Les “crimes de la Commune”.
Puisque je ne puis lire avec calme, si je profitais de ma réclusion pour me demander ce qu’était ce grand mouvement pour lequel tant de dévouements et tant d’intelligences se sont généreusement sacrifiés; et aussi pourquoi il soulève de si lâches et si unanimes colères.
Prétendre que ceux qui y prirent part à un titre quelconque aient tout de suite compris nettement l’immense portée de la révolution du 18 mars, j’avoue en conscience qu’en ce qui me concerne ce serait fort inexact.
La spontanéité même de cette révolution implique, à mon avis, de multiples motifs.
Ce dégoût, cette irritation produite par l’ignoble conduite de la soi-disant « Défense nationale »1 durant le premier siège de Paris, en furent certainement les principales causes.
Ce dégoût, cette irritation s’étaient encore accrus, grâce à l’attitude honteuse des « ruraux de Bordeaux »2, assez indignes pour couvrir de huées le vieux Garibaldi3 en récompense de l’abnégation et du courage chevaleresque dont il venait de faire preuve à l’égard de la France républicaine.
Aussi, lorsque ces ruraux émirent la grotesque prétention de ramener Paris au rôle de simple préfecture, du premier département venu, la situation était suffisamment préparée pour que les Parisiens prissent au mot ces imbéciles et revendiquassent d’autant plus le droit de s’appartenir et d’administrer eux-mêmes leurs intérêts locaux, comme la plus simple commune de France.
Puis Paris, la ville révolutionnaire par excellence; la ville qui paya toujours de son sang le peu de libertés politiques jusqu’alors conquises par la France, Paris sentait trop que le fameux pacte de Bordeaux4, stupidement accepté par les députés soi-disant républicains, n’était que le moyen pour Thiers5 et ses complices de préparer un nouvel étranglement de la République6.
L’ensemble de toutes ces considérations était plus que suffisant pour qu’à la moindre provocation la colère générale fît explosion. Et c’est parce qu’on ne vit que cela tout d’abord que le mouvement fut accueilli sinon avec joie, du moins comme une inévitable nécessité.
Mais comment se fait-il en ce cas qu’il déchaîne à cette heure tant de blâmes, tant de rage même contre lui ?
D’abord parce que ce mouvement est vaincu et qu’on a peur de paraître l’avoir encouragé.
Mais il y a autre chose.
– Eh bien ! oui, nous répond-on. Oui, il y a les « crimes de la Commune » qui l’ont fait prendre en horreur par ceux mêmes qui, dès le début, l’avaient acclamée et l’auraient peut-être acceptée si elle s’était montrée sage et réservée.
Les « Crimes de la Commune ! » Voyez-vous cela !
Après deux mois d’atrocités sans nom commises par les Versaillais ! Après l’orgie de sang dont ils donnent le spectacle honteux depuis quinze jours, on ose parler des « Crimes de la Commune » !
La France serait-elle devenue sans remède un peuple d’imbéciles ?
Allons, soit; examinons cette question des « Crimes de la Commune », et sachons enfin ce qu’il y a au fond.
Il n’y a point à tenir compte – naturellement – de ce qu’en pensent les négateurs absolus de tous droits autres que ceux d’un monarque quelconque et des privilégiés dont le concours intéressé lui est indispensable.
Ce sont nos ennemis avérés, mais par cela même les moins dangereux. Aucune équivoque n’est possible entre eux et nous. Mais c’est de ceux qui se prétendent les amis de la République et presque de la Commune, de ceux qui du simple libéralisme vont au radicalisme le plus intransigeant, presque au socialisme enfin, quoiqu’ils s’accordent à nous traiter de « vils criminels », c’est de ceux-là qu’il importe de scruter les raisons qui les poussent à nous invectiver ainsi. D’après eux nos « crimes » se peuvent ainsi résumer:
1° La Commune n’a émis aucun programme permettant de se faire idée du but qu’elle poursuivait.
2° La Commune s’est immiscée dans des questions qui n’étaient point de sa compétence. Elle a voulu gouverner despotiquement la France. Le savant Littré7, à ce propos, nous place encore plus bas que Badinguet8 dans son estime.
3° Enfin la Commune, eût-elle eu mille fois raison dans son but et dans ses moyens, tuait la République et déchirait la patrie au moment où l’union de tous les citoyens était le plus nécessaire au salut commun.
C’est par l’examen même des faits reprochés à la révolution du 18 mars qu’il faut établir la mauvaise foi de ses accusateurs.
Est-ce que ceux qui reprochent à cette révolution de n’avoir été qu’un acte de turbulence et de ne s’être proposé aucun but défini, ne sauraient par hasard point lire ?
Que déclare le Comité central9 dès son entrée à l’Hôtel de Ville ?
« Que la révolution du 18 mars a d’abord pour but de restituer à Paris et par suite à la France entière la souveraineté effective, escamotée encore une fois par l’usurpation effrontée des gens du 4 Septembre10, et de rendre ainsi la nation maîtresse absolue de sa réorganisation politique et économique. »
Ne se considérant plus dès lors comme un Pouvoir, mais comme un instrument provisoire de la souveraineté populaire, ce Comité s’empresse d’inviter la population de Paris à élire des mandataires chargés d’étudier les bases de cette réorganisation.
N’est-ce pas là un premier plan d’action autrement précis que les programmes de tous les pouvoirs qui se sont succédé chez nous depuis bientôt un siècle ?
Et, trait inconnu jusqu’alors dans l’histoire de nos révolutions politiques, les nouveaux arrivés à l’Hôtel de Ville – déjà mandatés certes plus sérieusement que ne l’avaient été leurs prédécesseurs de 1830, 1848 et 187011 – apportent une telle fermeté dans la réalisation de leur programme que, malgré les obstacles et les intrigues, dix jours après, ils transmettent aux élus du peuple parisien le pouvoir que le gouvernement de Bordeaux avait laissé choir entre leurs mains.
Que font à leur tour les élus du 26 mars12 ?
Mentant à leur origine essentiellement populaire, s’érigent-ils en souverains ?
À l’exemple des gouvernements prétendus révolutionnaires – leurs prédécesseurs – ont-ils confisqué la souveraineté de leurs électeurs ? Les ont-ils jamais considérés comme n’ayant plus désormais qu’à obéir à de nouveaux maîtres ?
Écoutons leur président d’âge13, dès la séance d’ouverture du conseil communal :
« À la Commune, le soin des intérêts locaux.
Au département – ou à la région – le soin des intérêts régionaux.
Au gouvernement l’administration des intérêts nationaux. »
Est-ce qu’il n’y a pas là un programme politique et administratif absolument nouveau ?
Sans doute, il est critiquable, modifiable. Mais n’était-ce pas le renversement de la formule jusqu’alors chère à tous les partis politiques qui subordonnent la Commune à l’État ?
N’est-ce pas déclarer, au contraire, qu’à l’avenir l’État ne serait plus que la simple expression des intérêts communaux solidarisés14 ?
Dira-t-on que ce n’était là que l’exposé d’une conception personnelle à l’auteur et n’engageant que lui.
Cet exposé, ce programme était tellement la suite normale, logique des précédentes proclamations du Comité central, que le Conseil communal l’approuva unanimement, témoignant ainsi qu’il n’acceptait pas d’autre plan d’action.
Le député réactionnaire Tirard15 s’y trompa si peu que, relevant les acclamations dont cet exposé venait d’être l’objet, il en prit texte pour déclarer que le Conseil faisant par cela même acte politique, il n’avait plus, lui, qu’à se retirer.
Ainsi, un ennemi des plus acharnés de la révolution du 18 mars avoue spontanément que la Commune vient de formuler son programme.
Il y a plus. La Commune l’observa si scrupuleusement qu’aucun de ses décrets concernant soit les services publics, soit les nouvelles relations à intervenir entre employés et employeurs, ne fut adopté qu’après avoir été discuté au sein des commissions spéciales par les délégués des intéressés et sur leur propre assentiment.
On peut citer entre autres le décret relatif à la suppression du travail de nuit dans les boulangeries, décret qui ne fut rendu que sur la demande formelle des ouvriers de cette profession et d’après les indications qu’ils avaient fournies.
Reprocher à la révolution communaliste de n’avoir aucun programme, c’est faire preuve ou d’ignorance ou de la plus insigne mauvaise foi.
Soit, répliqueront certains adversaires prétendus bienveillants et équitables. Admettons comme programme de la Commune celui de son président d’âge, le citoyen Charles Beslay.
Pourquoi la Commune alors s’est-elle ingérée dans des questions ne relevant que de la nation, et par conséquent du gouvernement16 ?
C’est à faire rêver !
Comment! la Révolution du 18 mars, que venaient de provoquer les menées ayant pour but avoué de détruire la République, de replacer la France sous le joug d’intérêts purement dynastiques17 ; cette Révolution eût dû – par respect pour son programme – remettre au gouvernement issu des partis monarchiques coalisés le soin d’appliquer ce même programme ?
C’est alors que les délégués de la Commune eussent cent fois mérité d’être traités d’idiots et même de traîtres.
« Pour faire un civet, prenez un lièvre », dit un adage bien connu.
Pour que son programme pût se réaliser, ne fallait-il pas que disparussent en même temps et le gouvernement de Versailles et « l’Assemblée de malheur » qui l’avait nommé ?
Puis, d’autre part, est-ce qu’en jetant l’interdit sur Paris, en sommant les employés de quitter leur poste et de l’aller rejoindre à Versailles, le gouvernement de Thiers n’obligeait pas Paris à pourvoir d’urgence aux services d’intérêts à la fois communaux et nationaux, désorganisés du même coup ?
Est-ce qu’il ne fallait pas veiller à l’entretien et à la conservation du matériel et, chose plus importante encore, au fonctionnement de ces services, au nom même des intérêts publics qui s’y rapportent ?
Si la Commune, sottement soucieuse de ne point dépasser les limites de ses attributions purement locales, avait laissé, elle aussi, ces services publics à l’abandon, ceux qui lui font à cette heure un crime de s’en être occupée n’auraient pas assez de mépris ni d’injures pour stigmatiser son inertie.
Et quelle reconnaissance témoignent les vainqueurs versaillais aux citoyens qui se sont dévoués à cette œuvre d’intelligente conservation ?
Treillard18 – un vieux et sincère républicain, qui avait accepté la difficile tâche de diriger l’Assistance publique – a été fusillé sommairement.
Les membres de la Commission d’instruction publique, qui, non contents de veiller à ce que le service des écoles ne fût pas interrompu, s’occupèrent aussi de la conservation des musées, des bibliothèques et des collections de tous genres, sont en route pour les bagnes ou en exil, sous le coup de condamnations infamantes, comme Élie Reclus19, par exemple.
Tous ceux qui, au titre le plus infime, ont rendu quelque service à la population parisienne durant ces deux mois sont traqués, chassés comme bêtes féroces.
On a fusillé jusqu’à des médecins et des infirmières pour soins donnés aux blessés !
Les défenseurs prétendus de la civilisation songent même à se venger sur les facteurs du dévouement que ceux-ci ont apporté au maintien des relations de Paris avec la province.
Et ce sont des esprits soi-disant libéraux, de prétendus fils de la Révolution, des positivistes20, qui reprochent à la Commune de ne s’être pas simplement bornée à l’administration des seuls intérêts communaux de Paris !
Eh ! braves gens – ou que j’aime à croire tels – le jour où vous pourrez faire le départ exact – même en temps normal – des intérêts locaux de Paris d’avec les intérêts nationaux, vous aurez fait quelque chose de plus fort encore que de résoudre la quadrature du cercle.
– Ce n’est pas encore cela, disent à leur tour les patriotes et les républicains candides… ou non.
Vous avez « déchiré la patrie au moment où, plus que jamais, l’union lui était nécessaire. Vous avez tué peut-être la République ! »
Eh bien ! patriotes et républicains plus sincères qu’intelligents, examinons ce que vaut votre accusation.
Pour que votre reproche eût au moins quelque apparence de raison, encore faudrait-il que l’Assemblée nationale et son gouvernement eussent fait preuve d’un patriotisme auquel nous serions impardonnables de ne pas rendre hommage.
Est-ce en insultant Garibaldi, à Bordeaux, que nos adversaires ont fourni cette preuve de patriotisme ?
Est-ce en déblatérant contre l’opiniâtre résistance de Paris et en qualifiant ses défenseurs « d‘hommes à trente sous »21 ?
Est-ce en concluant la paix au plus vite et à tout prix avec l’envahisseur, afin de faire revenir d’Allemagne l’armée livrée par Bazaine22 et de la lancer sur Paris ?
« Périsse la France elle-même plutôt que de laisser triompher la Commune ! » Telle fut la formule adoptée par Thiers et l’assemblée versaillaise.
Et si l’envie leur prenait de crier à la calomnie – ces dévoués patriotes et leur ami, l’illustre « libérateur du pays » mettez-leur sous le nez les deux documents suivants, documents significatifs, signés par eux et qu’ils ne peuvent nier.
Le premier est daté du 21 mai 1871, à midi – quelques heures avant l’entrée des Versaillais dans Paris.
Il est adressé par Thiers à Jules Favre23 pour être communiqué à Bismarck24, qui voulait, lui aussi, en finir avec la Commune :
« Que M. de Bismarck soit bien tranquille. La guerre sera terminée dans le courant de la semaine. Nous avons fait une brèche du côté d’Issy. On est occupé à l’élargir… Je supplie M. de Bismarck au nom de la cause de l’ordre, de nous laisser achever nous-mêmes cette répression de brigandage antisocial qui a, pour quelques jours, établi son siège à Paris. Ce serait causer un nouveau préjudice au parti de l’ordre en France et, dès lors en Europe, que d’en agir autrement. Que l’on compte sur nous et l’ordre social sera vengé25 dans le courant de la semaine. »
Cette lettre, observe Jules Simon26 qui la reproduit dans son histoire du Gouvernement de Thiers, caractérise à merveille la situation.
Cet ex-mangeur de jésuites27 a absolument raison28.
Est-ce en effet la patrie qui est à sauver pour ces gens-là ? Allons donc. Il n’est question que du salut du parti de l’ordre en France et dès lors en Europe. Ce sont eux-mêmes qui l’écrivent à Bismarck, le suppliant de les laisser agir: On peut compter sur eux.
Mais voici autre chose de plus explicite encore et qui révèle à quelle hauteur s’élevait le patriotisme de ceux qui viennent de purger la France de ces monstres de trente-sous.
Ce second document émane d’un des plus ardents défenseurs de Thiers, d’une sommité du parti libéral, c’est-à-dire orléaniste :
« Beaucoup de gens regrettent qu’au 8 février 1871, les élus n’aient pas poussé la témérité jusqu’au bout et proclamé la monarchie à Bordeaux, en même temps qu’ils signaient le traité de paix. Les élus avaient là, dit-on, une occasion qu’ils ne retrouveront plus… Dieu sait maintenant où en serait la France. Le rétablissement de la royauté à Bordeaux eût été le signal de la guerre civile et la dissolution du pays. La Commune se serait imposée à toutes les grandes villes ; elle aurait soulevé jusqu’aux campagnes et nous n’aurions eu d’autre ressource contre elle que de livrer le reste de la France aux armées étrangères29. »
Cet aveu cynique est, sans vergogne, signé au bas d’une étude sur la « République conservatrice » par monsieur Ernest Duvergier de Hauranne30.
Qu’en pensez-vous, patriotes naïfs… (soyons polis) de ces dévoués défenseurs de la France ?
Ne trouvez-vous pas que tout ce ramassis de députés de Versailles et leur gouvernement peuvent maintenant, sans rougir, serrer la main de ceux à qui ils reprochaient, en 1816, de « revenir dans les fourgons des alliés »31 ?
Le patriotisme de Thiers et de toutes les classes dirigeantes, républicains et monarchistes ! C’est à crever de rire lorsqu’on en parle, vraiment.
La patrie, pour cette tourbe d’effrontés coquins, c’est la caisse. Leur France à eux va de la Banque à la Bourse et pas au-delà.
Aussi n’eurent-ils tous qu’un cri, du 4 septembre 1870 28 mai 1871 :
« Aidez-nous, braves Allemands, à sauver la caisse. Nous la partagerons ensemble. Nous trouverons bien le moyen de nous rembourser ensuite grâce au travail de ceux dont nous aurons égorgé les pères32. »
Gustave Lefrançais, Souvenirs d’un révolutionnaire, De juin 1848 à la Commune
1 Gouvernement provisoire, dit de la “Défense” nationale, formé le 4 septembre 1870, suite à la défaite de Sedan face aux prussiens et à la chute de Napoléon III.
2 Bismarck exigeant de négocier le traité de paix avec un gouvernement issu du suffrage des Français, des élections législatives avaient été organisées en février 1871; sur 638 sièges, la nouvelle Assemblée comptait 396 députés royalistes, essentiellement élus par la province, d’où le nom d’Assemblée des “ruraux” donné par les parisiens. L’Assemblée avait nommé Thiers “Chef du pouvoir exécutif de la République française” en attendant qu’il soit statué sur les institutions, la restauration de la royauté ne devant être envisagée qu’après la fin de l’occupation allemande. L’Assemblée siégea à Bordeaux jusqu’au 20 mars 1871, puis à Versailles.
3 Giuseppe Garibaldi (1807-1882): patriote italien ; lutta pour l’unification de l’Italie ; après avoir tenté de défendre à Rome la république (1849), il s’exila ; de retour en Italie (1854), il combattit d’abord contre l’Autriche, puis contre le royaume des Deux-Siciles (expédition des Mille, 1860) et contre la papauté ; combattit pour la France en 1870-1871 ; fut élu député à l’Assemblée de Bordeaux en février 1871 sans avoir été candidat ; déclina ses mandats mais se rendit à l’Assemblée pour défendre la cause de ses hommes ; la majorité monarchiste s’opposant violemment à toute intervention, il se retira.
4 Le pacte de Bordeaux est la proclamation par Thiers, le 10 mars 1871, d’un statu quo institutionnel entre monarchistes et républicains par le report du débat sur la nature du nouveau régime.
5 Adolphe Thiers (1797-1877): avocat, journaliste, historien et homme politique ; libéral sous la Restauration, il favorisa l’accession au trône de Louis-Philippe ; pénétra dans les cercles dirigeants ; organisa la répression contre l’agitation légitimiste de la duchesse de Berry (1832) et contre les insurrections républicaines de Lyon et de Paris (rue Transnonain) en 1834 ; président du Conseil en 1836 et en 1840 ; éloigné du pouvoir de 1840 à 1848 ; député à la Constituante en 1848 ; devint l’un des dirigeants du parti de l’Ordre sous la Législative (1849-1851) ; soutint la candidature de Louis Bonaparte à la présidence de la République ; député au Corps législatif en 1863 ; posa au libéral ; envoyé par Jules Favre dans les cours d’Europe, pendant la guerre de 1870 ; député à l’Assemblée de 1871, qui le nomma Chef du pouvoir exécutif (17 février 1871) ; fit choisir Versailles pour capitale et provoqua la guerre civile ; avec le soutien de l’Assemblée nationale, les généraux de l’Empire et l’aide de Bismarck, bombarda Paris et réprima la Commune ; sera désigné par l’Assemblée comme président de la République en août 1871.
6 Le fameux pacte de Bordeaux n’était que le moyen pour Thiers et ses complices, monarchistes et républicains, de préparer un nouvel écrasement du prolétariat.
7 Émile Littré (1801-1881): lexicographe ; positiviste, disciple indépendant d’Auguste Comte, il est l’auteur d’un monumental Dictionnaire de la langue française (1863-1873), communément appelé “le Littré”.
“J’abhorre la guerre que le prolétariat parisien vient de susciter. Il s’est rendu cruellement coupable à l’égard de la patrie, ivre qu’il était de doctrines farouches : le devoir étroit des gouvernements est de réprimer fermement le socialisme dans ses écarts anarchiques.”
8 Surnom satirique donné à Napoléon III (du nom de l’ouvrier qui, selon la légende, lui aurait prêté ses habits lorsqu’il s’évada du fort de Ham, en 1846).
9 Le comité central de la Garde nationale fut pendant la Commune une assemblée formée des délégués élus par les membres de la Garde nationale. C’était l’instance exécutive de la Fédération de la Garde nationale. Ce comité dirigea de fait la ville de Paris du soulèvement du 18 mars à la mise en place, le 28 mars, du Conseil de la Commune nouvellement élu.
10 Dans la nuit du 3 au 4 septembre 1870, dès l’annonce de la défaite, les députés du Corps législatif se réunirent. Les Parisiens envahirent bientôt le Palais-Bourbon et exigèrent l’instauration de la République. Les députés craignant d’être débordés par l’insurrection, Jules Favre leur suggèra alors de proclamer eux-mêmes la République à l’Hôtel de ville de Paris, comme aux plus beaux jours de la Révolution de 1789 ou de Février 1848. Pour séduire et rassurer la foule, Jules Ferry eut l’idée de constituer un gouvernement composé de députés républicains de Paris : c’est le gouvernement autoproclamé de “Défense nationale”, avec notamment Favre, Ferry, Simon, Crémieux et Gambetta (qui proclama la République)…
11 La révolution de 1830 fut reprise en main, sans mandat, par la bourgeoisie et ses députés (Thiers, déjà à la manœuvre…) qui instaurèrent une monarchie constitutionnelle plus libérale par un changement de dynastie (maison d’Orléans).
En février 1848, le Gouvernement provisoire autoproclamé (avec déjà Garnier-Pagès, Crémieux et Arago père…) (on retrouvera dans le Gouvernement provisoire de 1870 les deux premiers et Arago fils…) devra se résoudre, sous la pression du prolétariat parisien, à proclamer la République par la voix de Lamartine.
La même farce fut jouée en septembre 1870, avec Gambetta dans le rôle de Lamartine…
En mars 1871, le Comité central, lui, était élu par les membres de la Garde nationale.
12 Jour de l’élection des membres du Conseil de la Commune.
13 Charles Beslay (1795-1878): ingénieur, banquier et entrepreneur de travaux publics ; député après 1830 et en 1848-49 ; proudhonien ; membre de l’Internationale ; membre du Comité central républicain des Vingt arrondissements ; doyen des membres de la Commune ; membre de la Commission des Finances ; délégué à la Banque de France, dont il soutint les intérêts, il ne sera pas inquiété à la chute de la Commune.
14 “Mais la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre tel quel l’appareil d’État et de le faire fonctionner pour son propre compte.” (Marx, La Guerre civile en France) “Dans le dernier chapitre de mon 18 Brumaire, je remarque… que la prochaine tentative de révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique et militaire en d’autres mains, comme ce fut le cas jusqu’ici, mais à la détruire.” (Marx, Lettre à Kugelmann, 12 avril 1871)
15 Pierre Tirard (1827-1893): maire du IIe arrondissement ; joua au conciliateur entre la Commune et Versailles ; élu au Conseil de la Commune, il démissionna trois jours plus tard ; député puis sénateur sous la IIIe République, plusieurs fois ministre, il finira président du Conseil des ministres.
16 C’est, en somme, toute l’argumentation dont se servent MM. Lanjalley et Corriez – tous deux positivistes – pour combattre la Commune, dans leur Histoire de la révolution du 18 Mars. (N. de l’A.)
17 À l’Assemblée des “ruraux”, les royalistes sont divisés entre légitimistes (182 députés) et orléanistes (214 députés). Comme successeur au trône de France, les légitimistes soutiennent le comte de Chambord (Henri d’Artois, petit-fils de Charles X) qui prône un retour à l’Ancien Régime (“…personne, sous aucun prétexte, n’obtiendra de moi que je consente à devenir le roi légitime de la Révolution“), tandis que les orléanistes, acceptant l’héritage de la Révolution française et partisans d’une monarchie constitutionnelle libérale, soutiennent le comte de Paris (Philippe d’Orléans, petit-fils de Louis-Philippe).
Après l’écrasement de la Commune, la division irréconciliable des royalistes sur la question de l’héritage de la Révolution capitaliste de 1789 permettra l’établissement définitif de la République. Comme Thiers l’avait déjà dit en 1850 à ses collègues exploiteurs: “La République est le régime qui nous divise le moins.” Autre avantage de ce régime, confirmé en 1871: “La République a de la chance, elle peut tirer sur le peuple.” (Louis-Philippe, exilé en Angleterre après la Révolution de 1848, apprenant que Cavaignac avait fait tirer sur le prolétariat parisien, le 25 juin 1848).
18 Camille Treillard (1810-1871): avoué ; ancien proscrit de 1851 ; délégué des Vingt arrondissements ; signataire de l’Affiche rouge du 6 janvier 1871 ; nommé directeur général de l’Assistance publique par la Commune ; fusillé le 24 mai 1871 par les Versaillais.
19 Élie Reclus (1827-1904): journaliste, écrivain, ethnologue et militant anarchiste ; franc-maçon ; sous la Commune, directeur de la Bibliothèque nationale et membre d’une commission chargée de la réorganisation de l’enseignement primaire ; sera condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée ; il était le frère aîné d’Élisée Reclus.
Élisée Reclus (1830-1905): géographe, auteur d’une Géographie universelle (1875-1894) ; théoricien et militant anarchiste ; pédagogue ; membre de l’Internationale ; communard ; capturé par les Versaillais, les armes à la main, le 4 avril 1871 ; sera condamné à la déportation simple, commuée en dix années de bannissement ; membre de la Fédération jurassienne.
20 Le positivisme est un courant philosophique fondé au XIXe siècle par Auguste Comte, qui voit dans l’observation des faits positifs (concrets), dans l’expérience, l’unique fondement de la connaissance, et dans la création d’une “physique sociale”, la condition de l’accès de l’humanité au bonheur. C’est une pensée de soumission (fille de la Révolution, en effet…) parfaitement adéquate au devenir capitaliste du monde, qui part de ce qui est, du concret immédiat, qui s’en tient aux relations entre les phénomènes et ne cherche pas à connaître leur nature intrinsèque ; qui se désintéresse des causes premières et de l’histoire. Ici, la conscience observe la vie sociale comme un objet extérieur à elle.
Pour Marx, au contraire: “La bonne méthode, la seule conceptuellement correcte ne consiste pas à commencer par le réel et le concret qui constituent la condition préalable effective mais à s’élever de l’abstrait au concret… manière pour la pensée de s’approprier le concret, de le re-produire sous la forme d’un concret de pensée… Le concret est concret parce qu’il est la synthèse de multiples déterminations, donc unité de la diversité. C’est pourquoi il apparaît dans la pensée comme procès de synthèse, comme résultat, non comme point de départ, bien qu’il soit le véritable point de départ et par suite également le point de départ de la vue immédiate et de la représentation. La première démarche – celle qui part d’un concret pour le réduire à des abstractions simples sans pouvoir dépasser le niveau de rapports généraux – a réduit la plénitude de la représentation à une détermination abstraite ; avec la seconde, les déterminations abstraites conduisent à la reproduction du concret par les véritables chemins du penser.” (Introduction à la critique de l’économie politique)
“Il n’existe qu’un seul véritable savoir, celui de l’histoire…” (L’Idéologie allemande)
La pensée communiste est pensée de l’émancipation ; elle ne vise pas à simplement observer le monde extérieur et en rendre compte ; elle vise à comprendre le monde, qui est sa propre substance, pour le transformer… “J’étudie ces jours-ci accessoirement Comte, puisque les Anglais et les Français font un tel battage autour de ce type. Ce qu’ils y trouvent séduisant, c’est son côté encyclopédique, la synthèse. Mais c’est lamentable comparé à Hegel (bien que Comte, mathématicien et physicien de profession, lui soit supérieur, c’est-à-dire supérieur dans le détail, Hegel étant, même dans ce domaine, infiniment plus grand dans l’ensemble). Et cette merde de positivisme est parue en 1832 !” (Lettre de Marx à Engels, 7 juillet 1866)
21 Avant la Commune, l’indemnité versée aux membres de la Garde nationale était de 30 sous par jour.
22 Achille Bazaine (1811-1888): maréchal de France ; aprè avoir participé à la guerre de Crimée (1855), il commanda en chef au Mexique (1863), puis en Lorraine (1870) ; bloqué dans Metz, il y capitula (oct.) ; sera condamné à mort (1873), peine commuée en vingt ans de détention ; il s’évadera et gagnera Madrid.
23 Jules Favre (1809-1880): avocat et homme politique ; se fit une réputation en défendant, sous la Monarchie de Juillet, des bourgeois républicains ; sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 1848 ; député à la Constituante et à la Législative (1848-1851) ; député au Corps législatif (1863) sous l’Empire ; membre de l’Académie française ; membre du gouvernement de “Défense” nationale (1870) et ministre des Affaires étrangères ; négocia aussitôt avec Bismarck ; fut l’un des artisans de la capitulation ; négocia, avec Thiers, le traité de Francfort ; ennemi acharné de la Commune (“Il n’y a pas à pactiser avec l’émeute. Il faut la dompter, il faut châtier Paris!“) ; sollicita contre Paris l’aide prussienne ; s’efforce d’obtenir l’extradition des communards réfugiés à l’étranger ; le scandale de sa vie privée (falsifications de plusieurs états civils à son intérêt personnel) obligera Thiers à se passer de ses services.
24 Otto, prince von Bismarck (1815-1898): homme politique prussien ; appelé à la présidence du Conseil de Prusse par Guillaume Ier (1862), il réalisa l’unité allemande au profit de la Prusse de 1864 à 1871 ; après avoir battu l’Autriche à Sadowa (1866), il créa la Confédération de l’Allemagne du Nord ; puis, à l’issue de la guerre franco-allemande (1870-1871), qui se solda par l’annexion de l’Alsace-Lorraine, il fit proclamer l’Empire allemand, à Versailles, le 18 janvier 1871 ; devenu chancelier de cet Empire (IIe Reich), il pratiquera une politique autoritaire, engageant contre les catholiques le Kulturkampf (1871-1878) et s’efforçant de neutraliser les sociaux-démocrates par la répression et par l’adoption d’une législation sociale avancée ; devant renoncer à l’alliance des Trois Empereurs (Allemagne, Autriche, Russie), il conclura avec l’Italie et l’Autriche la Triplice (1882) ; il quittera le pouvoir en 1890, peu après l’avènement de Guillaume II.
25 L’ordre social capitaliste sera vengé…
26 Jules Simon (1814-1896): philosophe ; député républicain à la Constituante de 1848 ; opposant au Second Empire ; ministre de l’Instruction publique du gouvernement de la “Défense” nationale. Lui qui s’était fait un devoir “moral” de dénoncer le coup d’État du 2 décembre 1851 de Louis-Napoléon Bonaparte, restera ministre de l’Instruction publique de Thiers durant la Commune, et jusqu’en 1873 ; il deviendra président du Conseil en 1876.
27 Fondée en 1540 par Ignace de Loyola, la Compagnie de Jésus avait très tôt opté pour le ministère de l’enseignement, rendu indispensable par les nécessités de la Réforme catholique (ou Contre-Réforme), mouvement de réaction à la Réforme protestante. Au XVIIIe siècle, les Lumières marchandes supprimèrent la Compagnie de Jésus dans la plupart des pays catholiques d’Europe. La Compagnie fut rétablie par le pape Pie VII en 1814. Au XIXe siècle, les jésuites subirent de nouvelles mesures d’expulsion ou de bannissement (comme l’ensemble des congrégations religieuses). En France, deux décrets seront signés le 29 mars 1880 par Charles de Freycinet, président du Conseil, et Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique, pour d’une part expulser de France les jésuites et d’autre part imposer aux autres congrégations religieuses de demander une “autorisation d’enseignement”. Vers une éducation marchande pleinement réalisée…
28 Le Gouvernement de Thiers, par Jules Simon, 3e édition, tome II, page 183. (N. de l’A.)
29 Revue des Deux Mondes, livraison du 1er août 1872, pages 568 et 569 (N. de l’A.)
30 Ernest Duvergier de Hauranne (1843-1877): journaliste, auteur de récits de voyage et homme politique orléaniste ; capitaine de mobiles pendant la guerre franco-allemande de 1870 ; élu député en juillet 1871 ; favorable à une “République conservatrice”.
31 Allusion à la Restauration monarchique suite à la défaite de la France napoléonienne à Waterloo (1815) contre l’armée des Alliés, dirigée par le duc de Wellington et composée de Britanniques, d’Allemands et de Néerlandais, rejointe par l’armée prussienne commandée par le maréchal Blücher, défaite qui permit le retour des exilés de la Révolution française (majoritairement nobles et ecclésiastiques, mais aussi bourgeois et paysans fuyant la Terreur).
32 “Capitalistes de tous les pays, unissez-vous!”… Voilà un slogan que les intéressés n’ont jamais eu à écrire, tant ils l’ont naturellement intégré…