Sortie désastreuse.
3 avril 1871.
Huit heures du matin.
Le canon gronde dans les trois directions sur Versailles.
À l’Hôtel de Ville, les visages sont consternés. De Courbevoie arrivent les plus désastreuses nouvelles.
Le corps de Bergeret, qui marchait sur Nanterre, est en pleine déroute. Les fédérés rentrent, débandés, par la porte Maillot et celle des Ternes, criant à la trahison.
Que s’est-il donc passé ? Persistant dans leur projet de sortie immédiate, nos trois généraux, après avoir fait revenir deux des membres de la commission exécutive sur les mesures arrêtées d’abord, ont effectué leur sortie, croyant que, grâce à l’enthousiasme incontestable de leurs troupes, ils iraient dans la journée même enlever Versailles.
Toujours confiant dans le conte bleu imaginé par Lullier, le citoyen Bergeret a lancé son corps d’armée sous le feu même des batteries du mont Valérien qui, laissant les nôtres s’approcher à portée, a vomi sa mitraille à pleine volée.
Surpris par cette attaque, à laquelle l’aveugle imprudence de leur chef ne les a point préparés, les fédérés battent en retraite dans le plus grand désordre jusque dans Paris où quelques membres de la Commune, envoyés en toute hâte, réussissent à les rallier.
Le désarroi des premiers moments fut tel, qu’avec un peu d’audace les Versaillais eussent pu facilement pénétrer dans Paris sur les pas des fuyards.
De leur côté, les corps commandés par les citoyens Eudes et Duval, malgré leur entrain et leur énergie, sont également refoulés jusque sous les forts de Vanves et d’Issy dont l’artillerie les protège.
Mais notre ami Duval et environ quinze cents hommes restent hélas ! cernés sur le plateau de Châtillon où ils se défendent héroïquement, sans qu’il soit possible de les tirer de cette affreuse situation.
C’en est fait désormais, c’est probable, de toute attitude offensive de notre part. La partie au point de vue militaire est perdue pour nous.
Si la province ne comprend pas ; si elle ne se lève pas pour secourir Paris, nous ne pourrons que rester sur la défensive, et c’est alors la mort lente, mais certaine de la Révolution. Nulle illusion n’est possible à cet égard1.
Gustave Lefrançais, Souvenirs d’un révolutionnaire, De juin 1848 à la Commune
1La paysannerie avait tiré de grands avantages de la révolution de 1789, qui l’avaient rendue naturellement réactionnaire. Néanmoins, au cours du XIXe siècle, les grands propriétaires fonciers et la bourgeoisie avaient largement empiété sur ses conquêtes. Ce qui fit dire à Marx, dans La Guerre civile en France: “Les ruraux [l’assemblée de Versailles] (c’était, en fait, leur appréhension maîtresse) savaient que trois mois de libre communication entre le Paris de la Commune et les provinces amèneraient un soulèvement général des paysans; de là leur hâte anxieuse à établir un cordon de police autour de Paris comme pour arrêter la propagation de la peste bovine.” Cordon de police que Thiers établit efficacement…
Mais nous savons qu’ “une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s’y substituent avant que les conditions d’existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société” (Marx, Préface de la Critique de l’économie politique). En dernière instance, en 1871, un soulèvement général des paysans français, s’il avait pu renverser le gouvernement de Thiers, n’aurait en revanche rien pu changer au devenir de la domination capitaliste et se serait fatalement heurté à la contre-révolution prussienne, et plus largement européenne…