La loi de la baisse du taux de profit comme immanence auto-invalidante du capital

Extrait des Grundrisse, par Karl Marx


Le capital se comporte vis-à-vis de la plus-value comme s’il la créait lui-même, comme s’il en était le fondement. La plus-value se présente ainsi comme une valeur à la fois présupposée et créée par le capital.

En une période déterminée – choisie comme unité de mesure de ses rotations parce qu’elle est l’étalon naturelle de sa reproduction dans l’agriculture -, le capital produit une plus-value déterminée non seulement par la plus-value créée au cours du procès de production, mais encore par le nombre de ses rotations, ou des reproductions de son procès de production au cours d’une période donnée.

Dès lors que la circulation s’ajoute au procès de production immédiat et entre dans le procès total de la reproduction du capital, la plus-value n’est plus le simple rapport du capital au travail vivant (ce rapport direct ne représente donc plus qu’un élément du mouvement total).

Le capital apparaît comme augmentant sa propre valeur, c’est à dire comme étant lui-même la source et la raison de la plus value, dès qu’il se manifeste comme le sujet actif de tout le procès qu’il fonde, si bien que, dans la rotation, le procès de production immédiat est effectivement conditionné par le mouvement du capital, indépendamment de son rapport avec le travail. Le capital se présente comme un produit ayant sa propre source de production, valeur produite créant sa propre valeur.

En conséquence, il mesure la valeur nouvellement produite à lui-même, en se rapportant à lui-même comme à sa propre condition préalable, sans prendre pour étalon réel le rapport entre le surtravail et le travail nécessaire .

Un capital de valeur déterminé crée en un temps donné une plus-value déterminée. Le capital étant posé comme valeur se valorisant, la plus-value ainsi mesurée à la valeur préalable du capital, c’est le profit. Considérée sous cet angle – non pas de l’éternité, mais du capital -, la plus-value est le profit. Le capital se distingue de lui-même et en lui-même, en apparaissant comme une valeur qui produit et se reproduit, et comme profit et valeur nouvellement produite.

Le produit du capital, c’est le profit. La grandeur de la plus-value est donc mesurée au quantum de valeur du capital; le taux de profit est déterminé par la proportion de sa valeur à celle du capital.

La majeure partie de ce que nous analysons ici a déjà été élucidée plus haut. Il convient donc de reprendre d’abord tout ce qui a été dit par anticipation. Si la valeur additionnelle qui est de même nature que le capital, est de nouveau investie dans le procès de production et conservée à titre de capital, le capital augmente et agit désormais comme une valeur plus grande.

D’abord le capital introduit une différence entre lui et le profit, valeur nouvellement produite, en se présentant comme la condition préalable de la valeur qui se valorise et en posant le profit comme mesure de sa valorisation ; ensuite, il abolit cette séparation et identifie le profit à lui-même en s’accroissant de son montant, pour recommencer une fois de plus le procès à une échelle encore élargie. En parcourant un circuit, il s’accroît lui-même en tant que sujet de ce mouvement, et décrit ainsi un cercle qui s’élargit sans cesse, une spirale.

Nous pouvons résumer maintenant les lois générales que nous venons de développer. La véritable plus-value est déterminée par le rapport entre le surtravail et le travail nécessaire, ou entre la portion du capital matérialisé – portion de travail matérialisé – qui s’échange contre le travail vivant, et la portion de travail matérialisé que remplace l’ouvrier. En revanche, sous forme de profit, la plus-value est mesurée par rapport à la valeur totale du capital avancé pour le procès de production.

En supposant une même plus-value (un même surtravail par rapport au travail nécessaire), le taux de profit dépend donc du rapport entre la partie du capital échangée contre le travail vivant et la partie formée par les matières premières et les moyens de production.

En conséquence, si la portion échangée par le travail est faible, le taux de profit est bas.

Le taux de profit baisse donc à mesure que le capital en tant que tel occupe une place grandissante par rapport au travail immédiat, c’est-à-dire que la plus-value relative, ou la puissance créatrice de valeur, augmente.

Nous avons vu que la partie avancée du capital en vue de sa reproduction se développe de manière spécifique en raison de l’augmentation du capital fixe qui est la force productive déjà produite et le travail matérialisé, doué d’un simulacre de vie. (Voir le Chapitre sur l’automation, publié précédemment sur ce site)

Si l’on considère chacune des portions du capital, la part du capital échangée contre le travail vivant sera, par rapport à la valeur totale, moindre que la part du capital existant sous forme constante. L’industrie manufacturière l’illustre bien. A mesure que le capital fixe (machinerie, etc.) augmente, il faut de toute nécessité que la partie du capital existant sous forme de matières premières augmente aussi, tandis que la portion échangée contre le travail vivant diminue. Le taux de profit baisse donc par rapport à l’ensemble de la valeur du capital avancé pour la production – et même de la partie agissant comme capital dans la production.

Le rapport de la valeur nouvellement produite à la valeur avancée (et reproduite) est donc d’autant plus faible, que le capital déjà produit est important. A plus-value égale, c’est à dire à un même rapport entre le surtravail et le travail nécessaire, le profit peut donc varier, et il le fait selon le volume des capitaux.

Le taux de profit peut également baisser, alors que la plus-value réelle augmente. De même, il peut augmenter, alors que la plus-value réelle baisse. En fait, le capital peut augmenter dans la même proportion que le taux de profit, si la partie du capital avancée comme valeur sous forme de matières premières et de capital fixe augmente dans le même rapport que celle qui est échangée contre du travail vivant.

Or, ce rapport uniforme entre les deux parties du capital implique une croissance du capital sans augmentation ni développement de la force productive du travail. C’est pourquoi, la première hypothèse abolit la seconde. Au demeurant, cette uniformité est en contradiction avec la loi du développement capitaliste, et plus particulièrement avec la croissance du capital fixe.

Ce genre de progression existe uniquement dans les stades où le mode de production utilisé par le capital n’est pas encore conforme à la nature du capital, ou dans les sphères de production où sa domination n’est encore que formelle, dans l’agriculture par exemple. La fertilité naturelle du sol peut y avoir le même effet qu’une augmentation du capital fixe; autrement dit, le temps de surtravail relatif, peut augmenter, sans que doive diminuer la quantité de travail vivant. C’est ce qui se produit par exemple aux État-Unis.

Contrairement au taux de profit qui est essentiellement une proportion et un rapport, le profit brut est une simple somme de valeur, qui augmente comme le capital, et non comme le taux de profit. En conséquence, si le taux de profit est en raison inverse de la valeur du capital, la somme de profit sera en raison directe avec elle. Mais, il faut remarquer que ces rapports ne sont vrais qu’à un niveau modeste du développement de la force productive du capital ou du travail.

Un capital de 100 rapportant un profit de 10% donne une somme de profit moindre qu’un capital de 1000 ayant un profit de 2%. Dans le premier cas, le profit sera de 10, et dans le second de 20; autrement dit, le profit brut du grand capital est double de celui du capital dix fois moindre, bien que son taux de profit soit 5 fois moindre. En revanche, si le profit du grand capital n’était que de 1%, la somme de son profit serait de 10, c’est-à-dire égal à celui du capital dix fois plus petit: son taux de profit aurait baissé en proportion de son volume.

Si le taux de profit du capital de 1000 n’était que de 1/2 %, la somme de son profit serait de 5, soit la moitié de celui du petit capital. S’il en était ainsi, c’est que son taux de profit serait 20 fois moindre.

Voici la formulation générale. Si le taux de profit du plus grand capital ne diminue pas dans un même rapport que son volume, le profit brut augmentera malgré la baisse du taux de profit. Si le taux de profit baisse dans le même rapport que son volume, le profit brut sera le même que celui du plus petit capital: il restera stationnaire. Si le taux de profit baisse dans un rapport supérieur à l’augmentation de son volume, le profit brut du grand capital baissera, comparé à celui du petit, et ce, en proportion de la baisse du taux de profit.

A tous points de vue, c’est la loi la plus importante de l’économie moderne. En outre, elle est essentielle à la compréhension des rapports les plus complexes. Du point de vue historique, c’est la loi la plus importante. Malgré toute sa simplicité, cette loi n’a jamais été comprise jusqu’ici, c’est dire qu’elle n’a jamais été formulée de manière consciente et claire.

En outre, la baisse du taux de profit signifie que: 1° il existe déjà une force productive déterminée constituant la base matérielle de la production nouvelle, ce qui suppose en même temps un énorme développement de la science; 2° la partie du capital produite en vue de son échange contre le travail immédiat commence à décroître; autrement dit, il y a diminution du travail immédiat, nécessaire à la production d’une valeur énorme s’exprimant en une grande masse de produits, dont le prix baisse puisque la somme totale des prix est égale au capital reproduit + le profit; 3° le capital en général, et donc aussi la portion qui n’est pas du capital fixe, augmente.

Il en résulte un ample trafic, un montant élevé des échanges, un marché immense, et une universalité du travail effectué simultanément, un développement des moyens de communication et du fonds de consommation nécessaire pour entreprendre ce gigantesque procès (car les ouvriers mangent, sont logés, etc.). Or, tout cela suppose que les forces productives matérielles soient développées aussi bien sous forme de capital fixe que de la science, de la population etc., bref, de toutes les conditions de la richesse.

Les moyens les plus favorables à la reproduction des richesses exigent le développement universel de l’individu social. Or, l’auto-valorisation du capital abolit le capital au lieu de le produire, lorsque les forces productives, introduites par le capital au cours de son développement historique, ont atteint un certain niveau d’extension. Au-delà d’un certain point, le développement des forces productives devient un obstacle pour le capital, – et le rapport capitaliste lui-même devient une entrave au développement des forces productives du travail.

Arrivé à ce point, le capital – et donc le travail salarié – entre dans le même rapport vis-à-vis du développement de la richesse sociale et des forces productives que l’esclavage, les corporations et le servage vis-à-vis du développement historique de leur temps. Étant une entrave, le rapport capitaliste est nécessairement éliminé.

La dernière forme de servitude revêtue par l’activité humaine – le travail salarié d’un côté, et le capital de l’autre – tombe telle un écaille: c’est le résultat même du mode de production capitaliste. Les conditions matérielles et intellectuelles de la négation du salariat et du capital qui niaient eux-mêmes en leur temps les formes antérieures de la production sociale non libre, sont à présent le résultat de la production capitaliste elle-même.

L’inadéquation croissante du développement productif de la société aux conditions de production actuelles se manifeste au travers de contradictions tranchantes, de crises et de convulsions. Les destructions violentes de capital dues non pas à des conditions extérieures, mais à celles de sa propre conservation, telle est la forme la plus frappante de l’avertissement qui lui est donné de céder la place à un mode de production supérieur, et de disparaître.

La loi de la baisse du taux de profit détermine non seulement un accroissement des capacités scientifiques, mais fixe la mesure où elles sont déjà posées comme capital fixe, ainsi que la proportion et l’ampleur où elles sont effectives et dominent l’ensemble de la production.

De même, elle réagit sur le mouvement de la population, etc., bref, sur tous les éléments de la production. En effet, les forces productives du travail, tout comme l’application de la machinerie, sont en rapport avec la population, dont l’accroissement est déjà, en soi et pour soi, la présupposition aussi bien que le résultat de l’accroissement des valeurs d’usage devant être reproduites, et donc consommées.

Comme la baisse du taux de profit correspond à une diminution du travail immédiat par rapport au travail objectivé qu’il reproduit et qu’il crée de nouveau, le capital mettra tout en oeuvre pour contrarier la baisse du travail par rapport au quantum du capital en général: autrement dit, de la plus-value exprimée comme profit par rapport au capital avancé.

Il tentera, en outre, de réduire la part attribuée au travail nécessaire, et d’augmenter encore davantage la quantité de surtravail par rapport à l’ensemble du capital employé. En conséquence, le maximum de développement de la puissance productive ainsi que le maximum d’extension de la richesse existante coïncideront avec la dévalorisation du capital, la dégradation de l’ouvrier et un épuisement croissant de ses forces vitales.

Ces contradictions provoqueront des explosions, des cataclysmes et des crises au cours desquels les arrêts momentanés de travail et la destruction d’une grande partie des capitaux ramèneront, par la violence, le capital à un niveau d’où il pourra reprendre son cours. Ces contradictions créent des explosions, des crises, au cours desquelles tout travail s’arrête pour un temps, tandis qu’une partie importante du capital est détruite, ramenant le capital par la force au point où, sans se suicider, il est à même d’employer de nouveau pleinement sa capacité productive.

Cependant, ces catastrophes qui le régénèrent régulièrement, se répètent à une échelle toujours plus grande et finiront par provoquer son renversement violent.

Dans la forme développée du capital, il existe encore d’autres facteurs que les crises pour freiner ce mouvement. Ainsi, par exemple, la constante dévalorisation d’une partie du capital existant, la transformation d’une grande partie du capital en capital fixe ne servant pas d’agent de la production directe, le gaspillage improductif d’une large portion de capital, etc.

Comme nous l’avons vu, le capital productivement utilisé est toujours doublement remplacé, puisque la valorisation du capital productif suppose un équivalent. La consommation improductive du capital le remplace d’un côté, mais le détruit de l’autre. *

La baisse du taux de profit peut, en outre, être freinée grâce à la suppression de certains prélèvements effectués sur le profit, par exemple une diminution des impôts, de la rente foncière, etc; mais quelle que soit l’importance pratique de la question, elle n’a pas sa place ici. En effet, il s’agit de portions du profits auxquelles on donne des appellations diverses et qui sont appropriées par d’autres que le capitaliste. **

De même, la baisse du taux de profit est freinée par la création de nouvelles branches de production qui exigent plus de travail immédiat par rapport au capital, et qui n’ont pas encore développé les forces productives du travail, ou mieux du capital. Il en est de même des monopoles. (141 a)

William Atkinson s’est payé le luxe d’écrire: “Le profit est synonyme d’augmentation du capital ou de la richesse; ignorer les lois régissant le taux de profit, c’est se condamner à ne jamais saisir les lois de la genèse du capital.” (Angl.). Or, pour sa part, il n’a pas réussi à définir ce qu’est le taux de profit.

A. Smith explique la baisse du taux de profit par l’augmentation du capital à partir de la concurrence entre les capitaux. Ricardo lui rétorque que la concurrence peut certes ramener les profits à un niveau moyen dans les diverses branches d’industrie, mais qu’elle ne peut abaisser ce niveau moyen lui-même.

La formule de Smith est exacte dans la mesure où les lois immanentes du capital et ses tendances se réalisent uniquement au travers de la concurrence. Mais elle est fausse au sens où il l’entend, à savoir que la concurrence impose au capital des lois introduites de l’extérieur, des lois qui ne seraient pas les siennes propres. La concurrence peut abaisser le taux de profit dans toutes les branches de l’industrie , et ce durablement, à condition qu’une baisse générale et constante ait l’effet d’une loi et se manifeste avant la concurrence et sans égard pour elle.

La concurrence exécute les lois immanentes du capital; elle en fait des lois nécessaires et coercitives pour chaque capital particulier, mais elle n’est pas à leur origine. Elle les réalise. Vouloir expliquer ces lois simplement à partir de la concurrence, c’est admettre qu’on ne les comprend pas.

Pour sa part, Ricardo (144) déclare: “Aucune accumulation de capital ne peut faire baisser les profits de manière durable, à moins qu’il n’y ait quelque cause, également durable qui fasse hausser les salaires.”

Il voit cette cause dans la productivité toujours décroissante de l’agriculture, dans “la difficulté croissante d’augmenter le quantum des subsistances”, c’est-à-dire dans l’augmentation du salaire relatif, le travail ne bénéficiant pas d’une augmentation réelle, mais le produit absorbant plus de travail nécessaire pour produire les produits agricoles.

La baisse du taux de profit correspond chez lui à une augmentation nominale du salaire, et réelle de la rente foncière. Il n’en saisit donc qu’un cas particulier. C’est comme si l’on déclarait que le taux de profit baisse en raison d’une augmentation momentanée du salaire, ou si l’on érigeait en loi générale un fait qui se vérifie au cours d’une période de 50 ans, mais évolue en sens inverse dans les 50 années suivantes, tel le déséquilibre historique entre le développement de l’agriculture et celui de l’industrie.

Quoi qu’il en soit, il est bizarre que Ricardo , Malthus, etc., aient découvert des lois générales et éternelles de la nature à un moment où la chimie physiologique existait à peine. Il n’en reste pas moins vrai que les idées de Ricardo ont été attaquées par tout le monde avec l’intuition qu’elles étaient fausses et peu satisfaisantes: en réalité, on s’en est plus souvent pris à leur côté juste qu’à leur côté faux.

Voici un passage caractéristique : “A. Smith pense que l’accumulation ou l’augmentation du capital en général fait baisser le taux moyen du profit, en vertu du principe que l’augmentation du capital dans n’importe quelle branche particulière y diminue le profit. Or, une telle augmentation de capital dans une branche particulière signifie tout simplement un accroissement proportionnellement plus fort que celle qui se produit au même moment dans les autres branches” (Angl.).

Ramsay affirme : “La concurrence entre les capitalistes industriels peut niveler les profits qui sont très au-dessus de la moyenne, mais elle ne peut les rabaisser au-dessous de ce niveau moyen.”

Ramsay et d’autres économistes distinguent avec raison l’augmentation de la productivité selon qu’elle s’effectue dans les branches d’industrie produisant le capital fixe, les moyens de subsistance ou les articles de luxe. Dans cette dernière, elle ne peut pas diminuer le temps de travail nécessaire, à moins que les articles de luxe ne s’échangent contre des produits agricoles de nations étrangères, ce qui équivaudrait à une augmentation de productivité dans l’agriculture. C’est ce qui explique l’importance qu’attachent les capitalistes industriels au libre-échange des céréales.

Ricardo affirme : “Le fermier et le manufacturier ne peuvent pas plus vivre sans profit, que l’ouvrier sans salaire” (Angl.). Et plus loin : “Les profits tendent tout naturellement à baisser, parce qu’avec le progrès de la société et de la richesse, le surcroît de subsistances nécessaires exige un travail toujours croissant. Cette tendance ou, pour ainsi dire, cette gravitation du profit est souvent freinée par les améliorations apportés à la machinerie qui aide à la production de biens de consommation ainsi que par les découvertes agronomiques, qui diminuent les frais de production.”

Ricardo confond directement profit et plus-value. Au demeurant, il n’a jamais fait de différence entre eux.

Alors que le taux de plus-value est déterminé par le rapport entre le surtravail approprié par le capital et le travail nécessaire, le taux de profit est déterminé par le rapport entre la plus-value et la valeur totale du capital avancé pour la production. Le taux de ce dernier monte ou baisse, selon le rapport de la partie du capital échangée contre du travail vivant et celle formée par le matériel et le capital fixe usé. Dans tous les cas, la plus-value considérée comme profit doit exprimer un taux moindre que celui de la plus-value réelle, puisqu’elle se mesure toujours d’après le capital total qui est forcément plus grand que le capital utilisé pour les salaires et échangé contre le travail vivant.

La plus-value doit toujours baisser tendanciellement, si le rapport entre le surtravail et le travail nécessaire, c’est-à-dire le travail exigé pour la reproduction du travail nécessaire diminue. C’est ce qui fait dire à Ricardo que les forces productives du travail doivent décroître. Ainsi, il dit que la force productive du travail diminue dans l’agriculture, tandis qu’elle augmente dans l’industrie, au fur et à mesure de l’accumulation du capital. De l’économie, il se réfugie ainsi dans la chimie organique.

Nous avons démontré que la tendance à la baisse du taux de profit était nécessaire sans que nous ayons pour autant à faire intervenir la rente foncière, ni par exemple la demande croissante de travail. De toute façon, nous n’avons pas à analyser ici le rapport entre la rente foncière et le profit. Cette étude a sa place ailleurs. Pour ce qui est du postulat physiologique de Ricardo, qu’il énonce comme une loi universelle, la chimie moderne a démontré qu’il était faux.

Les disciples de Ricardo, et notamment les économistes modernes, récitent religieusement l’enseignement du maître, ou bien ils laissent carrément tomber ce qui leur est désagréable dans ses principes. Leur méthode générale pour résoudre les problèmes, c’est de les écarter.

D’autres économistes, tel Wakefield par exemple, se réfugient dans des considérations sur la sphère d’emploi du capital croissant. En fait, cette étude entre dans l’analyse de la concurrence qui révèle les difficultés que rencontre le capital dans la réalisation de profits grandissants, bref, elle ignore la tendance immanente à la baisse du taux de profit. Mais, on ne peut compter les Wakefield et consorts parmi ceux qui ont posé la question. Au fond, il s’agit d’une reproduction plus ou moins fidèle des conceptions d’A. Smith.

Cependant, considérons les harmonistes de l’économie la plus récente, qui ont a leur tête l’américain Carey, dont l’encombrant et importun second est le français Bastiat (notons en passant, que c’est une étrange ironie de l’histoire que les libres-échangistes du continent répètent religieusement les leçons d’un Bastiat qui tire toute sa sagesse du protectionniste Carey.)

Les harmonistes admettent que le taux de profit tend à baisser au fur et à mesure que le capital productif s’accroît. Mais, ils l’expliquent simplement et bonnement (fr.) par l’augmentation de la valeur du salaire moyen. De cette façon, l’ouvrier touche une portion croissante du produit total, tandis que, pour sa part, le capital reçoit en compensation des profits bruts accrus. Les désagréables contradictions et antagonismes dans lesquels évolue l’économie politique classique – et que Ricardo met en évidence avec une rigueur scientifique inexorable – sont aussi dilués dans des harmonies bien heureuses.

L’analyse de Carey présente encore quelque apparence d’un raisonnement, notamment quand il fait allusion à une loi que nous avons considérée lors de l’étude sur la concurrence. Dans le chapitre de la concurrence, nous réglerons cette question.

En revanche, nous pouvons tout de suite régler la question de Bastiat. Celui-ci est la fadeur incarné ; Il se complet à exprimer les lieux communs sous forme de paradoxes, en soignant le brillant de ses formules afin de cacher la pauvreté extrême de sa pensée sous le vernis de logique formelle.

Notons en passant, que c’est néanmoins Proudhon qui fait piètre figure dans sa polémique avec Bastiat, où il cache son impuissance dialectique sous des prétentions rhétoriques. Jetons un coup d’œil sur “la gratuité du crédit. Discussion entre M. Fr. Bastiat et M. Proudhon.” et notamment sur la lettre VIII de Bastiat (où ce noble coeur fait tout bonnement et simplement remarquer que le profit qui, en raison de la simple division du travail, revient à la fois au constructeur de la route et à son utilisateur, doit aller, de par la dialectique conciliatrice de l’auteur, au chemin lui-même (autrement dit, au capital)).

[…] (Se référer à la page 283 du tome 2 des Grundrisse aux éditions anthropos paris)

Mais Ricardo avait flairé son Bastiat. Lorsqu’il affirme qu’en dépit de la baisse du taux de profit, la somme des profits augmente avec l’accroissement du capital – autrement dit, lorsqu’il anticipait sur toute la sagesse de Bastiat -, il ne manque pas de remarquer que ce progrès “n’est vrai que pour une période déterminée”.

[…] (Se référer à la page 284 du tome 2 des Grundrisse aux éditions anthropos paris)

Ricardo voit cette tendance à la baisse du taux de profit en rapport avec l’augmentation du capital, et comme il confond la plus-value avec le profit, il doit faire augmenter le salaire pour permettre au profit de baisser. Mais, il constate en même temps que le salaire baisse plutôt qu’il n’augmente dans la réalité, il fait augmenter nominalement sa valeur, c’est-à-dire la quantité de travail nécessaire, sans pour autant augmenter sa valeur d’usage. Pratiquement, ne fait donc augmenter que la rente foncière.

En revanche, l’harmoniste Bastiat découvre qu’avec l’accumulation des capitaux, le salaire doit augmenter de façon relative et absolu. Il suppose ce qu’il doit démontrer, à savoir que la diminution du taux de profit correspond à une augmentation du taux du salaire, et il “illustre” ensuite son hypothèse par des calculs auxquels il semble avoir pris beaucoup de plaisir.

En tout cas, on a affaire à tout autre chose, lorsque la baisse du taux de profit exprime une diminution du travail vivant nécessaire à la reproduction du capital total. M. Bastiat néglige le petit fait que, dans ses prémices, il fait augmenter le capital avancé pour la production, alors que le taux de profit du capital baisse.

Même Monsieur Bastiat aurait pu savoir que la valeur du capital ne peut augmenter que s’il s’approprie un surtravail croissant. Les récoltes pléthoriques qui ont provoqué tant de lamentations dans l’histoire française auraient pu lui montrer que la simple augmentation des produits ne donne pas lieu à une augmentation de la valeur. Dès lors, il ne s’agissait plus que de rechercher si la baisse du taux de profit signifie une augmentation du taux du surtravail par rapport au travail nécessaire, ou mieux, si la part global du travail vivant utilisé ne diminuait pas par rapport au capital reproduit.

M. Bastiat réparti tout simplement le produit entre le capitaliste et l’ouvrier, au lieu de le répartir entre matière première, instrument de production et travail, et de se demander ensuite en quelles parties aliquotes sa valeur s’échange contre ces diverses portions.

Il est évident que les ouvriers n’ont rien à voir avec la partie du produit qui s’échange contre les matières premières et les instruments de production. Ce qu’ils partagent avec le capital (salaire et profit), c’est uniquement le travail vivant nouvellement ajouté. Mais, le souci essentiel de Bastiat, c’est de savoir qui doit manger le produit accru. Puisque le capitaliste en mangera une portion relativement moindre, ne faut-il pas que l’ouvrier en mange une portion accrue d’autant ? Bien qu’en France la production globale ne procure pas autant de bien à consommer que Bastiat se plait à l’imaginer, il lui aurait été facile, justement dans ce pays, de se convaincre qu’un grand nombre de parasites se pressent autour du capital pour y puiser à tel ou tel titre une quantité suffisante pour empêcher l’ouvrier de ne jamais pouvoir s’en sortir.

En outre, il est clair qu’à une grande échelle de la production, la masse totale du travail utilisée peut augmenter, bien que la portion de travail utilisé par rapport au capital diminue. Rien n’empêche donc qu’avec l’augmentation du capital, une population ouvrière croissante ait besoin d’une plus grande masse de produits.

Par ailleurs, Bastiat, dans l’esprit harmonieux duquel tous les chats sont gris, (…), confond la diminution de l’intérêt avec l’augmentation du salaire, alors que l’intérêt est lié bien plutôt au profit industriel et ne concerne absolument pas les ouvriers, puisqu’il dépend simplement du rapport dans lequel les différents capitalistes partagent entre eux le profit global.

  • * En d’autres termes, la loi de la baisse du taux de profit exprime purement et simplement le rapport entre la croissance de la population – et notamment de la partie laborieuse de celle-ci – et le capital déjà produit. Nous aurons à la développer sous cet angle dans le chapitre consacré à la théorie de la population. (Marx)
  • ** Cette loi de la baisse du taux de profit trouve encore une autre expression: le rapport des nombreux capitaux entre eux, c’est-à-dire la concurrence. Sous cet angle, elle est à étudier dans un autre chapitre. Elle se manifeste, en outre, comme loi de l’accumulation des capitaux (cf. par exemple Fullarton). Nous en traiterons dans le chapitre suivant. Il importe de noter que cette loi ne régit pas seulement le développement des forces productives en puissance, mais encore le degré selon lequel elles agissent, à titre de capital, en tant que capital fixe, d’une part, et population, de l’autre. (Marx.)
  • (141a) Marx développe davantage ce point dans le “Capital”, III, chap. XIV, sur les “Causes qui contrecarrent la loi” de la baisse tendancielle du taux de profit (Ed. Soc., VI, p. 245-53). Il traite dans le même livre la question de la baisse du taux de profit.