En le fondement de l’être était le Logos, et le logos était le dedans du mouvement du divin, et le logos était le divin.

Évangile de Jean

Aux commandements qui imposaient simplement de servir le Seigneur, exigeant une soumission aveugle, une obéissance sans joie, étouffante, sans amour, c’est-à-dire aux obligations du culte, Jésus opposa leur exacte anti-thèse, un instinct et même un besoin de l’humain.

Hegel, L’Esprit du christianisme et son Destin

Aussi longtemps qu’il sera juif, l’essence limitée qui fait de lui un Juif l’emportera forcément chez ce dernier sur l’essence humaine qui devait, comme homme, le rattacher aux autres hommes ; et elle l’isolera de ce qui n’est pas juif. Il déclare, par cette séparation, que l’essence particulière qui le fait juif est sa véritable essence suprême, devant laquelle doit s’effacer l’essence de l’homme.

Marx, La Question juive

Puis il leur dit : “Allez en la totalité du monde et transmettez la bonne nouvelle à tous les vivants.

Évangile de Marc

L’histoire du christianisme primitif offre des points de contact remarquables avec le mouvement ouvrier moderne. Comme celui-ci, le christianisme était, à l’origine, le mouvement des opprimés. Ainsi — on le voit —, le christianisme inconscient d’alors était à mille lieues de la religion universelle, dogmatiquement arrêtée par le concile de Nicée. Ni la dogmatique, ni l’éthique ultérieure ne s’y rencontre ; en revanche, il y a le sentiment qu’on est en lutte contre tout un monde et que l’on sortira vainqueur de cette lutte ; une ardeur de combat et une certitude de vaincre qui font complètement défaut chez les chrétiens de nos jours et ne se rencontrent plus qu’à l’autre pôle de la société, chez les socialistes.

Engels, Contributions à l’histoire du christianisme primitif


À l’encontre des dogmes et des Églises de l’obéissance, la Symbolique réfractaire de la semaine des Rameaux qui précède Pâques annonce la flamme incendiaire des transcendances subversives.

Ce moment de radicalité verticale contre le Temple de la marchandise fait mémoire de ce temps intensément contradictoire où Jésus de Nazareth fut acclamé comme un é-veilleur par les habitants de Jérusalem, qui le saluaient avec les palmes du refleurissement, avant d’être condamné à mort comme un mal-faiteur. Les rameaux de feuillage vert dans le cycle du cosmos toujours renaissant nous rappellent ainsi que la vraie vie ne finit jamais malgré l’oppression horizontaliste de l’économie, de la politique et de la religion et en dépit de toutes les inversions domesticatoires du dé-figurer et du contre-faire…

Le Christ comme conscience vraie de l’immanence du divin au monde vient signifier là que la vérité de l’Esprit ne peut s’accomplir comme alliance commerciale sur le terrain du contrat juridique mais uniquement comme communion dans la perspective d’une rupture fondamentale avec les biens de ce monde. Il est ainsi celui qui montre le chemin du dépassement des artificielles scissions hiérarchistes entre l’homme et le sacral cosmique. Le divin de l’homme, c’est le divin de l’homme en tant qu’il est dans ce monde et c’est aussi, bien sûr, le fait que le monde n’est rien d’autre que le produit de sa spiritualité d’homme conscient en mouvement. De la sorte, le monde n’est pas une chose donnée, mais une relation dia-lectique produite par le processus de l’esprit se réalisant en tant que conscience historique d’une histoire in-carnée enfin consciente.

Le divin n’est pas une substance infinie autre que le monde, mais l’acte infini du monde se réalisant lui-même par l’homme en la nature de la nature. La vraie transcendance n’est pas dans un ailleurs mythique : elle est ici et toujours en tant qu’acte de l’auto-mouvement de la nature prenant conscience historiquement d’elle-même en les richesses ontologiques du devenir de l’immanence du sacral cosmique. Le divin — en tant qu’antique div indo-européen qui témoigne de l’infinie lumière du jour brillant – est, ainsi que le développe Hegel, l’acte de devenir soi-même, de réaliser son infinité dans le monde même de la réalité dé-celée. Et, de même que le divin est l’acte du devenir divin par le monde, de même l’homme est l’acte de son auto-émancipation vers son authentique soi-même, c’est-à-dire vers la conscience cosmique de la vérité sacrale qui est en lui.

Ainsi le message christique est-il d’abord affirmation révolutionnaire de l’être générique de l’homme en tant que véritable contenu de l’amour de l’Être. Le Christ, né en Galilée gréco-romaine, renverse intégralement les présupposés du rituel yahviste et, en montrant comment le monde est divin, il fait connaître, du même coup, à l’homme qu’il est lui-même divin en, par et pour le devenir du monde. La stricte obéissance à la lettre de la Loi idolâtrique a été remplacée par la spontanéité de l’amour, c’est-à-dire l’auto-grandissement des transmissions de la puissance d‘affection mettant de cette façon en évidence la nécessité vitale de satisfaire l’esprit qui anime l’Être…

C’est au cœur du cœur de sa propre immanence que l’homme auquel parle le Christ doit dépasser la scission aliénatoire qui place le divin hors du monde et refonder la communion de soi comme corps et comme esprit. Finalement, l’homme doit s’émanciper de sa propre conscience aliénée, en saisissant qu’il est aussi bien divin pour lui-même et en lui-même qu’il se reconnaît lui-même comme existence sacrale lorsque c’est le Christ qu’il reconnaît. Dans le sermon sur la montagne, Jésus aura ainsi manifesté son opposition radicale aux lois de la scission aliénatoire des rituels et des commandements en leur opposant la vie spontanée de l’amour par le spontanéisme de l’amour de la vie. C’est pourquoi, à travers l’amour de l’homme, l’homme de l’amour peut-il devenir le divin qui est en lui et donc réaliser sa divinité dans une dynamique communière et insoumise pour l’unité de l’humanité elle-même.

De ce fait, l’homme se donne la possibilité véridique de dé-voiler le sens effectif de son histoire et de se dé-lier pleinement de la séparation d’avec le divin, en sortant notamment des exutoires pathologiques du cérémonial sanglant des sacrifices propre à tous les totems et tabous véhiculés par le fétichisme des égarements tant judaïco-coraniques que pagano-animistes. L’homme émancipé, c’est l’homme de la communauté générique en tant qu’être de l’être dedans la vie du vivant qui supprime tous les répéter servilistes du prosterner devant l’économie politique de l’emprisonnement.

Ainsi et à l’opposé de la Torah des valeurs d’échange dont le Coran n’est qu’une version simplifiée et édulcorée à l’usage du plus grand nombre, est clairement avancé le définitif poser authentique de la position anti-mercantile de la vraie vie irrésistible telle qu’éminemment rappelée par le Christ des infinies puissances de l’essentiel. Il convient bien de rompre là avec l’appropriation et de se re-joindre tous en le logos contre toutes les paix d’asservissement au monde des transactions, afin que l’épée de lucidité fasse distincte rupture entre l’artificieux du quantitatif sclérosant et le sincère du qualitatif mouvementiste.

Être en relation d’être avec l’être révolutionnaire de Jésus de Nazareth vient marquer l’existence d’une puissance de rayonnement intime qui appelle la vie tout entière à s’auto-accomplir dans les émotions les plus ardentes du cœur des vastes élévations, là où le cosmos enraciné prend toute sa dimension sacrale puisque la transcendance de l’immanence et l’immanence de la transcendance s’y fondent en un réel dialogue infini vers l‘essentiel. Ainsi doivent se comprendre génériquement l’arrestation par la police du Temple et le pourquoi de l’exécution qui en résultera… Le Fils de l’Homme n’était donc pas un réformateur des royaumes de ce monde, pas plus qu’un annonciateur du monde d’un autre royaume. Il était et est le messager d’une rayonnance toute particulière dont l’être abolit radicalement l’accumulation indéfinie de toutes les tyrannies rencontrables de pouvoir, de représentation et d’avoir.

L’infinie richesse de conscience ontologique qui s’incarne, c’est cela le logos du divin qui se fait chair de vie, non seulement dans la figure vivante du Christ d’in-subordination mais aussi dans tout homme levé et habité par la force de l’Esprit cosmique. La condition humaine appelle la condition sacrale, et la condition sacrale exprime la condition humaine en une révolution qui fait retour d’accomplissement en une Commune qui dit la communion unitaire du Tout… Là exclusivement, où les hommes s’harmonisent à l’universel émerveillement aux merveilles de l’ Être, là seulement le vrai peut surgir dans l’in-discipline de l’humain à l’économie, et donc au chiffre et à l’arraisonnement technique du monde par le fétichisme de la marchandise.

L’émancipation du souffle de vie, c’est la possibilité que toutes les activités humaines ne soient plus jamais soumises au calcul, à la vente et au marché afin d’échapper à toutes les religions de la vérité invertie. Le jour du Jugement dernier, le mensonge de Mammon disparaîtra de la Terre et le culte des obsessions possessives sera là jugé par lui-même en une auto-liquidation irrémédiable où sombreront tous les spectacles de l’infamie du change.

Le Christ signale la naissance d’une nouvelle époque ; et si elle est si nouvelle, c’est en ce que sa récusation de ce qui l’a précédée est en même temps lucide contestation de toutes les modernités ultérieures. Le communisme, qui vient au travers de la longue durée de tous les temps de l’aliénation, ne fait que re-découvrir toujours de plus belle l’enjeu ontologique qui fut alors déjà formulé là mais qui, maintenant seulement, va pouvoir s’exprimer avec toutes les armes de son âme.

Au-delà de toute architecture arrangée, la Trinité affirme le lien d’amour (comme intensité du mouvement d’ardeur !) entre le Père (source de vie de l’en-soi premier…), le Fils (le sortir pour-soi de l’intentionnalité pratique…) et l’Esprit (le pour-soi revenu à soi comme synthèse de résolution du devenir…). C’est cette triade des forces productives du sens du sens qui renvoie pleinement à la perception hégélienne de notre historicité, c’est-à-dire à cette dialectique particulière qui se nomme Histoire qui nous fait nous réaliser dans et par le temps durant lequel l’humanité s’est aliénée pour aboutir à un renversement mondial de l’aliénation universalisée qui lui permet de revenir alors à un elle-même désaliéné en auto-conscience d’elle-même. En fait, nous sommes des êtres historiques parce que nous sommes finis, autrement dit ≪ non accomplis ≫, et que notre in-achèvement et notre substance historique forment une seule et même chose permettant ensuite d’accéder révolutionnairement à notre véridique complétude. Ainsi, Marx, à partir du déterminisme auto-manifesté de cette perspective thèse/antithèse/synthèse, parviendra à représenter le processus de transformation historique en trois étapes, de l’in-complet premier vers l’achevé dernier :

– D’abord, la thèse comme unité abstraite de la communauté originelle localiste qui se brisera dans l’échange.

– Ensuite, l’antithèse comme transformation de cette unité abstraite brisée en une multiplicité concrète disloquée par le triomphe mondial ascendant de la valeur d’échange.

– Enfin, la synthèse comme transmutation de cette multiplicité concrète en une unité atteinte, règne du cosmopolitisme de la marchandise totalitaire qui s’auto-abolit comme surgissement de l’auto-négation universelle du prolétariat qui retourne à la communauté de l’anti-argent, cette fois universelle.

À partir de là, évidemment, la différence entre le prolétariat classe en soi de la passivité capitaliste des rapports de production de l’aliénation marchande et le prolétariat classe pour soi de l’activité anti-capitaliste comme production d’une conscience de l’anti-aliénation va de soi. Elle indique ce retournement historique cardinal par lequel l’homme évincé de l’homme peut décider de se reprendre en se changeant en homme retourné à l’homme, lorsque le pouvoir de cet évincement s’interrompt et que, cette fois, l’humain peut désormais universellement se réaliser en supprimant le monde de la valeur.

La Trinité est le mouvement de la vie ; c’est le mouvement du réel, c’est la dialectique de la vie réelle et de la réalité vivante qui, du Christ à toutes les Communes passées, présentes et à venir, mobilise toutes les énergies qui aspirent au jaillissement achevé de l’être générique conscient. Par ce parcours historique trinitaire planétaire, le communisme, abolition positive de l’appropriation aliénatoire, se fait retour conscient en l’humain plein et entier en tant que naturalisme achevé et donc comme énigme résolue de l’Histoire, dorénavant enfin conscience d’elle-même.

Le monde en mouvement d’authenticité de sa trans-cendance n’est pas autre chose que la synthèse dialectique de son immanence phénoménologique. La totalité de ce que notre conscience cueille et accueille concerne l’auto- mouvement de la réalité en tant que toute conscience est conscience d’une relation à la réalité de ce mouvement. Dans un monde débarrassé de ses derniers mythes et de ses dernières impostures, que l’homme générique de la communauté cosmique soit la mesure de toutes choses n’est finalement plus alors une question : c’est la seule et vraie réponse.

La dialectique du devenir historique qui engendre l’invariante aspiration à l’auto-mouvement de l’émancipation humaine est clairement distinguable en tant que poser de l’existence véridique. Des Actes des Apôtres à la Première Internationale et à travers toutes les Communes qui se sont succédées, est ainsi constamment ré-affirmée la nécessité cosmique et radicale du vrai retour à la communauté ontologique, là où tous les vivants sont unis en la mise en commun de tout ce qui est la demeure de l’Être, dans la joie transcendante où chacun est satisfait selon ses besoins en l’immanence universelle du cœur générique de l’anti-quantité.

Francis Cousin, Commentaires sur l’extrême radicalité des temps derniers, 2016