À l’heure où la République s’apprête à célébrer spectaculairement les 150 ans de la Commune de Paris pour mieux la ré-assassiner, il est bon de rappeler les derniers mots des Souvenirs de Gustave Lefrançais:


“Et, que les prolétaires ne l’oublient pas, [les républicains] ne sont pas les moins dangereux parmi leurs implacables ennemis.”

Voilà, pour le Gilet Jaune tenté par la rédaction de ses mémoires, une conclusion déjà toute prête…


Pour commémorer “le point de départ de la rupture définitive entre le prolétariat et ses exploiteurs” qu’est la Commune, et face à l’inévitable tintamarre festif de ses implacables ennemis, nous avons choisi de donner la parole au prolétariat communard le plus conscient en publiant, à dater du 15 mars, les Souvenirs de Lefrançais.


“République”… “citoyen”… 
Le lecteur averti ne s’étonnera pas de croiser au fil du récit, ces mots à l’époque encore chargés d’espérance. Il a sur Lefrançais l’avantage du recul historique, et sait de manière définitive, avec Marx et Engels, que la république n’est que la forme étatique ultime et accomplie de la domination du Capital, le terrain sur lequel se livre la bataille décisive entre ce dernier et le prolétariat, et que le mouvement de l’émancipation humaine est strictement antithétique à l’engluement dans l’aliénation citoyenniste.


Le témoignage de Lefrançais n’en est pas moins précieux. Il nous transmet la vraie Commune, vivante et concrète, à hauteur d’homme. Il nous transmet aussi une leçon essentielle: avoir le courage de regarder la vérité de ce qui advient et d’en tirer les conséquences nécessaires…


VIVE LA COMMUNE!


GDC

Gustave Lefrançais 

Gustave Lefrançais (1826-1901) est certainement un des révolutionnaires français les plus remarquables et les plus caractéristiques de la deuxième moitié du siècle dernier. Lefrançais, qui a vécu 1848, l’exil en Angleterre, la préparation de la Commune, la Ire Internationale et la Commune, l’Internationale Anti-Autoritaire en Suisse, etc., a traversé tout cela sans jamais perdre pied dans les marais politiques qui sillonnaient cet itinéraire.
Il est l’exemple rare d’un homme représentant du mouvement communiste à travers deux contre-révolutions, et qui le resta malgré et contre l’époque.
Instituteur laïque, athée et socialiste, Lefrançais se fait renvoyer en 1847 et devient commis aux écritures ; il participe à la révolution de 1848 ; en 1849 il participe à l’Association Fraternelle des Instituteurs, Institutrices et professeurs socialistes et participe également à la rédaction de son Programme d’Enseignement, ce qui lui vaut de passer en correctionnelle en avril 1850 et d’être mis en résidence surveillée à Dijon.
Il réussit à partir pour Londres en mai 1852 ; là, c’est la misère, la défense contre les rackets politiques en exil qui vivent bien, eux ; Lefrançais, tout en partageant cette situation avec ses amis comme Joseph Déjacques, réfléchit, et après un an et demi passé à Londres, c’est un révolutionnaire communiste qui revient à Paris, qui a fait la critique du proudhonisme, du mutualisme, du blanquisme, et surtout qui a compris que le prolétariat n’a rien à voir avec les petits-bourgeois démocrates ou jacobins à la Ledru-Rollin. De 1853 à 1868, Lefrançais rencontre tous les opposants révolutionnaires, et les autres aussi.
Dans la période 1868-1871, qui signifie la montée du processus révolutionnaire, la classe, balbutiante encore, produit des hommes comme Pindy, Lefrançais, Leverdays, Vermorel, etc., qui, sans être ni des « théoriciens » ni des « magiciens », l’éclairent sur son propre mouvement historique. Lefrançais est vite un des orateurs les plus populaires dans toutes ces réunions publiques qui se tiennent au Vauxhall, au Pré-aux-Clercs, à la Redoute, et qui voient toute la frange réellement en mouvement du prolétariat s’y engouffrer à la recherche de lui-même ; Lefrançais y est un des principaux partisans et défenseurs du communisme, de l’union libre, etc. Il est membre du comité de vigilance du IVe arrondissement, puis du Comité Central des 20 arrondissements, il réclame des mesures d’urgence, en vain. Après être passé par Mazas, il arrive à être élu membre de la commune, puis de la commission exécutive ; il est de la « minorité » contre le Comité de Salut public.
Réfugié à Genève, il crée avec Mâlon et Ostyn la Section de propagande et d’action révolutionnaire de Genève, dont il est le chef de file ; et participe aux Congrès Internationaux de l’A.I.T. Anti-Autoritaire.
Il collabore à beaucoup de journaux « anti-autoritaires » de l’époque jusqu’en 1878 environ ; il publie également des brochures (République et Révolution, De l’attitude à prendre par le prolétariat en présence des partis politiques, De la dictature, etc.), dans lesquelles il tente une théorisation de la lutte autonome du prolétariat et du refus de la politique. Il tient à ce qu’on ne l’associe pas, qu’on ne l’identifie pas aux anarchistes : il n’est d’aucun parti, d’aucune secte.
Après avoir réorganisé la section de Lausanne, et s’être battu en duel avec Veermeerch, Lefrançais revient à Paris en 1887 ; à l’écart, il passera la fin de sa vie… à l’écart, mais à l’écart de la politique.

« Je meurs de plus en plus convaincu que les idées sociales que j’ai professées toute ma vie et pour lesquelles j’ai lutté autant que j’ai pu sont justes et pures.
Je meurs de plus en plus convaincu que la société au milieu de laquelle j’ai vécu n’est que le plus cynique et le plus monstrueux des brigandages.
Je meurs en professant le plus profond mépris pour tous les partis politiques, fussent-ils socialistes, n’ayant jamais considéré ces partis que comme des groupements de simples niais dirigés par d’éhontés ambitieux sans scrupules ni vergogne ».

Testament de Lefrançais.

Éléments biographiques extraits de Jean-Yves Bériou, Théorie révolutionnaire et cycles historiques