Pierre Guillaume – 1978
La constitution de la classe en conseils démontre qu’elle s’organise sur ses objectifs propres, mais ne dit rien sur la nature de ces objectifs, ni sur les divisions qui peuvent exister à l’intérieur de cette classe. Tous les problèmes de la révolution allemande ont tourné autour de ce fait, qui a déterminé toutes ses fluctuations. Au fur et à mesure que la fraction la plus intelligente des officiers a compris qu’il fallait accorder la paix pour sauver ce qu’ils considéraient comme l’essentiel, et à partir du moment où la sociale-démocratie s’est ralliée à la paix, la majeure partie du mouvement est retombée. Mais, dès le départ, la révolution allemande était plus qu’un mouvement pour la paix : en effet, si les premiers conseils ont été des conseils de soldats, il existait depuis plusieurs années, dans les usines, ce qu’on appelait l’organisation des «hommes de confiance», c’est à-dire de délégués ouvriers, coordonnés d’usine à usine, luttant contre la sur-exploitation due à la guerre, sur des positions beaucoup plus «classistes» et économiques que les conseils de soldats. Le mouvement des conseils de soldats s’est coordonné et une organisation de conseils d’ouvriers et de soldats est apparue dans toute l’Allemagne, basée principalement sur les conseils d’usine.
D’autre part, la paix créa en Allemagne une situation économique parfaitement monstrueuse, largement aggravée par la politique de la France et des autres puissances victorieuses. En plus du problème de la paix, la révolution allemande s’est donc articulée sur des revendications prolétariennes qui culminèrent dans des grèves et des insurrections. Or, à chaque fois, on a vu le même mécanisme se mettre en action. Quand le capital s’avérait incapable de satisfaire des revendications élémentaires, les révolutionnaires – les éléments les plus radicaux – étaient portés à la tête du mouvement mais, dès qu’une partie de ces revendications étaient satisfaites, le mouvement retombait. Malgré la présence de minorités radicales un peu partout, le mouvement n’a jamais été capable de s’unifier dans une perspective nationale et internationale, d’autant plus que l’Allemagne était encore mal unifiée (l’unification de 1871 avait laissé subsister les dynasties locales en Bavière, en Prusse, etc., qui ne furent renversées qu’en 1918). On a assisté à des explosions et des défaites séparées, région par région, d’ailleurs provoquées par la classe dominante sans doute la plus intelligente du monde. Les révolutionnaires analysèrent ces expériences et l’on pourrait dire qu’ils ont presque connu toutes les formes possibles de contre-révolution, ce qui fait l’extraordinaire richesse de la gauche allemande.
En particulier, ils ont été les premiers à voir que la crise économique, jusque là considérée par les révolutionnaires comme le fourrier de la révolution, pouvait être une arme manipulée par la contre-révolution. Par exemple, la bourgeoisie allemande a su utiliser ce qui lui restait de possibilité d’aggraver ou de réduire l’ampleur de la crise économique pour séparer différentes couches au sein du prolétariat, et plus spécialement pour susciter une division fond