Dans une phase historique de contre-révolution triomphante qui allait mener durant l’année 1937 au massacre des prolétaires révolutionnaires de Barcelone par les gauches stalino-démocratiques du Capital épaulées par les ministres de la CNT *, Bilan – en défense intransigeante de la perspective communiste et ce malgré de lourdes incompréhensions concernant notamment le caractère capitaliste de l’expérience bolchévique – sut continuellement rappeler que la « tâche de l’heure » est de « ne pas trahir », ceci afin que soient préservés les acquis pratiques et théoriques du prolétariat jusqu’à ce que – au terme d’un long et inébranlable ouvrage collectif – se recompose le mouvement organique de la révolution contre l’argent, le salariat et l’État.


Premier Mai 1935

Bilan n°18 – Avril-Mai 1935

À bas toutes les patries : la fasciste, la démocratique, la soviétique !

Vive la lutte du prolétariat mondial pour la révolution dans tous les pays !

Cette journée devrait être une vérification des forces du prolétariat mondial qui, sous les drapeaux rouges de la révolution, commémore le martyr des héros de Chicago qui, dans les manifestations de tous les pays, revendique son droit à la vie et proclame sa volonté de poursuivre la lutte pour briser les chaînes du servage capitaliste et fonder la nouvelle société communiste. Cette journée du 1er mai 1935 – là où elle n’a pas été arrachée du calendrier ouvrier par des massacres de militants prolétaires -, dans ces pays où elle peut connaître des manifestations de masses, ne rassemble plus des foules qui font de leur rencontre dans les rues et sur les places une occasion pour retrouver conscience de leur force, mais rassemble au contraire des masses d’exploités éreintées par de cuisantes défaites qui ont tué en elles la force, la confiance dans l’avenir de leur classe et qui sont devenues incapables, non seulement de combattre contre l’ennemi, mais aussi d’arracher à celui-ci les drapeaux rouges dont il veut se servir pour parer son régime de fange et de sang, pour proclamer aux esclaves que le prix qu’ils doivent payer pour avoir perdu avec l’Internationale Communiste, l’organe de leur délivrance du joug capitaliste, consiste dans la signification de leur exploitation, dans le salut à la patrie, puisque pour sortir de l’étau de la faim, du chômage, de la crise, ce n’est plus le capitalisme de tous les pays qui devra être détruit, mais d’autres patries ennemies, ce sont les vies de millions d’autres exploités qui devront être étranglées. La condamnation à l’esclavage ne résulterait plus des bases sociales du régime capitaliste mais de la répartition injuste du monde entre les brigands, de la concurrence que se feraient les ouvriers des différents pays, de la nécessité de défendre ou de modifier l’assiette actuelle des différents États capitalistes et les rapports entre eux.
L’économie capitaliste détermine la condition élémentaire pour faire des masses de travailleurs l’armée des prolétaires qui combattent pour la révolution communiste : la nature collective et socialiste de l’instrument de la production dans les installations gigantesques des usines actuelles pousse l’ouvrier à reconnaître dans sa fonction sociale le fondement de la nouvelle économie communiste. Mais la bourgeoisie construit l’appareil de sa domination pour briser le chemin qui peut conduire les ouvriers à accoupler leurs revendications révolutionnaires avec la progression incessante de la technique de production. Dans les pays où, dans l’immédiat après-guerre, à cause du bouleversement plus violent du mécanisme économique et politique ennemi au cours de la boucherie de 1914-1918, le capitalisme n’avait d’autre issue que celle de l’institution d’un régime d’oppression fasciste dans lequel la moindre revendication de classe des ouvriers expose à des dizaines d’années de prison et le geste d’une revendication révolutionnaire coûte la vie aux prolétaires. En d’autres pays, qui purent offrir, à cause de la victoire militaire et de la possession d’empires coloniaux, une certaine résistance au choc de la guerre mondiale, et où l’effort libérateur du prolétariat put être immédiatement corrompu par les effets de la reprise économique provisoire, dans ces pays, ceux qui s’acquittent de la même fonction que le fascisme accomplit en Italie, en Allemagne, ce sont les agents de l’ennemi au sein de la classe ouvrière : les socialistes et les centristes** qui appellent les masses à manifester en ce 1er mai, non pas au nom des revendications de classe des ouvriers, mais au nom des mêmes objectifs qui serviront demain aux capitalismes respectifs pour déclencher la guerre. Mettre l’enseigne de la « paix » aux manifestations du 1er mai, c’est proclamer que l’on garantit à la bourgeoisie de maintenir « dans la paix » la suprématie conquise au travers du Traité de Versailles. Mussolini et Hitler affirment, eux aussi, leur volonté de « paix », à la condition que sans la guerre on puisse arriver à une modification de la répartition du monde. Et l’une et l’autre s’opposent inévitablement : la conception de la « paix » qui s’intitule démocratique à l’autre fasciste, et dans l’étau de ces tenailles le prolétariat se trouve déjà entraîné dans les deux girons qui le conduiront à jeter des millions de ses vies pour le sauvetage du régime capitaliste mondial.

PROLÉTAIRES !

Le capitalisme est poussière sans l’État, organisme de sa défense et de l’oppression sur le prolétariat. Les masses immenses des ouvriers de tous les pays sont poussière sans le parti, organisme de leur lutte, de leur victoire révolutionnaire. Le prolétariat construit son parti non au feu de dissertations d’intellectuels à la recherche de la pierre philosophale, non au travers des intentions de l’une ou de l’autre personnalité, de l’un ou de l’autre groupe qui prétend se réclamer de la classe ouvrière. Le prolétariat apparaît comme une force capable de révolutionner le monde lorsque les circonstances historiques et les contradictions du régime capitaliste ont écartelé la machine étatique de la bourgeoisie, et alors les masses des ouvriers sont jetées dans les événements pour asséner au régime ennemi le coup définitif qui détruira son mécanisme et ouvrira la phase transitoire de la dictature prolétarienne en vue de la destruction des classes. Mais dans ces circonstances historiques, le prolétariat ne peut atteindre sa finalité s’il ne trouve pas à sa tête un parti qu’avaient préparé de longue date de pénibles et de longues luttes théoriques et politiques. Ce parti ne germera qu’à la condition que toutes ses luttes aient suivi le chemin naturel de l’évolution historique qui ne portera jamais les forces socialistes qui trahirent en 1914 à redevenir les forces de la révolution, qui ne portera jamais les forces centristes qui portèrent aux défaites du prolétariat mondial dans tous les pays du monde à devenir des forces capables de s’opposer à la chute des situations actuelles vers la guerre. La Deuxième Internationale fut un cadavre puant en 1914, non à cause de circonstances fortuites ou d’erreurs d’individus, mais sa putréfaction fut le produit historique de toute une évolution se prolongeant pendant deux décades et contre laquelle l’on ne pouvait combattre validement seulement qu’en armant le prolétariat de nouvelles conceptions théoriques, de nouveaux instruments de la lutte prolétarienne et révolutionnaire Ce ne sont pas les hasards ou la perversion de Staline qui ont transformé la Troisième Internationale en un cadavre, mais ce sont les défaites terribles du prolétariat dans tous les pays qui ont fécondé la situation actuelle dans laquelle l’État russe épouse la cause du capitalisme, de l’un ou de l’autre État, alors que les ouvriers de tous les pays sont écrasés.
Aujourd’hui encore, l’on prépare le parti de la révolution de demain au travers d’une oeuvre d’investigation théorique et politique qui permettra au prolétariat de conquérir les armes nouvelles pour le triomphe de la révolution qui résultera seulement du bouleversement du mécanisme politique actuel du capitalisme dont les piliers sont : fascisme, démocratie, socialisme, centrisme : État fasciste, démocratique, soviétiste. Dans l’après-guerre, les tempêtes révolutionnaires éclatèrent avec une acuité différente dans tous les pays, mais elle se conclurent par la victoire ouvrière en Russie seulement, où, sur la base de la défaite de 1905, au travers d’un travail de fraction, les bolcheviks avaient édifié les cadres de la révolution communiste. On prépare aujourd’hui la victoire révolutionnaire de demain au travers d’un processus analogue qui, prenant pour matériaux les défaites de l’après-guerre, construit l’arsenal pour la nouvelle lutte révolutionnaire. Les individualités et les groupes qui ne suivent pas les traces du chemin parcouru par les bolcheviks entre 1905 et 1917, travaillent non pour la victoire révolutionnaire de demain, mais pour mettre les nouvelles batailles prolétariennes dans l’impossibilité d’arriver à leur conclusion : détruire dans le capitalisme l’origine de l’exploitation de l’homme par l’homme : fonder les bases pour la société communiste.

PROLÉTAIRES !

Le capitalisme, minorité infime de l’humanité, ne peut exister, ne peut vaincre le prolétariat par les seuls instruments d’une cruelle répression qu’il peut abattre sur les masses. Les victoires capitalistes de l’immédiat après-guerre, bien que terribles, n’avaient pas une portée définitive et irrémédiable. Le prolétariat aurait pu redresser sa force et porter, malgré tout, le triomphe que la classe ouvrière mondiale avait obtenu en Russie en 1917, à sa conclusion : la victoire internationale. Mais ses défaites ont engendré la politique qui, loin de maintenir l’opposition de classe entre l’État prolétarien et le capitalisme mondial, loin de mettre l’État russe au service de la révolution mondiale, ont conduit progressivement, d’abord à la renonciation de la lutte, ensuite à l’accord entre l’État prolétarien et le capitalisme de tous les pays, personnifié par l’un ou l’autre État bourgeois.
À la théorie de la « cohabitation pacifique des deux régimes », le capitalisme mondial a fait chorus en saluant dans l’État russe l’instrument le plus formidable pour l’oeuvre de destruction du prolétariat international. Le poignard fasciste pouvait obtenir une victoire provisoire, l’oeuvre de corrosion intérieure que pouvait développer l’État russe dans les armées prolétariennes devait avoir, pour la classe ouvrière mondiale, le même résultat qu’eut l’oeuvre réformiste dans la Deuxième Internationale : la Troisième Internationale est aujourd’hui putréfiée ; l’État russe est aujourd’hui une maille de la chaîne qui nous conduira à la guerre.

PROLÉTAIRES !

En janvier 1933 tombait – ensemble avec le prolétariat allemand – l’I.C. et, à partir de ce moment, le centrisme ramassait les fruits d’une politique qui, rendue possible par l’expulsion de l’aile marxiste des P.C., devait conduire à la course aux succès économiques, politiques et militaires en U.R.S.S., alors que l’offensive du capitalisme de tous les pays se poursuivait ininterrompue et meurtrière. L’incorporation de l’État russe dans le système capitaliste mondial s’est confirmée par l’entrée dans la Société des Nations, dans cet organisme que l’I.C., à l’époque de sa fondation, qualifiait de « Société de Brigands ».
Cette dernière année, un nouveau pas décisif a été accompli vers la préparation à la guerre. La Conférence dite du désarmement ne pouvait plus suffire aux besoins du capitalisme mondial dont elle exprimait la volonté de maintenir la suprématie des États vainqueurs alors que les conditions politiques ne permettaient pas encore aux États vaincus en 1918 de procéder à un simple programme de réarmement. La destruction du prolétariat international s’étant accomplie par la défaite du prolétariat allemand, les nouveaux rapports entre les États capitalistes ont progressé de la notion de convention internationale à celle des traités d’assistance mutuelle. Et aujourd’hui, celui qui revendique en premier lieu ce type de traité est justement l’État prolétarien. La vision de l’inévitabilité de la guerre conduit directement vers la recherche des meilleures alliances pour pouvoir faire face demain à la boucherie. La théorie nationaliste et réactionnaire qui, se basant sur la maxime de Bismarck, affirme comme seule garantie de la « paix » celle de la crainte imposée à l’ennemi qui voudrait faire la guerre, cette théorie politique anime les différents pays : de l’Italie, qui considère comme nulles toutes les conventions et passe déjà à la mobilisation ; de l’Allemagne, qui reconstruit l’armée pour défendre son territoire ; de la France, qui préconise les traités bilatéraux pour renforcer sa suprématie ; de la Russie soviétique, qui s’impatiente des hésitations françaises à signer un pacte contenant des engagements militaires précis.
Le prolétariat international, qui était la proie de toutes les combinaisons qui se déroulaient à la Conférence dite du désarmement, est aujourd’hui la victime de toutes les combinaisons qui se construisent entre les différents États capitalistes, avec lesquels marche l’État soviétique en une solidarité que la révolution seule pourra briser.

PROLÉTAIRES !

Les appels pour les manifestations du 1er mai vous viennent donc de forces qui agissent directement au service de l’ennemi. Pour faire de ces rassemblements un moment de la lutte pour la révolution, il faudrait arracher aux socialistes et centristes les drapeaux rouges qu’ils ont usurpés au prolétariat et qu’ils détiennent désormais dans l’intérêt du capitalisme mondial. Il faudrait pouvoir bouleverser le rapport des forces existant entre les classes, briser le mécanisme de domination du capitalisme où figurent – comme pivots essentiels – la social-démocratie et le centrisme : les équivalents politiques du fascisme dans ces pays. Cette destruction de l’assiette politique actuelle ne peut résulter que de la reconstruction du parti de classe du prolétariat, de l’Internationale de la Révolution. Et ces organismes ne peuvent être fécondés que sur le terrain de la lutte des classes. Vous opposerez aux déformations de manifestations pour la « paix », votre volonté de vous battre : en Allemagne comme en France, en Angleterre comme en U.R.S.S., en Italie comme au Japon, dans tous les pays du monde pour vos revendications de classe, sur la base de vos institutions unitaires et de classe, au travers des instruments de classe de votre lutte. La « paix », aujourd’hui comme hier et comme demain, est la prémisse de la guerre impérialiste ; seule la lutte de classe peut bouleverser les bases du régime capitaliste et conduire à la victoire de la révolution.

VIVE LE PREMIER MAI DU PROLÉTARIAT QUI VEUT FAIRE DES MARTYRS DE CHICAGO L’ÉTENDARD DE LA LUTTE DES CLASSES POUR LA LIBÉRATION DU PROLÉTARIAT DE TOUS LES PAYS !

À BAS SOCIALISTES ET CENTRISTES QUI VEULENT FAIRE DU 1er MAI UNE OCCASION DE MOBILISATION DU PROLÉTARIAT POUR LA GUERRE !

À BAS TOUTES LES PATRIES : LA FASCISTE, LA DÉMOCRATIQUE, LA SOVIÉTIQUE !

VIVE LA LUTTE DU PROLÉTARIAT MONDIAL POUR LA RÉVOLUTION DANS TOUS LES PAYS !

* Voir le fameux tract :

Plomb, Mitraille, Prison : ainsi répond le Front Populaire aux ouvriers de Barcelone osant résister à l’attaque capitaliste…

** Bilan et le courant dit bordiguiste appelaient alors centristes l’ensemble des forces se disant prétendument « communistes » tout en soutenant le cours staliniste du capitalisme d’État.