« La Communauté est la réalité de l’idée morale » (Marx)
« La Communauté est l’idéalité de la force physique »

Avertissement de l’éditeur

Ce texte, redécouvert presque par hasard parmi des documents concernant la gauche communiste d’avant–guerre, a dû être polycopié à un petit nombre d’exemplaires par son auteur, qui l’envoya aux divers groupes de la « Gauche Communiste Internationale » (qui était composé de fractions belge, italienne et française). De Raoul Brémont on sait seulement qu’il participa au « groupe de Marseille » de la G.C.I., alors en multiples scissions après le problème du soutien aux victimes de la guerre civile-impérialiste espagnole. Rien ne permet de dire quelle en fut son audience: mais c’est, à notre connaissance, une des seules affirmations communistes de cette époque, riche en manifestations contre-révolutionnaires de toutes natures. La conception ici élaborée de la Communauté concerne la société toute entière, l’humanité enfin sortie de la Préhistoire, et n’a donc rien à voir avec le phénomène des « communautés » créées ici où là, qui s’accommodent très bien du monde existant. Nous n’avons fait que corriger les fautes de frappe, assez nombreuses, et quelques fautes d’orthographe, en conservant certaines tournures, considérées comme incorrectes mais ici assez expressives, et la ponctuation (les points de suspension ne représentent jamais une coupure dans le texte).

Préliminaires

I. La matière.

Est à la base de tout ce qui existe. D’abord, la Matière, dont nous connaissons quelques-unes des propriétés ou manifestations, que nous commençons, pour ainsi dire, à peine d’étudier.
Ce qu’elle n’est pas : cette substance brute, inerte, des théologiens, laquelle n’est qu’une abstraction au même titre que le pur esprit.
Ce qu’elle est : les choses réelles, considérées au travers de leurs transformations, apparitions, disparitions, actions et réactions réciproques.
Comment est-elle ? À la fois ici et là, c’est-à-dire partout, autrement l’attraction, le mouvement, le changement seraient inexplicables – or la Matière est d’abord cela. Dans son acuité qualitative, elle est ici en moi qui pense, parle, agit et l’exprime en m’exprimant ; dans sa totalité quantitative, en tant que masse grave, elle est partout. D’une part, nous avons l’individu, dont la conscience, dont la conception abstraite sont celles de l’atome ; de l’autre, les choses extérieures en tant qu’étendue ou milieu. On n’abstrait pas la Matière de cette opposition ni de ses manifestations.

II. Nature extérieure et nature propre, ou milieu et individu.

On a vu que la Matière parvient à la vie, c’est-à-dire à la manifestation de plus en plus diversifiée et perfectible d’elle-même, en s’opposant à elle-même sous la forme dualitique de l’individu et du milieu.
Tout individu est un produit de son milieu, du milieu de ceux qui l’ont engendré : cette règle ne souffre point d’exceptions.
L’individu peut, dans une certaine mesure, transformer son milieu, ou même le quitter, volontairement ou non, pour un autre plus adéquat : cela n’infirme nullement ce que l’on a soutenu.
3° Tout anarchiste, admettant cela, accomplit un grand pas vers le « marxisme scientifique » et finit par considérer l’« individu en soi » (c’est-à-dire abstraction faite du milieu « social » et « naturel ») et la « Nature – en-soi » (c’est-à-dire abstraction faite des individualités conscientes qui s’y trouvent déterminées) comme de pires abstractions utiles seulement pour des rêveries subjectives de petit-bourgeois. Les notions corrélatives, donc incomplètes, d’« individu » et de « Nature » doivent donc être révisées et finalement amenées à coïncider en l’homme, autrement dit : la communauté1. La suite de ce modeste travail va nous éclairer là-dessus.

III. L’état de non-nature et de non-société.

L’individu perdu dans les glaces ou dans la jungle, ou errant au travers d’un désert brûlant, s’il n’y est pas adapté physiquement, et surtout s’il ne possède pas l’équipement indispensable, comme des fourrures et de l’alcool, un fusil, un casque insolaire, etc. peut-être considéré comme traversant un milieu de non-société et de non-nature.

L’individu qui tombe lentement, mais de tout son être, c’est-à-dire sans espoir de retour, d’un certain rang social à celui de prolétaire2; celui qui vit au jour le jour, qui travaille assidûment, dans des conditions pénibles, pour un salaire lui permettant à peine de subsister ; le chômeur qui cherche du travail ; celui qui souffre du manque constant des choses les plus nécessaires à l’existence… de la privation de libertés, des jouissances les plus élémentaires,… peut être considéré aussi comme traversant un milieu de non-Société et de non-Nature.

Par là on peut voir que la nature propre de l’homme (lequel est à la fois plus et moins qu’un animal : un inadapté intelligent) – le fait qu’il ne saurait trop longtemps souffrir de la faim, du froid, des privations, etc., sans perdre son caractère propre, son caractère humain ; le fait qu’il est presque toujours plus ou moins affecté par un milieu qui n’est pas, qui ne saurait jamais être absolument le sien (l’homme n’a pas des manifestations limitées en nombre et en intensité comme l’animal des forêts, mais il ne dispose pas non plus de sa résistance aux intempéries) – coïncide avec la nonnature extérieure : le gel, la bête féroce, l’ardeur du soleil, etc., par l’intermédiaire3 de la société, de l’industrie des hommes qui la composent, de ses produits comme de ses soins : la mère qui nourrit et réchauffe l’enfant… du charbon, un fusil, un casque, etc., en un mot tous les produits.

Et comme à lui tout seul l’homme (homo faber) isolé ne saurait faire tous ces engins ou équipements, comme le sauvage fait son arc et ses flèches, ou comme le blaireau creuse son terrier, on voit que le besoin, la nécessité de l’homme, dans la mesure où il est un être souffrant, travaillant, se transportant, étudiant, aimant, se révoltant… c’est la co-existence, la co-opération4 de l’autre homme, c’est-à-dire la société (l’industrie en société d’abord) à l’aide de laquelle il peut poursuivre la conquête de sa non-nature propre, au bénéfice de sa propre nature : la nature humaine, laquelle n’est pas, comme font semblant de le croire certains anarchistes, de vivre comme un sauvage, aller nu, manger de l’herbe… et autres enfantillages rétrogrades, mais la libre manifestation la plus ingénue et la plus juste de sa volonté, de sa compréhension, de sa vision, de son amour compréhensif de toutes les choses.

IV. Non-société des individus nécessités. Notion Première du prolétariat.

1° Les faits particuliers isolés n’intéressent guère la science, c’est-à-dire l’Histoire, l’Émancipation des travailleurs et de tous les hommes (de la Matière, de ses lois), qui s’occupe essentiellement de faits pouvant être facilement groupés pour en extraire des lois, lesquelles sont l’expression souvent approchée mais généralisée de la réalité concrète en mouvement ; qui s’occupe de recherches utilitaires en faveur de la création, de la conservation, de la reproduction de la vie humaine. Ainsi, ce n’est guère qu’un sentiment de curiosité superficielle ou de vague humanitarisme qui porte notre attention vers le sort malheureux d’un audacieux parachutiste ou les récits d’explorateurs vivant dans un milieu extrême de non-nature, même de peuples errant dans les déserts arctiques…

Le prolétariat paysan5. Mais il est autour de nous, dans la campagne même de France, et particulièrement en Espagne, en Italie, dans les Balkans, l’Europe Centrale, l’U.R.S.S., des individus isolés par de vastes étendues peu praticables, parfois encore réduits à la seule force de leurs bras pour pourvoir à leur nourriture et à celle des leurs, soumis à l’inclémence des temps, fortement déterminés par un atavisme particulièrement âpre et dur, par le lieu qu’ils habitent, l’état de leurs pères, par l’argent, vivant souvent parmi les animaux, ne connaissant que peu de choses du confort, dominés par la nécessité sous sa forme la plus besogneuse. Eux et leurs familles forment comme un monde à part du monde actuel, d’intérêts encore très opposés à ceux de la famille ouvrière, et la somme de ces petits mondes, y inclus ceux des tâcherons et journaliers, forme ce qu’on peut appeler le prolétariat-paysan.

Le prolétariat ouvrier. À peu près démuni de toute propriété, parfois même mobilière, souvent suspendu à la griffe rapace des logeurs et autres bandits du meublé ; en bonne partie composé d’individus solitaires ou provisoirement unis, de chômeurs, d’étrangers, d’individus errants ou même déclassés, le prolétariat des villes est assez connu sans qu’il ait besoin d’être davantage défini. À côté du monde des ouvriers, ou producteurs directs, se situe celui plus équivoque des employés, transporteurs, facteurs… Le prolétariat-ouvrier, réuni en masses plus denses, sinon plus vastes, et sans cette obsession de la terre-propriété privée, qui courbe malgré lui le front du paysan anarchiste, constitue la tâche sombre qui borde le manteau éclatant des grandes villes, et c’est pour lui que la politique occupe une si grande place dans l’administration de cette société des devoirs dans la non-société des droits6.

V. Société des individus libres. Notion seconde du Prolétariat.

1° Mais ces hommes, qui sont aussi des esclaves, portent dans leurs mains enchaînées le moyen même de leur libération : ces chaînes les unissent à la réalité matérielle des choses comme à la dure réalité sociale ; l’union de tous les exploités-opprimés7 dans le travail ou devant la mort sur le champ de bataille, est aussi leur union dans la lutte des classes et la dissolution révolutionnaire des fronts de combat.

La matière sociale, qui se connaît enfin comme telle, comme matière brute, utile seulement pour l’édification et le soutien de la société des riches, la hiérarchie des puissants et des entremetteurs, s’oppose à la détermination extérieure à son être même, voulue par l’état actuel des choses, c’est-à-dire la structure économico-politique de la « société », au profit de sa détermination propre : le monde des hommes libres8.

3° Ainsi, le prolétariat conscient9 peut-il être considéré à juste titre comme le produit le plus précieux de la décomposition actuelle10 de la société du capital11 : il porte avec fermeté ses mains profanes sur tout ce que cette bande hypocrite lui a appris à considérer comme sacré pour le détruire12 et grandir, cette fois de sa propre force et vers des buts qui sont les siens propres13.

VI. « Prolétariat » et « classe ouvrière ».

1° On14 a voulu faire du Prolétariat l’apanage de la seule classe ouvrière des villes et plus particulièrement de cet élément de la classe ouvrière dont le travail sert de base pour un grand nombre d’autres et lequel est des plus productifs pour le grand Capital15. On a voulu exclure du Prolétariat théorique (considéré sous sa notion dualiste, si l’on préfère) sinon les tâcherons et autres journaliers agricoles, ou les fermiers, du moins les paysans pauvres vivant sur leur sol. On a exclu de même la portion déjà prolétarisée de fait et lucidement avertie de sa chute de la petite ou moyenne bourgeoisie, les employés et fonctionnaires subalternes dont certains, tels que les PTT, les Ponts et Chaussées, etc. sont productifs, tout le « lumpen-prolétariat » (le chiffonnier est un artisan mais un producteur, etc.).

Toute exclusivité en cette matière nous paraît exagérée : rappelons donc encore à ce sujet la définition basique de Marx et les corollaires tirés à cet ouvrage absolument unique en son genre qu’est la « Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel » (Costes édit. Œuvres Philosophiques, tome I). « La critique de la religion aboutit à cette doctrine que l’homme est, pour l’homme, l’être suprême. Elle aboutit donc à l’impératif catégorique de renverser toutes les conditions sociales où l’homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable… » (p. 97). « Pour que la révolution d’un peuple et l’émancipation d’une classe particulière de la société bourgeoise coïncident, pour qu’une classe représente toute la société, il faut, au contraire, que tous les vices de la société soient concentrés dans une autre classe16, qu’une classe déterminée soit la classe du scandale général, la personnification de la barrière générale ; il faut qu’une sphère sociale particulière passe pour le crime notoire de toute la société, si bien qu’en s’émancipant de cette sphère on réalise l’émancipation générale. Pour qu’une classe soit, par excellence, la classe de l’émancipation, il faut inversement qu’une autre classe soit ouvertement la classe de l’asservissement17 » (p. 102).

3° Mais, dira-t-on, ces « prolétaires-types » que vous nous proposez selon Marx, sont en réalité plutôt des « fascistes » que des « révolutionnaires », des « communistes »… D’abord, répondrai-je à mon contradicteur, qui est-ce qui vous a dit que les ouvriers des villes et particulièrement cette aristocratie métallurgiste qui peuple les banlieues de la capitale, étaient réellement des « révolutionnaires » plutôt que des sortes de « fascistes rouges », et qui est-ce qui vous a dit que les « fascistes » étaient moins révolutionnaires que les francs-maçons démocrates ou staliniens, ou l’aristocratie cégéto-planiste ? Mais nous réglerons cette question plus loin. Contentons–nous de répondre pour l’instant qu’il est notoire que la « décomposition aiguë de la classe moyenne » dont parle Marx n’a pas donné tous ses effets : les industriels (grands ou petits) n’ayant pas encore été dépossédés par la bande stalino-cégétiste avec la complicité de l’État… D’autre part, les dévaluations successives n’ont pas encore enlevé à la petite bourgeoisie, aux artisans, etc. toute créance en l’État qui ne saurait plus désormais être le leur (dont ils ne sont plus propriétaires comme il y a près de 100 ans).

4° En réalité, les ouvriers des usines ont acquis depuis très longtemps un sens collectif grégaire, une habitude de la lutte en commun qui n’est certes pas négligeable du point de vue révolutionnaire… tandis que les autres groupes, couches ou même classes sociales (la paysannerie par exemple, laquelle dans son ensemble est bien aussi une classe productrice) appuient davantage sur le côté : individualisme, indépendance personnelle. Pour elles, par exemple, le « communisme »18 s’avère plutôt comme étant le triomphe de la véritable « propriété privée », c’est-à-dire de la liberté individuelle physique et morale, de la pleine et entière possession de soi-même ; et ce sens anarchiste du « communisme », bien que très incomplet, n’a rien qui soit contraire à l’idée que nous pouvons nous faire de la société sans classes, mais nous aide au contraire à la déterminer (Cf. t. VI, Œuvr. Ph. Costes éd.). La véritable notion de cette dernière, d’après nous, est plutôt une synthèse entre la pensée purement anarchiste et cette dialectique communiste hégélo-darwinienne de la Gauche, par exemple, que le triomphe exclusif de l’une ou de l’autre.

5° Mais qui ne conférerait, avec le grand et sincère Gorter, qu’aux seuls prolétaires ouvriers des usines de l’Ouest-Européen la qualité de « prolétaires », se verrait opposer le comique embourgeoisement, la « faim d’or » dont, en France du moins, cette portion de la Société est affectée au moins autant que les autres ; cette confiance imbécile, – l’est-elle tant que cela ? – en un quelconque et répugnant bandit de la politique, confiance dont les paysans, par exemple, tout comme la bête sauvage, sont totalement dépourvus, sans compter cet appétit féroce de domination, ce mal hiérarchique qui corrompt particulièrement cette partie stalinienne de la classe ouvrière.

Constatation comique : il paraît donc que la préhistoire19 a condamné la partie de la classe ouvrière qui semblait destinée à embraser le monde de sa raison révoltée à défendre en dernier ressort un capital de jour en jour plus mobile, plus puissant parce que davantage réuni. C’était bien la peine vraiment de chanter : « Hideux dans leur apothéose, les rois de la mine et du rail » et « Dans les coffres-forts de la bande… », etc., pour le moment propice arrivé se ranger doucement du côté du sac tentateur. Et qu’on ne me dise pas que la faute en est aux « mauvais bergers », voilà une chose que je ne crois qu’en faible partie. Tout cela n’est peut-être pas très agréable à entendre, mais pour nous, qui ne cherchons pas à « arriver », qui n’avons de mots d’ordres à recevoir de personne, qui n’avons par conséquent à flatter personne et rien à dissimuler, tout est bon à dire de la réalité sociale, si malheureuse soit-elle.

7° Quant à la petite bourgeoisie, considérée en elle–même, et quant à la classe paysanne en général : elles ne sont guère dignes d’un grand intérêt, surtout la première, dont le nationalisme agressif et ridicule, jusqu’à la dernière guerre, s’est mesuré à la sotte et puérile vanité de se distinguer d’un allemand en étant par exemple un français ; il est bien vrai qu’elle a bien réfléchi depuis lors et transformé sa sottise magistrale en fourberie calculée. Dans l’exploitation du prolétaire, elle n’a jamais tenu que la queue de la poêle et disposé que des rogatons…, maintenant, aux trois quarts ruinée par les dévaluations, elle peut disparaître, elle et, ses préjugés, son hypocrisie manifeste, son spiritisme, sa gêne, son ennui, et personne ne la pleurera ; non plus que le paysan avare, dur et mesquin, l’artisan souvent malhonnête dont elle provient. Nous n’avons pas parlé de la haute et moyenne bourgeoisie, non plus que du monde des fonctionnaires : nous allons donc en toucher un mot : la haute bourgeoisie, ce sont les bagnards intelligents et décidés qui réussissent ; la moyenne, ce sont les bagnards estropiés et endormis qui ne peuvent courir aussi vite que les autres ; quant aux fonctionnaires (tous peureux de la manière la plus hideuse) ils cumulent en général en eux l’hypocrisie du prêtre et le sens hiérarchique de l’adjudant.

Mais par-delà toutes les classes exploitées par le grand Capital d’une manière plus ou moins indirecte, la classe ouvrière demeure celle sur laquelle scientifiquement toute l’économie capitaliste repose, là-dessus nulle révision n’est naturellement possible ; mais par classe ouvrière nous devons dès maintenant établir une distinction entre les ouvriers qui produisent pour la nourriture, pour l’habillement, le transport… (tous les besoins de la vie)… et ceux qui travaillent sciemment à l’anéantissement tragique de leur être propre : le prolétariat. Nous voulons parler des ouvriers de l’industrie de guerre, et pas de ceux qui le font à contrecœur, comme les soldats, mais de ceux-là mêmes qui en font une profession de foi : les métallurgistes staliniens20, non seulement nouveaux fonctionnaires (ils travaillent avec l’argent du budget, escroqué aux masses) mais futurs bourreaux du prolétariat et particulièrement du prolétariat paysan, qui sait très bien dès maintenant qu’il ferait surtout les frais de la prochaine guerre. Or, le paysan, malgré qu’il cultive généralement sa propriété privée, est et demeure un producteur, et le premier des producteurs. Il nous paraît donc plus simple, plus efficace, plus réel et plus pratique d’envisager le prolétariat sans qu’il soit nécessaire, – car ce n’est peut-être pas possible – de déterminer exactement où il commence et où il se termine, s’agisse-t-il d’un combattant sans foi ni profit, d’un ouvrier chômeur ou pauvrement salarié, d’un quelconque exploité sans espérance de devenir exploiteur à son tour, d’un révolté de tempérament ou plus simplement d’un quelconque dépossédé des luttes sociales qui se permet quand même de relever la tête. Car celui qui ne relève pas la tête ne mérite le nom de prolétaire que dans la demi-acceptation du mot. Ce n’est d’ailleurs nullement l’usine, comme on le sait, mais plutôt le salariat et la colère de l’exploité doublé d’un opprimé qui font le prolétaire.

VII. Confirmation par les faits et par Marx de ce qui précède.

1° De Marx, nous nous contenterons de citer le passage essentiel suivant toujours extrait de la « Contribution à la critique du droit » (p. 105 et 106) : « Où donc est la possibilité positive de l’émancipation allemande ?21 Voici notre réponse : il faut former une classe avec des chaînes radicales, une classe de la société bourgeoise qui ne soit pas une classe de la société bourgeoise, une classe qui soit la dissolution de toutes les classes, une sphère qui ait un caractère universel par ses souffrances universelles22 et ne revendique pas de droit particulier22 parce qu’on ne lui a pas fait de tort particulier, mais un tort en soi22, une sphère qui ne puisse plus s’en rapporter à un titre historique, mais simplement au titre humain22, une sphère qui ne soit pas en une opposition particulière avec les conséquences, mais en une opposition générale22 avec toutes les suppositions du système politique allemand, une sphère enfin qui ne puisse s’émanciper, sans s’émanciper de toutes les autres sphères de la société et sans, par conséquent, les émanciper toutes22, qui soit, en un mot, la perte complète de l’homme, et ne puisse donc se reconquérir elle-même que par le regain complet de l’homme22. La décomposition de la société en tant que classe particulière, c’est le prolétariat22 Quand toutes les conditions intérieures auront été remplies, le jour de la résurrection allemande sera annoncé par le chant éclatant du coq gaulois. »

2° Veut-on voir maintenant comment les délégués des métallurgistes (il ne s’agit pas là de Jouhaux, mais des délégués librement élus par les ouvriers de l’armement) comprennent leur devoir prolétarien ? Nous lisons ce qui suit dans un communiqué du 15 mars de la présidence du Conseil que la presse a largement reproduit…

« Répondant à l’appel du gouvernement, les délégués des organisations ouvrières ont affirmé de nouveau leur volonté de contribuer activement à l’organisation de la défense du pays, de son indépendance (??? la France indépendante du Capital ?) et de ses libertés » (la liberté pour les 3 autres quarts des travailleurs et des dépossédés du Capital, dont les chômeurs, de se faire tuer pour les gangsters au pouvoir !).

« Ils ont été d’accord pour examiner, dès aujourd’hui et sans interruption, avec le ministère de la défense nationale, et sous le contrôle des administrations compétentes, avec les industriels intéressés, toutes les mesures de dérogation pour chaque cas particulier, etc., etc. » (c’est immédiatement à l’issue de cette réunion que s’est tenu le Comité Permanent de la Défense Nationale !).

L’Union Syndicale des ouvriers et ouvrières de la métallurgie et similaires de la région parisienne communique le 18 mars :

« Le bureau du Syndicat des métaux de la région parisienne, désireux de mettre à exécution sans retard les mesures envisagées en vue d’accélérer la production destinée à la Défense Nationale, soucieux de la défense de la paix (!) décide de soumettre aux travailleurs de l’aviation les propositions suivantes qu’il adresse au ministère de la Défense Nationale :… Déterminer les entreprises qui peuvent immédiatement procéder à des fabrications massives d’avions… Prendre sans délai les mesures qui s’imposent pour empêcher le sabotage de la production et mettre toutes les usines en mesure de produire à plein ; ces conditions réalisées, les ouvriers de ces entreprises prendront l’engagement de travailler autant qu’il faudra pour la Défense Nationale. En plus, ils sont prêts à faire gratuitement une heure de travail par jour pour l’armée républicaine espagnole qui « défend la paix et la sécurité de la France » (sic)23.

Du même coup, même des journaux à tendances fascistes comme « Le Petit Marseillais » se sont attirés la sympathie des anarchistes en répondant par l’éditorial suivant :

«… C’est ici que s’est jouée une comédie politique sur laquelle il convient d’attirer l’attention. Nos gouvernants temporaires ont vu arriver les délégués de la C.G.T., tout le gratin marxiste de cet État dans l’État, et ils ont consenti à traiter avec eux pour les heures supplémentaires de travail que l’on voudra bien accorder à la défense de la nation.

Bien entendu, à la suite de cette conversation stupéfiante où Moscou a été représenté et a parlé en maître, il y aura chez nous des privilégiés à salaires surélevés et qui, en cas de guerre, se tiendront parfaitement à l’abri.

Les travailleurs exclus des fabrications d’armements et les chômeurs par milliers seront tout désigné pour aller se battre, s’il y a lieu, et, en attendant, demeureront dans l’inquiétude et la misère24.

C’est que, même dans la paix, une aristocratie du travail s’est créée, avides de gains25 astronomiques et pas du tout disposée à partager quoi que ce soit avec les copains qui se mettent la ceinture.

Et plus encore que les camarades des villes, cette aristocratie ignore la paysannerie française. Pas un travailleur de la terre n’a été appelé au conseil tenu par les rats cégétistes. Le cultivateur est, par destination, sacrifié à la politique de la cité. C’est lui qui a fourni, lors de la guerre, le plus grand nombre de victimes…26 » – Petit Marseillais du 17 mars —.

Mais ce n’est pas tout. Supposons en effet la guerre engagée… avec l’armée de Franco et Cie, dans le Midi de la France : du coup, inutile pour ces messieurs du Gouvernement et de la Syndicale (C.G.T.) de s’enfuir à Bordeaux comme en 191427.

La population parisienne, qui verra les faits d’assez loin, se tiendra plus ou moins tranquille, occupée en grande partie à travailler dans ses usines d’aviation, de tanks, etc.28

Pendant ce temps, que des villes comme Perpignan, Narbonne, Béziers, Sète, Montpellier, Nîmes, Avignon, Aix, Toulon, Cannes, Nice et surtout Marseille, la cité prolétaire par excellence, gonflée et débordante de travailleurs misérables, soient bombardées et détruites dans une guerre larvée et localisée pour les besoins de la cause, cela sera un détail. Ceci, qu’on en soit certain, n’a pas échappé aux populations gasconnes, languedociennes et provençales, qui ne pêchent pas par indolence d’esprit, en général, et qui, j’en suis sûr, changeront bien tranquillement de nationalité plutôt que de supporter les horreurs d’une guerre. Il n’est que de converser avec les gens, particulièrement ceux des campagnes, pour se rendre compte qu’un grand nombre a compris ou presque compris le coup qui se prépare et n’aura garde d’en faire les frais. Je dis cela pour que les métallurgistes cégéto-staliniens de Paris ou d’ailleurs ne se fassent pas d’illusions sur notre compte. Plutôt Franco à ma porte qu’un porc qui trahit sa classe à défendre ! Un seul drapeau : celui de la trahison à lui opposer29 !

VIII. Société des individus raisonnables et déterminés : l’action prolétarienne.

Il serait hégélien de soutenir que le Prolétariat manifeste d’abord une conscience, ensuite une volonté, puis une lutte finale. Le Prolétariat se connaît lui-même comme tel, manifeste une conscience propre, autrement dit connaît la Société Bourgeoise30 en tant qu’il agit comme une classe sociale, qu’il lutte contre les hiérarchies pour échapper à l’exploitation et à la mort ; qu’il veut être libre, jouir des produits sans aucun intermédiaire… La première lutte qu’il engage est naturellement une lutte pour la diminution des heures de travail et l’augmentation des salaires (chez les paysans, le refus de l’impôt, le refus de la conscription peuvent être assimilés à une lutte de caractère prolétarien). L’essentiel est de reconnaître que, avant toute idéologie et lutte idéologique il y a ce monde matériel, et lutte entre les forces de ce monde31.

La Somme des revendications prolétariennes, en quelque sorte l’unification « objective » des consciences de soi lésées, des aspirations « manifestatives » des prolétaires conscients, la conscience prolétarienne, comme on dira vulgairement, dressée chez certains groupements, mieux à même de par les circonstances individuelles, d’effectuer cette sorte de compilation érudite ou d’exprimer dans toute sa force cette volonté, d’en tracer les objectifs, d’en nier les limites… est tout ce qui nous reste de la philosophie, autrement dit la critique matérialiste32. Celle-ci sera forcément éternelle, car la Société présentera toujours quelque défectuosité sur laquelle devra s’exercer la critique de l’esprit humain ; ce sont les défectuosités de la Société qui donnent naissance à cet esprit de critique. Mais le « parti du prolétariat », comme le nomment les « marxistes », n’est pas une conscience séparée de son corps : le prolétariat, et quand on dit qu’elle y est unie, il s’agit de s’entendre. Cette conscience n’est nullement la conscience du Prolétariat en tant que chaque prolétaire isolé, inconscient, y possède là son trésor de conscience, c’est-à-dire de sagesse, de perspicacité, de hardiesse, d’héroïsme… qui le libérera, lui inconscient, le moment venu. Une telle conception, celle de la Gauche Communiste, celle des bolcheviks, est purement idéaliste et conduit droit au Capitalisme d’État, au Stalinisme, au Fascisme Rouge. Et quand le leader Jacobs se défend que la Gauche Communiste puisse être séparée de l’être même du Prolétariat, parce que soutenir que l’être et la pensée sont séparés : c’est faire de l’idéalisme33, on peut toujours lui répondre qu’il n’est pas encore prouvé pour ceux qui ne sont pas en son sein que la Gauche Communiste ait une philosophie qui corresponde réellement à l’émancipation du Prolétariat (elle correspond même à tout le contraire !), parce que, dans ce cas, cette philosophie serait matérialiste, alors qu’au commencement, la Gauche Communiste ne pose ni la matière, ni l’inconscience, ni les Masses, mais elle-même, sa chère elle-même sous la forme d’un principe, et d’un principe éternel : la trahison au profit du capital (Lire Bilan, n° 1 et 2)34.

IX. L’individu socialiste = l’homme naturel.

1° D’abord, la Nature vierge35, la Jungle… se défriche, devient cultivée ; les animaux féroces sont détruits ou repoussés36… l’homme lutte contre le climat, qui n’est plus toujours celui de ses origines, en apprenant à faire du feu, à forger, à tisser, se couvrir, irriguer, etc.

2° Ensuite, ce n’est plus seulement le milieu en tant que nature extérieure, mais en tant que société (non–nature, non société) qui le préoccupe (du moins qui préoccupe l’homme repoussé hors de sa propre nature, c’est-à-dire du confort physique, etc. de la société de l’autre, de sa manifestation sociale) par suite des contingences : faiblesse physique, ou intellectuelle, ou pécuniaire, ou maladie, ou infirmité, ou hasard malheureux, ou indolence naturelle, ou inéluctabilité actuelle, pour la plupart des hommes, de se trouver en bas plutôt qu’en haut… alors que sa chair demeure quand même une chair humaine, apte à ressentir la souffrance humaine, l’émotion humaine, le désespoir humain, et pas devenue, par le seul fait de la situation sociale de son individu, insensible au tapement infernal des machines, à l’angoisse du lendemain, à l’épuisement terrible du labeur paysan, à la pénétration des balles, etc.

3° Dans cette période, qui se distingue mal de la précédente, parce que la lutte des classes dans la non-société date de temps très reculés37, l’homme poursuit avec efficacité la lutte contre la nature extérieure (des faits comme la découverte du Nouveau-Monde, etc. peuvent être assimilés à une lutte victorieuse contre la limitation physique de cette nature)38 et tâche de dompter de plus en plus la sienne propre, intime : être maître de soi, agir consciemment, rejeter la routine, les préjugés… les deux faits sont corrélatifs.

4° Enfin, la Communauté apparaît, non39 par une longue évolution, mais par une révolution à caractère prolétarien qui coïncide avec une émancipation universelle à laquelle succède évidemment une évolution indéfiniment perfectible ; et cela, parce que le salariat est détruit (oui ou non ?), la circulation du capital terrassé (oui ou non ?), Il n’y a pas de milieu !40.

5° La Communauté se perfectionne de jour en jour sous la pression de tous, qui y sont directement intéressés ; c’est la démocratie réalisée, la véritable république à laquelle nous aspirons tous plus ou moins, qui sommes travailleurs. Il y a encore des chefs en ce sens que le plus expérimenté, le plus habile, le plus fort… est celui dont on choisit librement l’initiative, le plan, la directive, et cela d’une manière extrêmement naturelle, puisque tous préjugés, jalousies, mesquineries datant de l’époque bourgeoise… ont disparu.

6° Ensuite, les différences physiques, intellectuelles, morales, etc. entre les hommes finissent elles-mêmes par se fondre et disparaître par suite d’un phénomène bien naturel qui veut que les blanches aiment les noirs, et que, lorsque le milieu est commun, il n’y a plus de nécessités pour que des différenciations se poursuivent entre des personnes qui ont toutes le même protoplasma, etc.

7° Mais le Prolétariat n’a pas complètement disparu et ne saurait disparaître complètement en ce sens que, partout où se manifestera une défectuosité sociale, un souvenir, une réminiscence de l’ancien état de choses, une calamité… il sera là pour les subir, pour réclamer, nier par ce fait la Société dans sa perfection supposée et contribuer ainsi à sa propre et momentanée disparition de lui-même, Prolétariat souffrant et réclamant, tout comme un tissu se cicatrise par un appel de sang (c’est en ce sens seulement que nous approuvons le fameux article de Max Nomad paru au début de l’année dans La Révolution Prolétarienne41).

Bref aperçu de la « communauté »


Bien qu’elle doive inéluctablement commencer avec des hommes et des femmes de nations, de races, de forces, de capacités, etc. différentes, il est évident qu’elle ne saurait absolument s’établir que par une indifférenciation physique, raciale, linguistique… par le mobilitisme des hommes, l’effondrement inévitable des croyances, et des préjugés42 ; en un mot l’unification sociale du milieu devenu pour tous (virtuellement du moins) la terre entière43 (en attendant la conquête des astres prévue par les « biocosmistes » de « la vie universelle »). Les seules différences qui resteront seront les absolument inévitables : de lieu (on ne saurait se trouver en personne et en même temps en deux points différents), d’atavisme (pendant longtemps, malgré le mélange des races, des castes, des nationalités… joueront des atavismes particuliers, souvent extrêmement forts), des âges, des sexes44, etc.

La communauté établie implique trois séries de faits :

I. Travail commun.

Ce qu’il n’implique pas : que les hommes soient nécessairement groupés en des villes immenses, en de vastes usines (Cosmometapolis). Cela : c’est du stalinisme, du Satanisme à la Wells. Qu’il n’y en ait point qui travaillent solitaires : les artistes par exemple. Il n’implique donc pas une sorte de « planisme » fabriqué de toutes pièces, pour les besoins de leur cause, par certaines individualités d’élite, du genre de Jouhaux, par exemple – bien que les efforts de tous les hommes aient besoin d’être coordonnés au commencement et à la fin, surtout pour les questions de base (inutile de planter du café là où il pousserait mal alors que le Monde peut manquer de certains produits qui là justement pousseraient bien). Chacun, d’autre part, peut apporter à l’œuvre commune les modifications résultant de sa propre expérience, de sa propre existence dans un certain milieu qu’il est seul, après tout, à avoir traversé et dont il a pu retirer des enseignements nouveaux45. Il ne faut pas qu’une seule idée géniale qui passe par la tête d’un individu soit perdue pour les autres membres de la Communauté46 ; alors qu’actuellement, c’est littéralement le gaspillage des forces, les inventions achetées pour être tenues sous le boisseau, etc. La négation de cette domination des élites (comme ils l’appellent) n’implique pas que, à l’instar de ce qui se voit pour les artistes, par exemple, on ne s’inspire pas plus particulièrement de ceux qui, manifestant le plus intensément leur propre vie, leurs propres capacités, ou simplement travaillant davantage ou plus consciencieusement, sont allés plus loin que les autres dans une voie… Car inexistence future d’une réelle lutte des classes47 n’implique pas disparition de compétitions d’un autre ordre, de l’émulation… Les hommes posséderont sans doute de plus en plus un amour propre conscient mais guidé, éclairé par la raison… Il y aura toujours forcément des heurts, des querelles idéologiques, scientifiques, artistiques…48.

Ce qu’il implique. La Terre commune, les moyens de production et de déplacement communs49, toutes relations amplifiées et accélérées, la confusion de toutes frontières et limites administratives50… D’autre part, nous l’avons vu, tout travail, même le plus solitaire, est fondamentalement relié à l’œuvre commune dont le but est la création, la conservation, la manifestation et la reproduction de la vie humaine (c’est-à-dire de la vie de chaque homme pour soi).

II. Nourriture commune.

(Par nourriture, on entend évidemment bien davantage que le pain de chaque jour, mais l’instruction, la récréation, les nouvelles, les voyages, le cinéma, la danse, la musique, l’amusement, etc.).

Ce qu’elle n’implique pas. Que tous soient astreints à un régime alimentaire semblable (régime quart-gamelle), ni que tous doivent prendre leurs repas ou leurs récréations en de vastes réfectoires ou salles communes avec sonnerie pour savoir quand il faut s’asseoir ou se lever (phalanstère). En effet, il n’est nullement prouvé, jusqu’à nouvel ordre, que les caractéristiques alimentaires du peuple italien ou culturelles de l’allemand soient génériques ! On fait ce qui fait son affaire. Je ne veux pas, pour ma part, que le jour que je refuse du vin ou de la salade, j’aie des comptes à rendre à n’importe qui… Chacun est son propre maître dont celui qui nie la liberté risque de recevoir immédiatement un jet du premier objet venu sur la tête.

Ce qu’elle implique. La puissance qu’a acquise l’homme de se nourrir, de se faire en quelque sorte de ses propres mains (et non plus de se laisser faire). Quand on dit : de ses propres mains, on veut dire des mains de n’importe quel individu vivant en société et de celles de son semblable. Nous insistons tout particulièrement sur ce terme de semblable : un autre soi-même.

III. Volonté commune.

Nous nous permettons d’insister aussi sur ce point. Là-dessus, nous ne craignons pas de nous revendiquer, non plus de la Révolution de 1789, mais de cette Allemagne où règne depuis longtemps une volonté, une activité à toute épreuve, au service d’une Communauté malheureusement plutôt mystificatrice : où voudrait se trouver et se perdre chaque Allemand comme un soi en un soimême vu en grand.

Ce qu’elle n’implique pas. Que la volonté d’un individu ou d’une « compagnie » devienne la force coercitive d’une majorité.

Ce qu’elle implique. Que la volonté de chacun devienne celle de tous et inversement, dans la mesure où tous veulent la liberté du travail, l’affranchissement du travailleur, l’égalité des droits,… que présuppose l’établissement de la Communauté. Il n’y faut pas envisager, comme le font, je crois, certains stirnériens, le travail d’une part, l’art, les distractions, l’amusement de l’autre, les opposant d’une manière irréductible. Qui ne cuisine avec amour ne fera jamais de bons plats ; il n’est pas prouvé néanmoins qu’il suffise à remplacer la science ou l’art culinaire. Ayant reçu de notre existence en ce pays le goût (?) de l’individualisme qui s’y manifeste d’une manière assez effrénée, songeons, en ce qui concerne tout ce que l’individualisme ne saurait nous apporter, à voir grand et à voir large, et nous le ferons quand nous aurons mis de côté toutes mesquines rivalités de clans, voulant travailler pour la communauté aussi naturellement que pour nous-mêmes et laissant s’installer en nous cet impératif catégorique que Marx nous a laissé entrevoir dans sa « Critique du droit »51. Nous, fidèles à la science dont Marx nous a ouvert le livre, n’oublierons pourtant pas que cette « Introduction à la Critique » s’est adressée au Prolétariat allemand, mais au Prolétariat conscient. Quand nous nous dresserons en tant que classe productrice, nous le ferons avec la même union que, pour une raison apparemment moins intéressante, l’abolition du Diktat, s’est dressé le peuple allemand affamé par les nations victorieuses dont le Prolétariat l’avait abandonné.

Conclusion


Notre affirmation paraîtra-t-elle surprenante ? Nous ne prétendons pas que la république soit davantage réalisée dans les états prétendus démocrates que dans les états à caractère fasciste (U.R.S.S. exceptée). L’individualisme acharné du Français, de l’Anglais, de l’Espagnol et surtout de l’Américain du Nord… n’est pas forcément davantage à priser, du point de vue de la Communauté, c’est-à-dire de l’Homme enfin rendu à lui-même, que le sens « social » de l’Italien (les Italiens sont sociables), « grégaire » de l’Allemand (ce dernier, d’après quelqu’un qui les connaît bien, ne se sent jamais aussi libre que lorsqu’il participe à une tâche commune). De toute façon, l’opposition dont le capital, qui domine de très haut démocraties et fascismes, tâchera de faire le levier de sa prochaine guerre localisée (une guerre générale serait pour lui par trop dangereuse) est fausse et mystificatrice en tous points52. L’ennemi de la République, l’ennemi de la Communauté des hommes et des femmes libres, se déterminant eux-mêmes et ne se laissant déterminer par nul hiérarque, quel qu’il soit, cela n’est pas plus Hitler ou Mussolini que les bandits qui nous gouvernent et qui nous pillent (nous ne parlerons pas de Staline, lequel est hors concours !), c’est le capital libre : l’argent ! Terrasser le capital, en détruire la circulation sans pour cela en revenir au troc ; il faudra tôt ou tard en venir là ! Mais comment est-ce possible ? Tout simplement si chaque producteur prend les produits de son travail, en refusant de s’en laisser déposséder par l’entreprise pour un salaire (monnaie, billets, tickets, peu importe !), en refusant donc de payer qui ou quoi que ce soit : propriétaires, transports, aliments, etc. Mais les boutiquiers fermeront leurs portes ? Non, ils ne fermeront leurs portes que s’ils voient les producteurs roulés par leurs hommes politiques ; mais s’ils voient les producteurs prenant leur propre sort en main, ils deviendront ce qu’ils doivent être : de simples dépositaires des denrées (il n’y a plus de marchandises), des outils, etc. Il faut se servir et non plus servir ! Ce ne seront ni les églises, ni les partis, ni les syndicats, ni même les conseils qui feront la révolution, cela sera l’individu, quand la société bourgeoise sera décomposée jusque dans ses bases les plus profondes ; cela sera les producteurs quand leur majorité aura compris la valeur sociale immense de ce geste si simple : prendre, prendre avec sa propre main, ne pas attendre qu’on vous en donne la permission, prendre de suite, et prendre pour soi et les siens ; à ce fait si simple correspond un autre fait non moins simple qui est : garder pour soi, ne rien donner, ne rien payer, suivant la formule populaire : « Ce qui est bon est bon à prendre, et ce qui est bon à prendre est bon à garder ». Et cette circulation du capital sous sa forme actuelle hypermobile, tandis que producteurs et nationaux restent de plus en plus enchaînés, serait d’ores et déjà anéantie (l’or caché n’est plus un capital : c’est de la terre)… et nous n’aurions pas cette monstrueuse économie de guerre, laquelle en France possède déjà un ministère sous une appellation euphémiste et trouve l’appui de la partie de la classe ouvrière qui est passé à l’ennemi en perdant son caractère de classe productrice pour devenir un vulgaire corps de fonctionnaires bourreaux, payés grassement par le budget : les métallurgistes staliniens, ou fascistes d’une couleur différente53. Car seules maintenant pourront raviver cette circulation du grand capital, source éternelle de profits, des guerres, des guerres à outrance, des guerres indéfinies, larvées, localisées, sporadiques, la guerre en un mot à l’état permanent, du moins en virtualité, entre les nations54, c’est-à-dire entre les prolétaires, les gros bourgeois et une partie des fonctionnaires, avec les ouvriers-bourreaux de leurs frères, s’étant déjà embusqués d’office pour la prochaine55. Ainsi les choses termineront par où elles ont commencé56. Prolétaires, Nous vivons sous l’empire de la Nécessité ; une nécessité absolument inéluctable approche et, sous son empire, pour sauvegarder nos vies, nous serons forcés de nous dresser pour clore le livre affreux de l’exploitation humaine, de la préhistoire ;

Pour la destruction du salariat, pour l’asservissement du capital à ses propres producteurs dépossédés, pour l’émancipation du travail,
Pour la communauté des producteurs libres, pour la démocratie réelle,
Pour le monde de la raison, de la logique, de la science,
Défaitisme révolutionnaire
Fraternisation de tous les exploités
Prise directe et personnelle des produits du travail collectif

SE SERVIR ET NON PLUS SERVIR !

Marseille, 5 juin 1938.

Additions ou rectifications


Au début de cet ouvrage, nous avons omis, au sujet de la matière, de parler d’une de ses manifestations : la pensée. Il va sans dire que nous repoussons toute explication mécaniste de la pensée, qui n’est pas un produit du cerveau analogue par exemple à la bile pour le foie ou à l’urine pour les reins. La pensée, si subtile soit-elle, a pour condition les bronches, les poumons, etc. mais il va sans dire que sans air extérieur, sans objets opposés à l’individu, pas de respiration, pas de pensée. D’autre part, quelle place faisons-nous à l’exploitation agricole, dans la Communauté ? Sera-t-elle expropriée ? et comment la remplacera-t-on ? Non, l’exploitation agricole, du moins l’exploitation directe du sol ne saurait être expropriée. C’est volontairement que les producteurs agricoles doivent, montés sur leurs nouveaux tracteurs à huit socs, rompre les frontières de leur propriété privée qui leur assurait, sinon subsistance et confort, du moins une certaine indépendance. C’est du moins notre opinion, car nous, ne sommes pas des « faiseurs de plans ». Sur la question des conseils d’entreprises ou conseils ouvriers, autrement dit soviets : une question se pose : les producteurs, ayant une décision à prendre, se rangeront-ils de l’avis de la majorité ? Non, nous ne pensons pas qu’une telle chose soit possible, car s’ils le faisaient la Communauté se transformerait vite en république parlementaire et ce serait encore un parti « radical » ou « centriste » qui gouvernerait. Les producteurs se rangeront à l’avis de la raison ou de l’expérience, ou n’opineront pas, sinon : pas de communauté.

Additions (suite)


De l’ouvrage de Georges Lefranc : « Histoire du mouvement syndical français » (Librairie Syndicale, 213, rue Lafayette, Paris 10ᵉ), nous nous permettons d’extraire ce qui suit, œuvre de P. Boivin, et qui éclaire lumineusement notre exposé : « La propriété. La théorie marxiste de la propriété n’est pas essentiellement différente de celles qui avaient été exposées par les socialistes et même les communistes « utopiques »… Il s’agit maintenant d’abolir la propriété bourgeoise [la forme bourgeoise de la propriété]… Les communistes veulent abolir la propriété privée [c’est-à-dire en renversant les termes : la privation de propriété pour le salarié]… Supprimer la propriété capitaliste, c’est simplement enlever à l’homme le moyen d’exploiter le travail de son semblable par le salariat. C’est pourquoi Marx n’envisage nullement, comme les communistes utopiques, une consommation collective. « L’appropriation personnelle des produits du travail qui a pour objet d’entretenir la vie n’est nullement répréhensible », puisqu’elle « ne confère pas un pouvoir sur le travail d’autrui » (Manifeste Communiste). « Le communisme n’ôte à personne57 le pouvoir de s’approprier des produits sociaux ; mais il ôte le pouvoir d’assujettir, en se l’appropriant, le travail d’autrui. On a objecté que l’abolition de la propriété privée ferait cesser toute activité ; qu’une fainéantise générale ne tarderait pas à sévir. S’il en était ainsi, la société bourgeoise depuis longtemps aurait péri dans la fainéantise. Car, dans cette société, ceux qui travaillent ne s’enrichissent pas et ceux qui s’enrichissent ne sont pas ceux qui travaillent58 » (Manifeste Communiste) » (p. 160 du livre de Lefranc).

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Au moment de terminer l’impression de cet ouvrage, nous lisons la nouvelle suivante dans les journaux :

« Perpignan 5 juin. Les carabiniers gouvernementaux traquent impitoyablement les déserteurs qui essaient de passer la frontière et lorsque ceux-ci réussissent à fuir, leurs proches-parents en supportent les graves conséquences. On leur inflige le pacte de la faim, el pacte del hambre. Cette mesure répressive consiste à priver la femme du déserteur, sa mère ou sa sœur du bon d’alimentation qui lui donne normalement droit à une ration de pain ou de viande. On exproprie ensuite les innocentes victimes de tout ce qui constitue leur patrimoine civique et juridique, c’est-à-dire qu’on rend responsable du délit de désertion commis par le fils ou le mari, la vieille mère ou sa femme ou l’un quelconque des siens propres ».

Pour ceux qui savent entre quels sinistres bandits internationaux sont tombés les prolétaires de Barcelone, cette nouvelle ne fait que confirmer toutes les prévisions. Qu’elle contribue encore davantage à servir de leçon ou d’avertissement à ceux qui ne doivent plus remettre leur sort entre les mains d’un autre, mais s’ « approprier personnellement » les « produits du travail » collectif, c’est-à-dire nier toute hiérarchie autre que celle de l’agent qui commande la circulation.

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Allemand, français : que m’importe ?
L’ennemi est de même sorte !
Oui, quelle qu’en soit la couleur :
C’est toujours le même malheur !
Il n’y a qu’une hiérarchie :
Qu’elle soit russe ou d’Italie…
Voilà pourquoi m’est-il indifférent
D’être français ou allemand.

Il est sur la terre un mal
Que l’on nomme Capital
Il domine de très haut
Les petits comme les gros
On l’attaque assez souvent
Mais c’est lui le plus savant
Si ça n’est pas comme ça
Vous me l’écrirez n’est-ce pas ?

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« Avant Marx, le prolétariat était le cendrillon de la politique, un simple objet de pitié pour les sociologues. Marx l’éleva au rang de prétendant au trône, de future classe dominante, appelée à renverser l’ordre ancien et à édifier l’ordre nouveau » (Max Beer, Histoire du socialisme, tome V, p. 51. Cité par Boivin).

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Notes:

1 On verra plus loin l’infinie différence qu’il y a entre la communauté naziste, où l’homme est asservi et la communauté marxiste où il est libre.

2 Rappelons la définition du Prolétariat par Marx lui–même :… « ce qui forme le Prolétariat, ce n’est pas la pauvreté naturellement existante, mais la pauvreté produite artificiellement ; ce n’est pas la masse machinalement opprimée par le poids de la société, mais la masse résultant de la décomposition aiguë de la classe moyenne. Ce qui n’empêche pas, cela va de soi, la pauvreté naturelle et le servage germano-chrétien de grossir peu à peu les rangs du prolétariat ».
Remarquons :
1° Que Marx s’adresse toujours à l’Allemagne.
2° Pour lui, le Prolétariat aspire plutôt au regain complet de l’homme qu’à sa simple conquête première : le Prolétariat paraît donc être plutôt l’apanage du dépossédé qui pense grandement.
3° Quels temps seraient plus propices que ceux actuels à la formation de ce prolétariat, étant entendu que les classes moyennes, en France particulièrement, doivent avoir de l’eau jusqu’aux narines pour proclamer à elles-mêmes qu’elles n’existent tant plus que dans leur rêve.

3 « L’État est « l’intermédiaire » entre l’homme et la liberté de l’homme », écrit Marx dans « La question juive ». L’État n’est jamais que le miroir de la société, et ce qu’elle « réalise », il l’enregistre automatiquement en son sein : l’administration ! De même que le commerçant, l’industriel… est l’intermédiaire entre le travailleur et le consommateur, de même l’Administration est l’intermédiaire entre le contribuable et le renté ou pensionné, etc. L’État est pour le producteur une Société irréelle, un intermédiaire décevant, qui ne lui rapporte que des gardes-mobiles au fond de l’avenue qui mène à l’usine…

4 M. Hitler et sa compagnie, qui savent à merveille se servir de la tendance, innée chez l’Allemand, de servir la Communauté de quelque chose, ne fut-ce qu’une société des joueurs à l’ocarina, ont lancé parmi la jeunesse allemande le mot d’ordre : « Coopère ! ». Mais tout cela n’est qu’une amère parodie ; « l’Armée du Travail » n’est pas au service de la « communauté allemande », mais de l’oligarchie allemande et du Capital International.

5 À l’heure actuelle, que la partie aristocrate de la classe ouvrière, celle par exemple des chefs staliniens ou de leurs suppôts, le plus souvent métallurgistes, s’est vendue corps et âme au capital en devenant le futur bourreau du Prolétariat sur les champs de bataille, et que la classe paysanne, durement atteinte par la déviation nationaliste de l’Économie Capitaliste, s’incline malgré elle vers le Prolétariat, il ne faut pas craindre de proclamer que la Révolution Prolétarienne a vu son champ de bataille légèrement déplacé, particulièrement en France et aux États–Unis, de la ville vers la campagne. Nous disons cela malgré tout ce que les professionnels de la politique pourront professer d’insultant mépris à notre égard.

6 Pour la bourgeoisie, comme pour les bandits staliniens, fascistes, ou cénétistes du plénum de Valence, la politique se résout en une administration de la cité. A cela évidemment, le Prolétariat ne répondra qu’en faisant de la politique à l’intérieur de cette vaste administration hiérarchisée où l’on veut l’incorporer, en reniant ses différences, en proclamant la déchéance de toute hiérarchie, en pratiquant le sabotage… en tâchant de répondre du tac au tac, par les moyens dont il dispose, fut-ce les plus sauvagement rusés et détournés, au banditisme effréné de tous les exploiteurs.

7 À l’exploité correspond plus spécialement le mouvement ouvrier, à l’opprimé le socialisme, l’anarchisme… Il va sans dire aussi que le rôle basique, essentiel, appartient au producteur exploité : à la masse dont les conditions de vie sont précaires et sur laquelle scientifiquement repose toute la société. Mais cette masse doit s’éveiller en tant que composée d’individus qui réfléchissent, qui pensent par eux-mêmes, à la compréhension de son malheureux sort et à l’impossibilité scientifique de l’émancipation individuelle (bourgeoise) de tous dans le cadre actuel de la société.

8 C’est en détruisant le statu quo dans la société civile et dans l’armature étatique qu’elle s’est donnée que la révolution s’accomplit, à la fois économique (prise individuelle des produits du travail collectif) et politique (les armes dirigées sur n’importe qui voudrait reconstituer la hiérarchie).

9 Le parti des hommes libres, si l’on préfère.

10 Par la lutte de tous contre tous, dont les modalités sont plus ou moins réglées par l’armature étatique, sauf pour les puissants.

11 Autrement dit : « société générale pour l’exploitation du Prolétariat du monde entier » (Prolétariat parqué en cages que sont les nations).

12 Il va sans dire que la Bourgeoisie et l’administration n’ont rien de sacré devant leurs yeux (du moins la moyenne et grande bourgeoisie). Il n’en était pas de même pour la Noblesse, du moins au Moyen Age, dont la philosophie était la religion, le saint–Graal, etc. tandis que celle de la Bourgeoisie ou de l’administration est le matérialisme sordide. Idem pour la gent stalinienne, fasciste, etc. « qui font la chasse aux postes les plus élevés » (Marx). C’est parce que la noblesse, l’ancien régime, croyaient encore en quelque chose que leur chute fut « tragique », selon l’expression de Marx.

13 Autrement dit : l’État, la Société, ne sont plus déterminés par le Capital, la lutte de tous contre tous pour la possession du Capital ou des libertés, la lutte des Classes,… mais par les hommes libres unis librement entre eux, les travailleurs.

14 Des communistes « démocrates » comme Gorter, ou « dictatoriaux » comme la Gauche Communiste (faussement communiste d’ailleurs) et même des syndicalistes.

15 Les mineurs, les métallurgistes… considérés autrefois comme l’élite de la classe ouvrière ; mais il se trouve que cette élite s’est fortement stalinisée, voulant faire la « révolution » pour son propre compte, non en tant que classe, mais en tant qu’élite !!!

(de 8 à 15) Sur toutes ces questions de base, on relira avec profit Karl Marx : « Contribution à la critique du droit » (Costes éd.). Ouvrage essentiel et soigneusement tenu caché par ces gentlemen des mouvements anarchiste ou communiste, du moins dans son intégrité.

16 Nous demandons : la classe ouvrière française actuelle est–elle sûre que tous les vices de la Société soient concentrés dans une autre classe, etc. et, disant cela, nous admettons sans peine que la classe ouvrière reçoit de l’« autre » classe le pain et le couteau pour rester plongée dans sa situation… Mais en réalité, la classe ouvrière française, prise dans son ensemble, est socialiste réformiste ou stalinienne, ce qui est encore pis au point de vue révolutionnaire…

17 « Barrière générale »… « asservissement »… il saute aux yeux de n’importe qui n’a pas le cerveau absolument barré par une illusion personnelle ou la croyance en son hebdomadaire coutumier que la Bourgeoisie actuelle, les industriels, etc. n’est pas la personnification de la barrière générale, de l’asservissement… il y a aussi les fonctionnaires (syndicaux et autres), la gent politique, journalistique, culturelle, artistique… tous ces millions de parasites qui aspirent à remplacer tout simplement la Bourgeoisie en tant qu’exploiteurs et bénéficiers.

18 On sait que, pour Marx, communisme = mouvement réel qui nie l’état actuel, donc progression économique, et dialectiquement : progression de la maturité révolutionnaire ; mais vulgairement, on sait que l’on entend aussi par communisme la démocratie réelle, la réalité de l’idée morale, la véritable république ou la Communauté réalisée.

19 La préhistoire, pour Marx, est la période antérieure au moment où l’homme se détermine à partir de lui-même, c’est-à-dire à la révolution qui « change le monde de base », terrassant définitivement la circulation du capital.

20 Le Capital, dans sa gigantesque course à l’abîme, a réussi à associer à son Maelstrom de la mort une partie de la classe ouvrière : l’aristocratie métallurgiste stalinienne ou stalino-syndicaliste : c’est la triste réalité devant laquelle il serait vain de se boucher les yeux, et cela, les salariés ou producteurs privés paysans le savent bien, qui feront les frais de la prochaine guerre avec les masses citadines non spécialisées (ouvriers et autres) dans l’industrie de la mort. Car ce ne sont pas les capitalistes qui préparent positivement la guerre, pas plus qu’ils ne construisent les maisons : ce sont bien certaines catégories d’ouvriers !

21 « En Allemagne, aucune espèce d’esclavage ne peut être détruite sans la destruction de tout esclavage » (id., p. 107)… « l’émancipation de l’Allemand, c’est l’émancipation de l’homme » (id.), etc. Marx avait certes en vue quand il écrivait cela la révolution qui devait être celle de 1848, mais pourquoi reléguer définitivement la prophétie ?

22 Contre la Gauche Communiste.

23 On dira qu’il ne s’agit pas là de l’opinion de la majorité des ouvriers métallurgistes, mais de l’opinion de leurs délégués et secrétaires syndicaux, vendus corps et âme au capital dont ils défendent avec leurs places et émoluments secrets, la domination sur le Prolétariat tout entier. Certes, nous ne croyons pas que tous les ouvriers métallurgistes, même ceux pourvus de salaires élevés, partagent le point de vue de ces messieurs, mais que font-ils pour se débarrasser de leur tutelle, s’ils en sont réellement révoltés ? Dira-t-on que l’appât des hauts salaires leur fait un peu perdre de vue la révolution prolétarienne et les camarades qui souffrent à la base, de même que les authentiques chômeurs (il y en a) ? En réalité, les ouvriers aussi sont dupes de l’élection (syndicale, des délégués, parlementaire, etc.) par laquelle ils remettent leur sort entre les mains d’un autre. Même ceux qui commencent à comprendre, ou sont plus honnêtes ou plus combatifs que les autres n’ont rien trouvé de mieux que d’opposer au syndicalisme réformiste de Monseigneur Jouhaux un syndicalisme de lutte de classes ! Cela ne constitue qu’une transition vers la solution du problème : c’est le syndicalisme lui-même qu’il faut terrasser, par l’organisation de conseils d’usines, lesquels ne sont eux-mêmes qu’une transition vers l’action individuelle menée collectivement : la seule et véritable action révolutionnaire : la révolte et la prise des produits étant générale, mais chacun prêt à se défendre avec le maximum de vigilance contre tous ceux qui sous n’importe quel prétexte voudraient rétablir la domination d’une hiérarchie et recommencer l’accaparement des produits, sur lesquels chacun doit pouvoir mettre sa propre main, qu’ils soient individuellement pris à l’usine ou à l’entrepôt, au magasin de quartier. Quant à l’aide à l’armée républicaine espagnole, on sait en quoi elle consiste : les camions chargés de vivres sont distribués aux quatre-vingt mille gardes d’assaut de Barcelone, chargés de mitrailler les ouvriers à la première rébellion, ou encore vendus à vil prix au commerce de détail qui les revend à des prix exorbitants. Voilà où mène le collaborationnisme et l’anarcho-syndicalisme, cette doctrine imbécile qui fait se frotter les mains au grand capital.

24 Il va sans dire que « Le Petit Marseillais » se moque royalement de cette catégorie-là… mais nous ne voyons pas pourquoi nous ne rapporterions pas cet article frappant de la presse de droite.

25 Nous sommes loin, on le voit, du regain de l’homme !

26 Et ce sont les intérêts de cette « aristocratie du travail » (du travail de bourreau !), joints à ceux de la portion non dépossédée de la moyenne et petite bourgeoisie, qui font la force du parti stalinien. Et c’est pour cela que les travailleurs de la terre, qui ne se soucient plus nullement de « faire les frais » d’une nouvelle guerre, deviennent ipso facto les plus pacifiques des travailleurs et demeurent toujours, mais en puissance, les plus révolutionnaires des hommes.

27 En 14, M. Jouhaux s’était enfui à Bordeaux en qualité de « Commissaire à la Nation », accompagné de tous les gangsters de la députation et de tout ce que la capitale compte de poissons moustachus dans la presse, la politique et l’administration.

28 Un bombardement de la région parisienne serait très dangereux pour la stabilité du pouvoir du Capital : l’exemple de la Commune est toujours là. – D’ailleurs : comment localiser les risques ? Un bombardement qui n’intéresserait que la « ceinture rouge » comme Hitler comptait paraît-il le faire en juin 36 serait « cousu de fil blanc »…

29 On pourrait assister alors à des surprises, comme la passation spontanée ou presque du littoral méditerranéen français à l’Italie : dans les campagnes, le terrain est déjà préparé depuis longtemps (d’ailleurs la race est la même des deux côtés de la frontière). L’opération serait facilitée par le peu de différences qui séparerait le fascisme rouge en train de vouloir s’installer en France sous le coup de l’« Union Sacrée », du fascisme blanc italien, qui n’est évidemment pas le rêve…

30 Et non simplement la Bourgeoisie. Autrement dit, il n’y a pas seulement lutte entre deux classes, mais bien entre deux sociétés : c’est l’anarchisme-communisme de la Contribution à la Critique du Droit. Le Prolétariat ne peut « s’émanciper, sans s’émanciper de toutes les autres sphères de la société, et sans, par conséquent, les émanciper toutes »… Dédié aux arrivistes de tous les groupements et de tous les pays – sans rancîmes !

31 Ceci contre la Gauche Communiste… Toute lutte idéologique prise au sérieux entre individualités, fractions, groupements, etc. aboutit finalement pour l’exploité à la mystification : fascisme-anti-fascisme.

32 Critique de la Société en tant que Non-Société ; de la nature extérieure en tant que non-nature (et même en tant qu’indigne). Unité de la philosophie et de toutes les sciences, de toutes les activités de l’homme en général.

33 Absolument parlant, soutenir que l’être et la pensée sont distincts ou que l’être et la pensée coïncident, c’est tomber dans l’idéalisme. Ainsi, le fameux « je pense, donc je suis » de Descartes n’est pas moins idéaliste que « je suis, donc je pense ». Sont aussi idéalistes des formules telles que : « je ne pense pas parce que je suis » et « je ne suis pas parce que je pense ». « Penser et être sont donc à la fois différents et un » (Marx, Œuvres Ph., tome VI, p. 28).

34 On consultera là-dessus avec profit cette ancienne revue théorique de la Gauche Communiste Italienne, excellente du point de vue politique. Sur la prédestination, voir aussi Calvin (Instit. lib. III, chap. 2, n. 16 et 24. Antid. Conc. Trident, in sess. VI, chap. 13, 14. Opusc., p. 185).

35 La nature vierge… la nature extérieure et l’individu : ces deux derniers termes éternellement corrélatifs. C’est ce que ne comprend toujours pas la Gauche Communiste. Pour elle, l’individu est une abstraction, ce qui est exact ; mais le milieu, mais la société bourgeoise : ce n’est pas une abstraction ; or qui dit milieu dit le milieu de quelqu’un (corrélation), société bourgeoise dit milieu du prolétaire inconscient, mais on sait que le prolétaire inconscient n’existe pour ainsi dire pas pour la Gauche Communiste qui, au lieu d’essayer d’éclairer le dit prolétaire, s’occupe bien plutôt de s’en faire un marche-pied pour y dresser le phare éclatant de ses propres rayons éternels.

36 Les animaux féroces sont détruits ou repoussés… les tigres, les ours,… les serpents… mais aussi (corrélation) dans l’individu, d’une manière concomitante, tout ce qui n’est pas la raison (cessation de l’adoration des forces naturelles). On consultera là-dessus avec profit le beau roman de Relgis : « Miron le sourd », qui paraît actuellement dans « La patrie humaine ».

37 La Société (ou la non-société) a-t-elle été antérieure ou postérieure à l’individu, se demande-t-on parfois ? Pour la Gauche Communiste, aucun doute là-dessus : la Société, la lutte des classes la composant, ont existé de tous temps, l’individu n’étant qu’une pure abstraction. Or, il n’est pas exclu que les individus pré-humains aient existé qui vivaient ordinairement seuls comme des sangliers « solitaires », avec pour tous rapports avec leurs « semblables » des rapports de lutte. Ces individus s’opposaient à leurs « semblables » comme à la Nature extérieure forcément hostile ; tel était donc leur milieu qui, pour si inhumain qu’il fut, composait avec leur personne un ensemble qui n’était pas du tout une abstraction.

38 Certains groupements se souviennent peut-être avoir reçu de moi-même il y a quelques mois une « Thèse », dirigée essentiellement contre les déviations de base de la Gauche Communiste. Dans l’impossibilité matérielle de citer ici tout ce que nous aimerions reprendre à nouveau comme arguments dans ce travail élémentaire, contentons-nous de ce qui suit : « l’homme est la Nature, la Société, dans la mesure où ces choses se rapportent à soi, autrement dit s’éveillent à la conscience d’elles-mêmes, se tirent (en quelque sorte) hors d’elles-mêmes, se développent (engendrent leur développement), se créent des relations, des rapports habituels ». Mais on consultera avec infiniment de profit le très profond ouvrage de Marx : « Économie politique et Philosophie ».

39 Auparavant la dernière période (destruction du salariat) la Communauté existe de deux façons différentes :
1° Dans la société civile, dans le privé (la femme ou les femmes, les enfants, les parents, les connaissances, les domestiques, les employés, la corporation, l’argent, l’amour, la bataille, le cinéma, la pêche, etc.) cette communauté est réelle en ce sens qu’il y a là du solide, à part cela elle est affligée de toutes les contradictions possibles et imaginables (contradiction ad hoc : la propriété privée, l’exploitation privée, la jouissance privée, la possession privée de richesses, d’ « affection », de sécurité, etc. – cornes, disputes, trahisons, vols, ingratitudes, infidélités, vengeances, guerres, luttes, déceptions et désillusions de toutes sortes).
2° Dans la politique, la religion, l’art, la philosophie, plus ou moins à l’état de rêve… (sauf pour le prêtre, le député, etc. pour qui l’argent qu’ils reçoivent n’en est pas un !). Cf. là-dessus Marx, « Critique du droit de l’Etat » ; certains passages adéquats à la souveraineté, à la bureaucratie, etc.

40 Contre Mitchell et la Gauche Communiste. Quelle que soit en effet l’organisation distributrice que l’on suppose et organisatrice du travail, des loisirs, etc. elle ne sera jamais qu’un intermédiaire entre l’homme et la liberté, la jouissance, l’amour… de l’homme. Que le fascisme soit blanc (Italie), rouge (Russie), brun (Allemagne) ou noir (Espagne orientale), c’est toujours une bande de propres à rien, des fainéants, qui fourre les opposants en prison, rive l’ouvrier à son établi, nécessite une police, une armée, comme des esclaves et des maîtres… et cela sera toujours ainsi.

41 Le Prolétariat a pour tâche historique de détruire la Société dont il est le vaste résidu : la Société Bourgeoise, et par là il détruit à la fois la Bourgeoisie et lui-même tout en émancipant l’un et l’autre. Telle est bien la pensée de Marx que ne comprennent pas ou ne veulent pas comprendre les Communistes de Gauche. Ce qui ne signifie pas néanmoins qu’il n’y aura pas une lutte sanglante entre les partisans du Capital et ceux du Prolétariat libre.

42 Les anarchistes n’arrachent les préjugés qu’à ceux auxquels ils peuvent être arrachés : c’est ce qu’ils s’obstinent à ne pas comprendre. Quelques exceptions apparentes qu’ils peuvent citer ne font pas que la virtualité de la conscience du prolétariat n’apparaisse pas comme un phénomène dialectique, purement nécessité par l’économique en évolution ; mais une fois que la conscience humaine est apparue, qu’elle s’est dégagée des ténèbres où la tenait nécessairement le milieu social (la société bourgeoise par la Bourgeoisie, classe dominante) alors, nous sommes d’accord avec les anarchistes contre la Gauche Communiste, pour qui la Conscience Humaine ou du Prolétariat (c’est la même chose) n’est pas un absolu, mais au contraire demeure susceptible de trahir les intérêts qu’elle prétendait servir. Voir Bilan n° 1.

43 Possibilités offertes à tous de se mouvoir, de travailler, de se recréer de par la Terre entière, l’homme n’étant pas déterminé comme le mollusque ou le paysan par le rocher ou le pan de surface sur lequel il vit.

44 Pour le « bourgeois », il y a « des femmes qui travaillent » et des « femmes qui ne travaillent pas » (la sienne, par exemple ; la plus mortelle ennemie des travailleurs salariés, le satan contre-révolutionnaire)… Pour les prolétaires, il y a des hommes, c’est-à-dire des travailleurs ; les uns sont du sexe masculin, les autres du féminin selon la division naturelle du travail de reproduction… autrement dit, les choses sont remises sur leurs pieds, dût la galanterie en souffrir.

45 La Terre milieu commun, soit ! Mais de deux hommes du même âge, l’un aura par exemple connu, visité à fond l’Amérique du Sud, alors qu’il n’aura fait que traverser ou survoler les autres continents ; l’autre connaîtra par exemple à fond les pays méditerranéens, mais n’en sera que plus superficiellement documenté sur le reste du monde… Il y aura toujours forcément, inévitablement, des spécialistes, mais nous autres communistes, prétendons que leur spécialisation ne portera sur rien d’essentiel à leur existence propre humaine.

46 Il est bien entendu que l’homme n’obéit qu’à sa propre conscience et pas à une obligation extérieure. L’existence de la Communauté implique la disparition de toute force de coercition, sauf peut-être tout à fait à son début. Aucun lien légal, aucun contrat social entre les différents membres de la Communauté, contrairement à Rousseau et aux anarchistes. La communauté n’est pas une association d’individus, bien que les individus qui la composent aient chacun une existence particulière totalement distincte de celle des autres. La communauté, c’est l’être réel de l’homme libre, qui manifeste sa propre vie avec le maximum d’intensité. Dans la communauté, il n’y a pas de loi morale : chacun obéit à sa propre loi, qui est une passion débordante pour son propre bien. Il n’y a pas de contrainte.

47 L’excellence de l’article de Max Nomad provient à notre avis de ce qu’il insiste tout particulièrement sur la nécessité de la lutte sociale ; lutte qu’il porte à l’outrance, à la perpétuité. Personnellement, nous pensons que le sens de la lutte subira certains changements.

48 Nous répudions la négation totale du Parti du Prolétariat, de la Matière souffrante, qu’on travaille à extirper cette souffrance ou qu’on l’exprime simplement. Inévitablement, ce sera toujours ceux qui souffrent dans leur propre peau qui constitueront la base de ce Parti. Les autres en seront plutôt les curieux, en général…

49 « À qui donnerez-vous les Rolls-Royce et à qui donnerez-vous les Rosengart » ? nous demandait une fois un des pontifes régionaux de ce mouvement « patronal » (ce pontifex dixit) « franc-maçon » et stalinophile intitulé « J.E.U.N.E.S. » (et en cela, implicitement, il avouait sa soif d’accaparement). Mais sans doute les Rosengart seront-elles empruntées par les couples qui choisiront les petits chemins qui longent les prés, et les Rolls par les coureurs d’autostrades ! Si l’on parle sérieusement, on n’a pas de peine à réfuter ce misérable argument : pourquoi y a-t-il actuellement des Rolls-Royce et pourquoi y a-t-il des Rosengart ?

50 Ceci contrairement à ce que prévoient certains anarchistes, naturellement enclins, de par leur individualisme bourgeoisant, c’est-à-dire bien pauvre en logique, à tracer des frontières jusqu’autour de chaque individu. D’autre part, depuis 1918, nous assistons en Allemagne à une fusion progressive des États, puis de l’Autriche et bientôt sans doute des Sudètes, du Luxembourg, de la Haute Silésie, du corridor polonais, de Dantzig, du Schleswig, etc. dans le sein de la plus grande Allemagne. Ainsi, sous la poussée de la nécessité due à l’existence d’un peuple affamé dans les conditions économiques capitalistes actuelles, Hitler rend un certain service à la Communauté et il est certain que Marx lui-même en serait réjoui, lui qui rêvait de tout autre chose que de la « balkanisation » de l’Europe, œuvre des bandits de Versailles. Communauté allemande ! dira-t-on… certes ! Mais qui a prétendu que la Communauté dut partir d’un pays plus excentrique en Europe ? Car l’Allemagne est spécifiquement bien plus « européenne » que la France, l’Italie, la Russie et surtout l’Angleterre dont l’être réel est au-delà des océans. Il faut convenir que les choses se passent d’une manière propre à dérouter bien des gens… sans doute parce qu’elle est logique, comme l’histoire et que bien des gens ne connaissent que leur sentiment personnel.
D’ailleurs, l’idée de la Communauté est une idée allemande, comme tout ce qui est vraiment grand.

51 « La critique de la religion aboutit à cette doctrine que l’homme est pour l’homme l’être suprême. Elle aboutit donc à l’impératif catégorique de renverser toutes les conditions sociales où l’homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable » (Contribution à la Critique du Droit, p. 97).

52 Le 6 Février, une émeute « fasciste » ? Ce n’est pas vrai ! On en a fait une émeute fasciste pour les besoins de la cause… Parce que le peuple ivre de dégoût, commençait d’acquérir une Conscience politique, il devenait dangereux pour l’état politique. Il l’a bien montré !

53 N’en déplaise aux ouvriers comme à tous ceux qui les flattent, il faut reconnaître ce que nous dit la logique même : c’est l’ouvrier métallurgiste qui produit les instruments de mort pour tuer l’ouvrier de la terre, le paysan. C’est une chose qu’on ne répétera jamais assez. Encore à la dernière guerre, avons-nous assisté à une certaine confusion dans les tranchées où étaient groupés ingénieurs, artisans, ouvriers, paysans, professeurs…, mais soyez certain qu’à la prochaine il n’en sera pas de même : étrangers malheureux, chômeurs, journaliers, manœuvres, etc. seront en première ligne avec les tâcherons et autres ouvriers agricoles ou petits paysans ; les autres se tireront d’affaire sous le fallacieux prétexte de : à chacun son affaire.

D’autre part, on lira de Louzon la très intéressante Économie Capitaliste (Ed. Révolution Prolétarienne). On y verra comment tous les fonctionnaires ne sont pas des fonctionnaires, toutes les professions libérales des professions libérales. À l’heure actuelle, il importe à chaque instant de réviser toutes les notions acquises. Ainsi un ouvrier parisien qui gagne plusieurs centaines de francs par jour pour travailler à décorer une exposition a perdu ipso facto son caractère de classe ; il est devenu un privilégié payé par le budget (son collègue de Meaux ou d’Étampes : pourquoi gagne-t-il trois fois moins que lui ?). Et dans quel but est-il payé si grassement ? N’insistons pas, nous avons tous compris… De même ces ouvriers d’une autre ville qui de temps en temps fondent une paire d’hélices parfaitement inutile pour le Normandie : ce sont des fonctionnaires sans qu’ils s’en doutent, et davantage ceux qui travaillent (pour de l’argent soustrait à leurs collègues moins heureux, comme à eux-mêmes, consommateurs et contribuables) pour l’anéantissement physique de ces mêmes confrères. Nous croyons qu’il est important de réviser cette composition de la classe révolutionnaire de la société actuelle. Celui qui travaille à l’abri de la mitraille à construire des engins de combat ne sera jamais – sauf exceptions – un révolutionnaire. Même s’il n’a pas de propriété privée ? Et sa place et sa vie : qu’en faites – vous ? Les néo-dépossédés, les chômeurs conscients et réels, les paysans combattants, les manœuvres, les journaliers, les tâcherons, les ouvriers non spécialisés, les masses anonymes le seront pour lui sous les feux du ciel.

54 Les Nations ne sont pas autre chose que des prisons à salariés : s’il n’y avait pas la propriété privée des moyens de production ou de la terre, il n’y aurait pas de Nation. Voilà ce que nous disions à ce sujet dans notre « Lettre ouverte à la Ligue des Communistes Internationalistes de Belgique » (Bulletin n° 4, réponse de Hennaut dans le n° 5, voir aussi Terre Libre n° 48) : « La guerre ? Oui, pour faire diversion avec la populace insatisfaite en l’envoyant se faire massacrer par la populace voisine, tandis qu’on lui vendra très cher le cuir, la paille, le grain. Napoléon ? Leur homme de paille, du moins au début (il s’agit des Thermidoriens). Il contribue à étendre les barrières douanières, c’est un fait. Mais pourquoi y a-t-il des douanes ? Pourquoi y a-t-il des frontières ? Pourquoi y a-t-il une propriété privée ? sinon parce qu’il y a un esclave sur le travail duquel tout repose et qui ne doit pas reconnaître comme ses frères les esclaves de l’autre côté du ruisseau. Je connais la thèse marxiste ; mais elle n’infirme nullement ce que j’avance : la division du travail s’est accomplie le jour qu’il est trouvé un esclave pour être berger, bûcheron, cultivateur, charpentier, rameur, tourneur, croque-mort, jardinier, pédagogue. Divisez l’étendue d’un travail ; réunissez en les éléments épars : vous n’obtiendrez pas d’un laquais qu’il devienne un homme libre. Ce n’est pas l’économique qui détermine l’homme : c’est l’homme qui se libère à la faveur d’une trouée dans l’économique inconscient. Voilà ce que les faux marxistes n’avoueront jamais, et pourtant telle est bien la pensée, du moins la pensée première, de K. Marx ». En langage plus ordinaire : si tu te laisses dominer par quelqu’un sur le plan du travail : tu crées la propriété privée et la nation : l’internationale, c’est la révolte frénétique des esclaves de l’usine et de la terre contre leurs propres maîtres et patrons, tartuffes qui s’appuieront sur tous les mensonges de l’Église et du reste pour justifier leur exploitation. Ils se sont libérés des seigneurs et du cadre périmé de la société, et maintenant, ces messieurs voudraient que les choses en restassent là, dût la moitié des habitants de la planète en périr !

55 Tout un plan d’embusquage et de fuite est déjà préparé entre autres dans certaines administrations… Ceux que l’on envoie participer à la « défense passive » sont prévenues dans le trou de l’oreille que : « ce n’est pas pour le public », mais pour sauver leur propre peau ; la « peau de l’Etat » quoi ! D’ailleurs, les administrations seront changés de résidence. D’autre part, soyons à peu près certain que les usines de guerre ne seront pas bombardées, pas plus que Bryey lors de la dernière escarmouche (on était puni pour tirer sur Bryey). Question situation topographique des usines de guerre, le gouvernement est pris dans la contradiction suivante : ou les disséminer dans la campagne française et laisser bombarder la ceinture rouge de Paris ; ou les maintenir autour de la capitale et tâcher de localiser la guerre au loin : sur le littoral méditerranéen, par exemple, peuplé de centaines de milliers d’étrangers prolétaires et de Français sans grande conviction. Il faut que les prolétaires (ceux qui triment dur pour pas grand-chose et dont tout le monde se fout) et les futurs prolétaires se rendent bien compte que la prochaine tuerie n’aura pas d’autres buts essentiellement que leur propre destruction physique, acculés qu’ils seront alors par la situation économique ; et non moins acculés par la question financière seront alors les gouvernants. Là-dessus, nous ne craignons pas de nous proclamer ouvertement d’accord avec la Gauche Communiste, laquelle, malgré ses bases théoriques faussées dès le lit de cailloux, a eu le très grand mérite d’exposer la chose depuis longtemps.

56 L’exploitation de l’homme par l’homme a commencé par la spoliation armée, par la guerre faite en vue du butin, par le pillage (les esclaves étaient les guerriers vaincus), « le premier qui fut roi fut un soldat heureux » (Voltaire). Et toute cette malheureuse histoire finira aussi par la guerre, par la révolte contre toute domination, toute hiérarchie. Mais qui est-ce qui va se révolter le premier ? Ce ne sera pas le fonctionnaire, ni le petit commerçant, ni le propriétaire paysan, ni le capitaine… mais bien celui qui, sous différents rapports, sert de base à la société toute entière. Or, nécessairement, cette base s’accroît sans cesse du fait de l’accumulation du capital… Supprimer cette accumulation ? Oui, mais comment ? Puisque le Capital corrompt tout ? « Argent, destructeur des familles, c’est toi qui détournes nos filles. Et malgré l’ardeur des soldats, c’est toi qui gagnes les combats. » Pour peu qu’on réfléchisse, on se rendra compte que l’entreprise est pratiquement irréalisable : la révolution prolétarienne apparaît donc comme une nécessité historique.

57 Rappelons ici la définition du communisme, selon Marx : « Le mouvement réel (pas la lutte idéologique !) qui nie l’état actuel. »

58 Marx veut dire par là que, pour s’enrichir, il faut faire travailler les autres, les faire produire ; mais que l’ouvrier en tant qu’ouvrier ne s’enrichit pas.

Raoul Brémond (Prolétariat fraction théorique)