantes de capital constant – comme les chemins de fer – ne donne pas le taux de profit moyen, mais une fraction de celui-ci, un intérêt, sans quoi, le taux de profit général tomberait encore plus bas. En revanche, les grandes concentrations de capitaux trouvent ici, sous forme d’actions, un champ d’emploi immédiat.
La croissance du capital, donc l’accumulation de celui-ci, n’implique une diminution du taux de profit qu’autant que cet accroissement s’accompagne des modifications mentionnées ci-dessus dans le rapport des composantes organiques du capital. Or, malgré les bouleversements continuels, journaliers, du mode de production, tantôt l’une, tantôt l’autre des parties du capital total, plus ou moins grande, continue, pendant certaines périodes, à accumuler sur la base d’une proportion moyenne donnée de ces éléments; son accroissement n’implique donc pas de changement organique, ni, par conséquent, les causes de la baisse du taux de profit. Cette expansion continuelle du capital, autrement dit cette extension de la production, fondée sur l’ancienne méthode de production qui continue tranquillement tandis que des méthodes nouvelles sont déjà pratiquées à ses côtés, est une nouvelle raison qui fait que le taux de profit ne diminue pas dans les proportions où le capital total de la société augmente.
Malgré la diminution relative du capital variable avancé en salaire, l’augmentation du nombre absolu des ouvriers ne s’opère ni dans toutes les branches de production ni uniformément. Dans l’agriculture, la diminution de l’élément du travail vivant peut être absolue.
D’ailleurs, seul le mode de production capitaliste exige que le nombre des salariés augmente absolument, malgré leur diminution relative. Pour lui, les travailleurs sont en surnombre dès qu’il n’est plus indispensable de les occuper de 12 à 15 heures par jour. Un développement des forces productives qui diminuerait le nombre absolu des ouvriers, donc qui permettrait à toute la nation d’accomplir sa production totale en un temps moindre, entraînerait une révolution, parce qu’il rendrait superflue la majeure partie de la population. Nous voilà une fois de plus devant la limite spécifique de la production capitaliste; elle n’est à aucun titre une forme absolue du développement des forces productives ni de la création de la richesse bien au contraire, parvenue à un certain point, elle entre en conflit avec ce développement. Ce conflit se manifeste en partie dans des crises périodiques qui résultent du fait que tantôt telle fraction, tantôt telle autre de la population ouvrière est rendue superflue dans son ancien mode d’emploi. La production capitaliste a pour limite le temps excédentaire des ouvriers. Elle ne se soucie nullement de l’excédent absolu du temps gagné par la société. Le développement des forces productives n’a d’importance pour elle que dans la mesure où il accroît le surtravail de la classe ouvrière et non parce qu’il diminue le temps de travail pour la production matérielle en général. Il se meut ainsi dans la contradiction.
Nous avons vu que l’accumulation croissante du capital en implique la concentration croissante. Ainsi grandit la puissance du capital, c’est-à-dire l’aliénation, personnifiée dans les capitalistes, des conditions sociales de la production vis-à-vis des producteurs réels. De plus en plus, le capital apparaît comme une puissance sociale, dont le capitaliste est l’agent, et qui a perdu toute espèce de rapport avec ce que le travail de tout individu est capable de créer mais il se manifeste comme une puissance sociale aliénée et autonome qui fait front contre la société sous la forme d’un objet incarnant la puissance capitaliste. L’antagonisme entre la puissance sociale générale incarnée par le capital, d’une part, et le pouvoir privé du capitaliste individuel sur ces conditions sociales de la production, d’autre part, devient de plus en plus aigu. Pourtant il implique la dissolution de ce rapport en même temps de l’enfantement de conditions générales en vue d’une production communautaire sociale. Cet enfantement est inscrit dans le développement des forces productives au sein du système capitaliste et dans la manière dont cette évolution s’accomplit.
Aucun capitaliste n’introduit volontairement de nouvelles méthodes de production quelque parfaite qu’elle soit, et bien qu’elles puissent augmenter considérablement le taux de plus-value, du moment qu’elle diminue le taux de profit. Mais chacune de ces nouvelles méthodes rend les marchandises moins chères. Le capitaliste commence donc par les vendre au dessus de leur prix de production ou peut-être au-dessus de leur valeur. Il empoche la différence entre le coût de production et le prix de marché des mêmes marchandises produites à un coût plus élevé. Il le peut parce que le temps moyen socialement nécessaire à la production de ses marchandises est supérieur au temps de travail exigé par les nouvelles méthodes de production. Sa technique de production est au-dessus de la moyenne sociale; mais la concurrence la généralise et la soumet à la loi commune. Il se produit alors, tout à fait indépendamment de la volonté du capitaliste, une baisse du taux de profit, peut-être d’abord dans son secteur de production, pour établir ensuite la balance avec les autres.
Ajoutons que cette loi agit également dans les industries dont le produit n’entre ni directement ni indirectement dans la consommation de l’ouvrier, ni dans les conditions de production de ses moyens de subsistances; elle agit donc également dans les secteurs où nulle baisse des marchandises ne peut accroître la plus-value ni rendre à meilleur marché la force du travail. (Il se peut toutefois que la baisse du capital constant fasse monter, dans toutes ses branches, le taux de profit, l’exploitation des ouvriers restant inchangée.) Dès que la nouvelle technique de production commence à se répandre, fournissant ainsi la preuve concrète que ces marchandises peuvent être produites à moindre frais, les capitalistes qui travaillent dans les anciennes conditions sont forcés de vendre leur produit au-dessous de son prix de production, parce que la valeur de cette marchandise a baissé, et que le temps nécessité à la produire est supérieur à la moyenne sociale. En un mot – et c’est là un des effets de la concurrence – ils sont obligés d’adopter les nouvelles méthodes de production, où la proportion du capital variable par rapport au capital constant a diminué.
Toutes les circonstances grâce auxquelles l’emploie des machines rend les marchandises produites moins chères ramènent toujours 1° à la diminution de la quantité de travail absorbée par une marchandise particulière; 2° à la diminution de l’usure des machines dont la valeur entre dans chaque marchandise. Plus cette usure est lente, plus est grand le nombre de marchandises sur lesquelles elle se répartit et plus est considérable le travail vivant qu’elle remplace jusqu’au moment de sa reproduction. Dans les deux cas, la quantité et la valeur du capital constant fixe augmentent par rapport au capital variable.(5)
Trois faits majeurs caractérisent la production capitaliste:
1°Concentration des moyens de production entre des mains peu nombreuses, en sorte qu’ils cessent d’apparaître comme la propriété des travailleurs immédiats et se transforment en puissance sociale de la production, même si, dès l’abord, celles-ci sont la propriété privé des capitalistes. Ceux-ci sont les trustees (gérants) de la société bourgeoise, mais c’est eux qui embauchent tous les bénéfices de cette trusteeship (gérance);
2°Organisation du travail comme travail social, par la coopération, la division du travail et l’union du travail et des sciences naturelles.
Dans les deux sens, le mode de production capitaliste abolit, bien que sous des formes antagoniques, la propriété privée et le travail privé;
3° Création du marché mondial.
La puissance productive, immense par rapport à la population, qui se développe au sein du système capitaliste, l’augmentation – non proportionnelle certes – des capitaux en tant que valeurs (et pas seulement celle de leur substrat matériel) qui croissent bien plus rapidement que la population, contrastent avec la base qui, comparée avec la richesse croissante, se rétrécit de plus en plus, et pour laquelle travaillent ces énormes puissances productives. Elles contrastent également avec les conditions dans lesquelles ce capital grossissant fructifie. Voilà l’origine des crises.
Notes de Bas de Page
(1) Ricardo et son école ne considèrent, il est vrai que le profit industriel qui inclut l'intérêt. Mais le taux de la rente foncière a également une tendance à la baisse, bien que sa masse absolue augmente, et qu'elle puisse s'accroître proportionnellement plus que le profit industriel. Voir Ed. WEST (Essay on Application of Capital to Land, 1815) qui a développé avant Ricardo, la foi de la rente foncière. Au demeurant la thèse ricardienne selon laquelle le profit industriel (plus l’intérêt) absorbe primitivement toute la plus-value est fausse au point de vue théorique et logique. C'est au contraire le progrès de la production capitaliste qui, I°, remet directement au capitalistes industriels et marchands tout le profit en vue d une nouvelle répartition; et, 2°, réduit la rente à un excédent sur le profit. Sur cette base capitaliste naît à son tour la rente qui est une partie du profit (c'est-à-dire delà plus-value considérée comme produit du capital total), mais non point la partie spécifique du produit que le capitaliste empoche.
(2) De là cette affirmation fantaisiste du calotin Chalmers : les capitalistes avalent les profits d’autant plus grands qu’ils dépensent comme capital une partie moindre du produit annuel ; d’ailleurs, l’Église d’État vient a leur secours pour assurer non pas la capitalisation, mais la consommation d’une grande partie du surproduit. Le calotin confond la cause avec l’effet.
(3) L’accumulation primitive du capital implique la centralisation des conditions de travail. Elle signifie la séparation de ces conditions d’avec le travailleur et la force de travail. Son acte historique, c’est l’acte de la genèse historique du capital, le processus historique de séparation qui transforme les conditions de travail en capital et le travail en travail salarié. Ainsi est donnée la base de la production capitaliste. L’accumulation du capital, la relation capital - travail salarié. Elle reproduit la séparation et la fixation de la richesse matérielle en face du travail sur une échelle toujours plus élargie.Concentration des capitaux. Accumulation des gros capitaux par la destruction des petits. Attraction et dissolution des chaînons intermédiaires entre le capital et le travail. Ce n’est que la dernière forme - apogée du processus- qui transforme les conditions de travail en capital et qui multiplient reproduit le capital sur une échelle plus élargie; elle sépare, enfin, les capitaux, constitue en de nombreux points de la société, de leurs propriétaires et les centralise dans les mains de gros capitalistes. Avec cette forme extrême de l'antagonisme, la production se voit transformée en production sociale, bien que sous un aspect défiguré. Travail social et, dans le processus de travail concret, emploi commun des instruments de production. En tant que fonctionnaires du processus qui accélère en même temps cette production sociale et le développement des forces productives, les capitalistes deviennent superflus, dans la mesure même où, par le canal de la société, il s'approprie le bénéfice et qu‘en tant que propriétaires de ces richesses sociales ils prennent figure de commandants du travail social. Ils subissent le même sort que les féodaux à l’avènement de la société bourgeoise: leurs prétentions, devenues superflues en même temps que leur services, se sont changées en simples privilèges, anachroniques et irrationnels c'est ce qui a hâté leurs ruine.
(4) C’est ce qui explique l’appréhension des économistes anglais devant la diminution du taux de profit. Ricardo frémit à cette seule pensée, témoignant ainsi de sa profonde compréhension des conditions de la production capitaliste. On lui reproche de ne pas se soucier des “êtres-humains” et de n’envisager, dans son étude de la production capitaliste, que le développement des forces productives, quelque soient les sacrifices en hommes et en valeurs aux prix desquelles ce progrès ait été acheté. Mais c’est justement là son importance. Le développement des forces productives du travail social, voilà la mission historique et la justification du capital. C’est ainsi que, sans en être conscient, il crée les conditions matérielles d’un système de production supérieur. Ce qui inquiète Ricardo, c’est que le taux de profit, stimulant de la société capitaliste, condition et mobile de l’accumulation, est menacé par le développement même de la production. Ici, tout est dans le rapport quantitatif: Ricardo n’a fait que pressentir ce qui est au fond de tout cela. Ce qui se révèle de manière purement économique, c’est-à-dire du point de vue bourgeois, dans les limites mêmes de la compréhension capitaliste, c’est la limite de la production capitaliste, sa relativité: elle n’est pas un mode de production absolu, mais un système historique qui correspond à une époque déterminée et restreinte du développement des conditions matérielles de la production.
(5) “Toutes autres choses restant égales, le pouvoir d’une nation d’économiser sur ses profits varie avec le taux de profit; il est grand quand ses profits sont élevés, faibles quand ceux-ci sont bas; mais comme le taux de profit diminue, toutes les autres choses ne restent pas égales... Un faible taux de profit s’accompagne d’un rapide taux d’accumulation relativement au chiffre de la population, comme en Angleterre... Un taux élevé de profit s’accompagne d’un taux plus lent d’accumulation relativement au chiffre de la population.” Exemple: La Pologne, la Russie, les Indes...etc. (Richard Jones, an introductory lecture on political economy, 1833, p50 et suiv.) Jones souligne à juste titre que, malgré la baisse du taux de profit, les causes et les possibilités de l’accumulation augmentent pour les raisons ci-après: 1°la surpopulation relative ne cesse de s’accroître; 2°avec la productivité croissante du travail, la masse des valeurs d’usage représentées par la même valeur d’échange, donc la masse des éléments matériels du capital, augmente; 3° les branches de productions se diversifient; 4° le système du crédit, les sociétés par actions se développent et, avec eux, la facilité de transformer l’argent en capital, sans qu’on devienne soi-même capitaliste industriel; 5° Les besoins grandissent en même temps que le désir de s’enrichir; 6° Les investissement de capital fixe, etc, s’accroissent.