Nous poursuivons ici le texte de Grandizo Munis avec un extrait concluant son chapitre sur les journées de mai 37. Après l’insurrection, écrasée par le camp démocratique incluant l’anarchisme, la répression allait pouvoir se poursuivre. Si les ministres cénétistes n’ont pas été inquiétés, c’est en revanche les militants les plus réfractaires, à la base, qui allaient être les proies des exactions des staliniens, désormais maîtres des lieux. La chasse aux éléments incontrôlables était ouverte pour de bon.

Munis revient aussi brièvement sur la chute de Largo Caballero, provoquée par les ministres staliniens Uribe et Hernández juste après les journées de mai, et la constitution du nouveau gouvernement Negrín. Celui-ci verra encore, pour une année, la présence d’Indalecio Prieto, laquelle permettra encore au PCE d’écarter Caballero[1] de l’exécutif de l’UGT, afin d’avoir la mainmise sur ce puissant syndicat[2]. On peut saisir tout le cheminement qui, en parallèle des arrestations et assassinats, permet la prise de pouvoir total du stalinisme, frère ennemi du fascisme. La liquidation définitive de la révolution sociale de juillet 36 allait être le prélude indispensable à la guerre inter-impérialiste qui se préparait…

Ci-après, la coupure d’un article de Solidaridad Obrera daté du 12 mai 1937 à propos d’un événement dont Munis fait mention en début d’extrait. On peut remarquer que la presse anarchiste officielle, ayant prônée la capitulation fraternelle et se montrant bien timide à propos de la répression montante, ne pouvaient pas cacher plus longtemps la découverte, le 8 mai, des corps sans vie de jeunes militants anarchistes, dans la banlieue de Barcelone[3]. On notera le titre obscur – et nécessaire – de l’article, qui évoque « les crimes des incontrôlés » … Étant donné le rôle joué par les dirigeants de la CNT-FAI durant les jours précédents, on peut comprendre qu’il était difficile, pour Solidaridad Obrera, de désigner clairement qui étaient les auteurs de l’assassinat de ces 12 incontrôlables…

« LES CRIMES DES INCONTRÔLÉS »
« Dans la commune de Cerdanyola-Ripollet, une mystérieuse ambulance a déposé les cadavres, atrocement mutilés, de 12 militants des Jeunesses Libertaires… »


Dès que les ouvriers se retirèrent des barricades, on commença à payer le coût de la défaite politique de mai 1937 – et cela continue maintenant sous Franco. Des centaines de militants – parmi les meilleurs – furent assassinés dans les prisons staliniennes, les commissariats, et aux alentours de la ville. Les cadavres de tout un groupe de dirigeants des Jeunesses libertaires, un peu plus d’une vingtaine d’hommes, dont le plus connu était Alfredo Martinez, furent retrouvés au bord d’une route[4]. Pour ne citer que les plus connus, Camillo Berneri et Francesco Barbieri, anarchistes, furent assassinés[5] ; puis, peu après, Andrés Nin (POUM)[6], les trotskistes Erwin Wolf[7] et Hans David Freund (« Moulin»)[8] et tant d’autres dont il est impossible de rappeler les noms, sans parler des milliers d’emprisonnés[9]. Plusieurs milliers de militants furent assassinés pendant la période de domination stalino-negriniste. La plupart des cas ne pourront être connus que le jour où le prolétariat fera la révolution. Pour caractériser l’intensité et la qualité de la terreur gouvernementale, rien n’est plus explicite que les paroles de Manuel de Irujo, représentant des catholiques basques dans le gouvernement Negrín[10]. Ses paroles prennent d’autant plus de valeur qu’elles ont été prononcées pendant le procès contre le POUM, alors que s’exerçaient toute la pression et la terreur gouvernementales pour empêcher des témoignages favorables aux accusés. Dans ces conditions, et si l’on tient compte de l’accord général du témoin avec la politique stalinienne, les paroles de Manuel de Irujo doivent être considérés comme une vérité atténuée : après les journées de mai – dit-il – « à l’aube, on trouvait dans les fossés des routes les révolutionnaires assassinés, en plus grand nombre que dans la zone franquiste».

Le prix politique de la défaite ne se fit pas attendre. La Section bolchévique-léniniste et les Amis de Durruti, les seules organisations à avoir soutenu fermement l’insurrection ouvrière[11], furent condamnés à l’illégalité par la violence même de la répression. Quelques semaines plus tard, tous les locaux du POUM furent fermés, sa presse interdite, son imprimerie saisie[12]. L’ordre public et la direction militaire du front d’Aragon passèrent aux mains du gouvernement central, sur la demande des staliniens et des petits-bourgeois qui affichaient leur catalanisme. Pendant que Barcelone était remplie des gardes d’assaut, de gardes civils et de carabiniers, équipés des meilleures armes, le gouvernement traitait de « fascistes » les ouvriers qui conservaient un fusil ou un pistolet. Notre arrière prit l’aspect qu’eurent toutes les villes sous le gouvernement Lerroux- Gil-Robles[13]. Des milliers de gardes, fusil à l’épaule, cartouche fendue, déambulaient dans les rues, surveillaient les usines et les quartiers ouvriers, protégeaient les banques, les bureaux gouvernementaux et les résidences des dirigeants traîtres. L’infâme campagne du « toutes les armes au front » avait triomphé.

La garde d’assaut patrouille…

La victoire de la contre-révolution devait prendre forme dans un nouveau gouvernement. Le mois de mai n’était pas encore terminé que le parti stalinien, toujours à la pointe de l’initiative réactionnaire, provoquait la démission de Largo Caballero, qui de son côté se laissa expulser sans résistance, alors qu’il aurait pu recevoir, s’il l’avait sollicité, le soutien des masses contre le stalinisme. Se constitua alors le fameux gouvernement Negrín, au sujet duquel je veux dire ici quelques mots, avant de lui consacrer, à la fin de ce livre, le chapitre qu’il mérite.[14]

S’il est vrai que dans le Parti socialiste, sans que ce fût une exception dans les partis espagnols, les têtes pensantes ne se faisaient pas remarquer par leur lumineuses qualités, celle de Negrín, médecin ambitieux ayant quelques velléités politiques, était l’une des plus ternes. Cela lui porta chance, et lui permit d’être pendant presque deux ans chef du gouvernement, d’acquérir une renommée et de se déshonorer. Mais pour quelqu’un de l’acabit de Negrín, toute renommée est gratifiante, même celle de tortionnaire.

L’heure du festin était arrivée pour toutes les tendances réactionnaires favorables à une accolade de Vergara[15]. Les principales étaient le PCE et la droite socialiste représentée par Prieto. Mais si elles étaient d’accord sur les grandes lignes politiques à suivre – annihiler la révolution, passer la camisole au prolétariat, faire la paix avec la clique fasciste -, elles divergeaient sur le type de tutelle internationale qui devait dominer en Espagne. Le stalinisme représentait la contre-révolution russe, désormais en quête de pays sur lesquels mettre la main ; le réformisme représentait l’impérialisme anglais et français, l’impérialisme américain aussi, bien que celui-ci se tînt éloigné des événements d’Espagne. C’est l’antagonisme existant entre tous ces secteurs, qui convergeaient dans la même tâche réactionnaire, qui donna une opportunité au terne Negrin. Ces tendances se mirent d’accord pour en faire le président du gouvernement, à cause de son manque de personnalité et parce que chacune d’entre elles pensaient avoir prise sur lui. Prieto crut qu’il sortirait gagnant car Negrín faisait partie de sa clientèle. Mais le stalinisme, qui savait parfaitement manipuler les hommes peu scrupuleux et totalement dénués de convictions, mit tout de suite Negrín dans sa poche[16].

et la garde civile veille au grain.

Une des premières déclarations de Negrín, une fois président, fut l’annonce faite au monde en général, et à la zone franquiste en particulier, de son projet contre-révolutionnaire et de capitulation devant l’ennemi :

« Il est encore prématuré de parler de paix ; bientôt viendra le moment opportun. Nous ne pouvons pas parler de paix avant d’avoir assuré une tranquillité absolue à l’arrière. » (C’est moi qui souligne.)

Quelle tranquillité était troublée à l’arrière et qui la troublait ? Nous l’avons vu dans les pages et les chapitres antérieurs. La tranquillité de ceux qui supprimaient les libertés et les conquêtes ouvrières, détruisaient les Colectividades agricoles, expropriaient le prolétariat en nationalisant les entreprises qu’ils occupaient ou en les rendant à leurs anciens propriétaires, désarmaient le prolétariat, remettaient en vigueur, dans l’armée, le code militaire de Charles IV, pourchassaient, fusillaient, assassinaient et calomniaient les révolutionnaires ; bien conseillé et secondé par la Guépéou[17], Negrín allait se charger d’instituer la tranquillité de la dictature policière. Seul le prolétariat troublait cette tranquillité et Negrín se proposait de le neutraliser tout à fait avant de tendre la main à Franco. Les fascistes et les vieux réactionnaires qui se trouvaient dans notre zone soutenaient tous Negrín et le PCE, les uns activement, les autres passivement[18]. Mais en effet, il était prématuré de parler de paix. Il restait suffisamment de forces au prolétariat pour s’y opposer, malgré la défaite de mai 1937. L’avalanche d’indignations et de protestations provoquée par les déclarations de Negrín, jusque dans le parti socialiste, l’obligèrent, lui et ses flamboyants conseillers staliniens, à tempérer leur ardeur avec les fascistoïdes franquistes[19]. Et lorsque la dictature policière en arriva à être suffisamment forte pour empêcher toute protestation prolétarienne, il était déjà trop tard pour que Franco puisse accepter de conclure la paix avec de misérables traîtres qui, en faisant le travail répressif de Franco, lui offraient la victoire. De la victoire sur le prolétariat en mai à la fraternisation avec l’ennemi fasciste. Tel fut le résultat de ce « Cessez le feu ! ».

Une partie du gouvernement en 1938… Juan Negrín et Indalecio Prieto côte à côte (en complet blanc et noir, respectivement) flanqués des deux ministres staliniens, Vicente Uribe[20] et Jesús Hernández[21]. Tout à droite se trouve le général Vicente Rojo, chef d’État-major des forces armées[22]

Se réjouissant de l’œuvre de Negrín, l’organe de l’impérialisme financier anglais, The Times (8 octobre 1937), expliquait clairement son but : gagner les bonnes grâces du généralat franquiste :

« En rétablissant la loi, le gouvernement fait appel à quelque chose de plus qu’à la simple confiance populaire. Cet appel pourrait bien traverser la frontière des tranchées. »

Cette flegmatique sincérité de la revue de la City – information diplomatique – nous évite d’avoir à insister sur le caractère contre-révolutionnaire, traître militairement, du gouvernement stalinien présidé par Negrín. Souvenons-nous uniquement du processus général : « toutes les armes au front », « moins de comités, plus de pain », « tout le pouvoir au gouvernement », « armée populaire », « ceux qui collectivisent et parlent de révolution sociale sont des bandits », « trotskistes, agents de Franco », « anarcho-trotskystes », etc. Le tout se transforma, grâce à l’ordre du « Cessez le feu ! » en un gouvernement dominé par le PCE qui aspirait à se faire entendre du généralat franquiste, en lui donnant des preuves formelles de sa capacité à réprimer la révolution. Ainsi fut anéanti un mouvement qui, s’il avait vaincu, aurait changé tout le cours de l’histoire européenne et mondiale.

Le gouvernement stalinien de Negrín va liquider entièrement la révolution et illustrer ce qu’est en Russie le gouvernement du « petit père des peuples ». Mais, sans anticiper sur le chapitre correspondant, il serait injuste de terminer sans dire que l’œuvre de Negrín ne fit que continuer l’œuvre de Caballero. Celui-ci, grâce à l’appui de la CNT et du POUM, entreprit de détruire ou soumettre les comités-gouvernement, désarmer les masses, exproprier le prolétariat par le biais de la nationalisation, reconstituer les corps répressifs et les tribunaux capitalistes, ainsi que l’ancienne armée[23]. Chacune des mesures qui, à la fin du gouvernement Negrín, concrétisent déjà la contre-révolution, viennent du gouvernement Largo Caballero. Une simple dose de pouvoir capitaliste suffit à faire revivre celui-ci, à lui redonner corps. Capitalisme et socialisme sont incompatibles.

Grandizo Munis, Leçons d’une défaite, promesse de victoire


[1] Caballero et Prieto étaient rivaux au sein du PSOE (Parti socialiste ouvrier d’Espagne). Ils représentaient, respectivement, l’aile gauche et l’aile droite du parti.

[2] Ces manœuvres eurent lieu au moment où un rapprochement s’opérait entre la CNT et l’UGT, dès l’été 1937, pour faire face à la montée des staliniens. Caballero était alors membre de l’exécutif du second syndicat et favorisait cette alliance.

[3] De la même manière, l’enlèvement et le meurtre de Berneri et de Barbieri, la nuit du 5 au 6 mai 1937, ne furent rendus publiques qu’après la fin des combats, dans le Boletín de Informacíon de la CNT-FAI du 8 mai. Les détails de ce double assassinat seront relatés dans l’édition du 11 mai de Solidaridad Obrera.

[4] Il s’agissait de membres du mouvement de jeunesse de la CNT, les Juventudes Libertarias, ou FIJL. Ils furent enlevés à Barcelone durant les journées de mai et incarcérés dans des casernes staliniennes, pour y être torturés et assassinés.

« …Examinant attentivement les douze corps, ils se rendaient compte que leur mort ne s’était pas seulement effectuée d’une façon violente, mais qu’ils avaient certainement subi des supplices horribles à juger d’après les mutilations, les contusions et coups terribles que leurs corps montraient.

Du diagnostic fait par les médecins légistes, il résulte qu’il s’agit de jeunes gens qui étaient morts au moins depuis deux jours. En même temps, il fut constaté qu’avant de mourir, ils avaient été torturés d’une façon barbare comme le prouve le fait que les corps présentent de graves contusions et hématoses sur le ventre qui semble enflé et déformé. Comme détail, on peut ajouter encore que certaines traces sur un des cadavres montrent nettement que celui-ci a été pendu par les pieds ; la tête et le cou paraissent énormément violacés. La tête d’un autre de ces malheureux jeunes camarades porte des marques évidentes de coups de crosse de fusil.

Quand on procéda, à Barcelone, à l’identification des malheureux jeunes gens, il s’avéra qu’ils étaient tous des membres des Jeunesses Libertaires de l’ancien arrondissement de San André (aujourd’hui Armonia de Palomar). »

Extrait de Solidaridad Obrera du 12 mai 1937

[5] Berneri et Barbieri furent arrêtés à leur domicile, à Barcelone, et emmenés par une douzaine d’hommes, dans la nuit du 5 au 6 mai 1937. On retrouva leur corps le jeudi 6 mai, en début de matinée.

« …La presse a annoncé en son temps la mort du professeur Berneri, l’anarchiste italien, victime, comme tant d’autres, des journées sanglantes de Barcelone. Ce qu’elle n’a pas dit, c’est que Berneri ainsi que son compagnon Barbieri ont été assassinés lâchement par les staliniens, sur l’ordre de qui, on s’en doute. Lorsqu’on retrouva leurs cadavres, on s’aperçut que le premier avait été éventré et le second mutilé si affreusement que sa femme ne put le reconnaître qu’à la couleur de ses chaussettes… »

Marcel Olliver & Katia Landau, Espagne, les fossoyeurs de la révolution sociale

[6]« Le 16 juin 1937, deux jours avant la date prévue pour le Congrès du P.O.U.M., Andrès Nin est arrêté. C’est une arrestation isolée et ce n’est que plus tard que nous avons compris pourquoi les agents, venus pour arrêter tout le C.E. du P.O.U.M. étaient si peu « exigeants ». Les staliniens ont mieux compris que personne ce que la perte de Nin signifiait pour le P.O.U.M. Nin n’a pas seulement osé dire la vérité sur le rôle du stalinisme dans la révolution espagnole et dans le mouvement révolutionnaire international ; il a commis le crime impardonnable d’opposer à Staline en Espagne un parti, sans doute pas très grand, mais qui en raison de sa solidité idéologique se développait de plus en plus. Nin, le chef de ce parti, le vieux « rénégat » de l’I.C. devait disparaître. Olga Nin a vu son mari le 16 juin dans l’après-midi à la Préfecture de police de Barcelone. Quand elle revint une heure plus tard, pour lui apporter à manger et des couvertures, il ne s’y trouvait plus et personne ne put la renseigner sur ce qu’il est devenu. »

Ibid.

[7] « Erwin Wolf, citoyen tchécoslovaque, vint à Barcelone à la fin du mois de mai 1937 en tant que correspondant d’un journal anglais « Spanish News », journal défendant le front populaire. Tout de suite après son arrivée, il se présenta aux autorités espagnoles et fit son adhésion à l’organisation officielle des journalistes étrangers à Barcelone.

Le 27 juillet 1937, vers le soir, Erwin Wolf fut arrêté pour la première fois. Avec un autre journaliste, il fut emmené à la Puerta del Angel 24, c’est là ou P. et K. Th. l’ont vu pour la dernière fois. Le lendemain, Wolf fut mis en liberté. […]

Après sa mise en liberté, Wolf rentre à son domicile habituel. Apprenant que son journal cesse de paraître, il se décide à quitter l’Espagne. Il n’a aucune difficulté pour obtenir son visa de sortie. Le jour de son départ, son ami Tioli le prie, par téléphone, de passer chez lui pour chercher le courrier. Wolf promet à sa femme de ne pas tarder plus d’une heure. Une heure plus tard il avertit sa femme qu’il viendra un peu plus tard.

Depuis ce jour, Wolf et Tioli ont disparu. La Chambre de Tioli, à l’hôtel Victoria, fut surveillée par la police pendant des semaines, et on arrêta tous ceux qui le demandèrent.

La femme de Wolf, norvégienne, fille du député socialiste, chez lequel a vécu Trotski en Norvège, cherche son mari dans toutes les prisons de Barcelone. On lui conseille enfin de s’en aller le plus vite possible pour ne pas partager le sort de son mari. Ce n’est que grâce à l’intervention énergique du consul norvégien qu’elle échappe à l’arrestation au moment de partir. »

Ibid.

[8] « Hans Freund, connu sous le nom Moulin, était un des membres les plus actifs du groupe trotskiste espagnol. Emigré allemand, il faisait ses études à Genève. Immédiatement après le 19 juillet 36, il part pour l’Espagne pour se mettre à la disposition du mouvement révolutionnaire espagnol.

En août, il travaille politiquement à Madrid. Il va comme journaliste au front de Guadarrama où le stalinien Galan menace de le fusiller pour son travail de propagande parmi les miliciens. Depuis le mois de décembre 1936, il est à Barcelone, travaillant de toutes ses forces. À Barcelone, le G.P.U. ne l’a pas perdu de vue. Le Polonais Mink, agent du G.P.U., est chargé spécialement de sa surveillance.

Après les journées de mai, Moulin peut se cacher dans un faubourg de Barcelone. Ce n’est que le 2 août 1937 que des « inconnus » l’arrêtent dans cette ville. Depuis, aucune nouvelle. »

Ibid.

[9] « À peine une année après l’éclatement de la révolution, des milliers et des milliers d’antifascistes remplissent les cachots de l’Espagne républicaine. Le mot d’ordre est celui de Moscou : liquidation physique de l’avant-garde du prolétariat révolutionnaire. […] On jette des révolutionnaires éprouvés dans les cachots, on les torture physiquement et moralement, on les assassine. Et cette fois, cela ne se passe pas dans la Russie lointaine, mystérieuse, hermétiquement isolée du reste du monde, mais dans un pays voisin de la « grande démocratie française. […] On a relâché deux douzaines de camarades : 15 000, dont à peu près mille du P.O.U.M., restent dans les prisons officielles et clandestines de l’Espagne républicaine. »

Ibid.

[10] Irujo, membre du Parti nationaliste basque, fut ministre de la Justice, de mai à décembre 1937.

[11] Sur ces deux groupes : http://guerredeclasse.fr/2022/06/30/%ef%bf%bcsur-les-fractions-incontrolables-et-leur-intervention-lors-des-journees-de-mai-37/

[12] Dans les deux derniers chapitres d’Hommage à la Catalogne, Orwell relate bien la mise hors-la-loi du POUM et la répression stalinienne.

[13] Référence au gouvernement réactionnaire formé par Alejandro Lerroux (membre du Parti républicain radical) et José María Gil-Robles (fondateur de la CEDA, coalition de partis conservateurs), de 1935 à 1936. Le virage à droite, amorcé en décembre 1933, marque le début de ce que la gauche espagnole a nommé « bienio negro », les « deux années noires ».

[14] Cet épisode est brièvement abordé dans l’un de nos précédents articles (voir notamment les notes de fin n°9 et 10) : http://guerredeclasse.fr/2022/05/31/la-situation-en-espagne-apres-les-journees-de-mai/#_edn9

[15] Expression utilisée pour exprimer la sainte-alliance entre les différents gangs capitalistes : A la fin de la première guerre carliste (1834-1839), les insurgés carlistes finirent par signer la convention de Vergara qui leur accordait une large amnistie. Le 31 août 1839, le général libéral Espartero et le général carliste Morato se donnèrent l’accolade tandis que les deux armées en présence fraternisaient.

[16] À peine le nouvel exécutif avait-il consolidé sa victoire sur Caballero que le PCE se rapprocha de la CNT dès octobre 1937 et qu’un accord politique put être formalisé en début d’année 1938. Suffisamment forts pour affronter Prieto, alors ministre de la Défense nationale, les staliniens le poussèrent à la démission le 30 mars 1938, après une succession de défaites sur le front d’Aragon.

[17] La Tchéka (acronyme de « Commission extraordinaire ») fut la police politique créée en 1917 en Russie, afin de combattre les ennemis du régime bolchévique. Elle fut renommée GPU (« Direction politique d’État »), ou Guépéou, en 1922, pour être finalement absorbée en 1934 dans le NKVD (« Commissariat du peuple aux affaires intérieures »). Le premier organisme a donné son nom aux « checas », les centres de détention et de torture du camp républicain, disséminés principalement dans Barcelone, Madrid et Valence.

[18] « L’ancien couvent de Santa Ursula appartient au parti communiste espagnol. Il ne compte pas parmi les prisons officielles d’Etat. C’est une de ces nombreuses prisons du G.P.U. où les staliniens ont fait disparaître nos camarades. La forte pression de l’étranger a mis fin à certains abus trop scandaleux à Santa Ursula. Les méthodes staliniennes imitées fidèlement des méthodes fascistes n’ont cependant point disparu. »

« Les gardes, tous presque sans exception membres du parti communiste, étaient tout ce qu’il y a de plus corrompus et de démoralisés, très souvent saouls. Plus d’une fois, ils ont fraternisé ouvertement avec les fascistes dans leurs cellules. »

« Quelle était la composition sociale des prisonniers de Santa Ursula ? Dans les mois de mars et avril c’étaient surtout des médecins, des prêtres, des avocats, des gros commerçants, politiquement des adversaires du régime républicain. Mais bientôt ces prisonniers, en grande partie, furent relâchés, même ceux qui se disaient ouvertement des fascistes. A leur place sont venus des ouvriers, de vieux membres du parti socialiste, des syndicalistes, des anarchistes, des membres du P.O.U.M. Ce changement était tellement frappant que même des éléments bourgeois s’en apercevaient. Et tandis qu’on mettait en liberté de véritables fascistes, des antifascistes révolutionnaires étaient forcés de faire la grève de la faim plus d’une fois pour protester contre leur arrestation par le G.P.U. et contre les tortures subies. »

Op. cit.

[19] Rappelons le contexte international avec la signature du pacte germano-soviétique le 23 août 1939 à l’issue de la guerre d’Espagne, terminée officiellement le 1er avril. L’espoir de Staline de voir la France et la Grande-Bretagne s’exposer aux risques d’un conflit au sujet de l’Espagne s’amenuisait et il négocia un pacte de non-agression avec Hitler afin de détourner la puissance militaire allemande vers l’Occident. Il y fut décidé après le renversement de Negrín, le 6 mars 1939.

[20] Uribe, qui occupa le ministère de l’Agriculture durant toute la durée de la guerre, est connu pour son décret du 7 octobre 1936 : tous les domaines ruraux appartenant à des individus ayant participé au soulèvement nationaliste devaient être confisqué au profit de l’État. Ce décret fut salué par le camp stalinien comme une avancée révolutionnaire. En réalité, il ne faisait que légaliser des expropriations qui avaient déjà eu lieu. En revanche, Uribe n’accordera jamais de statut légal permanent aux collectivités, qui pourront être systématiquement attaquées et détruites à partir de l’été 1937.

[21] Hernández publia sa biographie en 1953. Elle est intitulée Yo fui un ministro de Stalin (« J’étais un ministre de Staline »).

[22] Dans un entretien accordé en février 1939 à La Lutte ouvrière, organe du Parti ouvrier internationaliste (trotskystes français), Munis dira :

« Sur l’attitude caractéristique des militaires professionnels, on peut citer le général Rojo, officier professionnel, commandant au début de la guerre et responsable direct de la défaite de Borox, Illiesca et Gétafé, avec le général Puydengolas. Les comités des miliciens les jugèrent tous les deux responsables de trahison concertée. Ils arrêtèrent Puydengolas et le fusillèrent. Ils prononcèrent le même verdict contre Rojo qui put s’enfuir et se cacher au ministère de la Guerre sous la protection de Largo Caballero. Il n’en sortit que pour devenir chef d’état-major.

D’innombrables autres exemples du même genre pourraient être cités pour caractériser l’attitude des militaires professionnels restés « fidèles » à la « République ». Au début, ils trahissaient délibérément. Quand ils constatèrent la politique résolument anti-ouvrière et contre-révolutionnaire de Negrín, ils purent manifester plus de fidélité à la bourgeoisie. Le prolétariat ne leur en marquait pas moins de méfiance. La fidélité au Front populaire ne signifiait plus pour eux que la fidélité à la bourgeoisie qui réprimait les ouvriers. La trahison se trouvait canalisée dans une voie plus strictement politique. »

https://www.marxists.org/francais/munis/works/1939/02/munis_24021939.htm

[23] Le processus contre-révolutionnaire qui s’accéléra dans les derniers mois de l’année 1936, et qui mènera à mai 37 et ses conséquences, est également relaté par Orwell : http://guerredeclasse.fr/2022/05/03/85-ans-des-barricades-de-barcelone/