Pour que le gouvernement Caballero formé le 4 septembre soit davantage qu’un gouvernement qui n’en porte que le nom, il lui fallait reprendre le contrôle de tous les éléments du pouvoir de l’État que s’étaient appropriés les comités révolutionnaires au début de la guerre civile. Et cette reconstruction ne pouvait passer que par la participation au gouvernement central de la CNT-FAI, celle-ci étant déjà entrée au gouvernement régional de Catalogne pour contenir la révolution[1]. Cette participation fut actée le 3 novembre avec l’arrivée de quatre ministres cénétistes dans le nouveau gouvernement, ce qui constituait un dévoiement sur la forme, justifié en invoquant le pragmatisme. Cependant, il s’agissait bien d’un dévoilement sur le fond de ce qu’est réellement l’anarchisme.

LA C.N.T., LE GOUVERNEMENT ET L’ÉTAT
« À l’heure actuelle, le gouvernement, en tant qu’instrument de régulation des organes de l’État, a cessé d’être une force d’oppression de la classe laborieuse, de même que l’État ne représente plus l’organisme qui sépare la société en classes. Et tous deux cesseront d’autant plus d’opprimer le peuple que des membres de la CNT travaillent en leur sein. »
Solidaridad Obrera, 4 novembre 1936

Ce que la base de leurs organisations refusait, leurs dirigeants entrés aux ministères, eux, cédaient peu à peu du terrain à leurs opposants, qui exerçaient une pression continue pour en finir avec le pouvoir des comités, prétextant la nécessité de ménager l’opinion étrangère et d’augmenter les chances de se procurer des armes[2].

Ainsi, les ministres anarchistes acceptèrent en février 1937 les décrets prévoyant la dissolution des comités pour les remplacer par des conseils municipaux représentants l’ensemble de la coalition du Front Populaire[3].

De plus, le gouvernement brisa peu à peu le pouvoir des comités dans les usines en les plaçant sous leur contrôle et en instaurant des plans de nationalisations, ce qui fut facilité notamment par le fait que les institutions financières dont dépendaient les usines étaient contrôlées par l’UGT (syndicat désormais à la botte des stalinistes)[4].

Mais la pression seule ne suffisait pas à garantir l’application des décrets. Ce n’est qu’en réorganisant les corps de police de la République que le gouvernement pouvait imposer sa volonté…

Ils prétendaient œuvrer à l’abolition de l’État… Ils finirent aux ministères ![5]


Le gouvernement de Madrid entra en crise peu après que le Comité central des milices eut revêtu l’habit déshonorant de la Generalitat[6]. Les deux événements eurent la même signification, et, avec des différences de degré mais pas de nature, produisirent des conséquences identiques. La solution donnée à la crise uniformisa la situation dans toute la zone révolutionnaire et incita la réaction à passer à l’offensive. Voyons le déroulement des événements.

Le gouvernement républicain présidé par Giral était tellement en contradiction avec les actes des masses que son existence représentait plus un danger qu’une garantie pour la reconstitution de l’État. Bien que les directions nationales des partis staliniens et réformistes le respectaient et se soumettaient à son autorité, les comités-gouvernement lui échappaient totalement : ils se faisaient un point d’honneur à lui désobéir et de contrevenir à ses décisions. Certes, les comités-gouvernement de toutes les régions, de l’Andalousie à l’Estrémadure jusqu’aux Asturies et à la Biscaye, n’avaient pas plus conscience que ceux de la Catalogne de la nature de leur pouvoir et de la nécessité de l’unifier en démolissant complètement le pouvoir bourgeois. Mais l’existence du gouvernement Giral, par réaction, menaçait de les pousser à en prendre conscience. Les organismes dirigeants des partis staliniens et réformistes, qui désiraient ardemment sauver l’ordre capitaliste en décomposition (« Le gouvernement commande ; le Front populaire obéit »[7]) se révélaient incapables d’assurer au gouvernement le concours de leurs militants de base. Plus forte que la discipline organisationnelle et que les idées staliniennes et réformistes les plus abrutissantes, la révolution séduisait les militants de ces deux courants en se confrontant avec eux dans la pratique. Dans ces conditions, le gouvernement Giral poussa les comités-gouvernement à augmenter leur pouvoir et la révolution à atteindre ses conséquences les plus extrêmes. Il fallait renforcer le gouvernement capitaliste par l’appoint de dirigeants socialistes, communistes et anarchistes, auxquels les masses désobéiraient plus difficilement[8].

La grande occasion du Front populaire était arrivée. Le lecteur ne doit pas oublier, car ce fait a une importance internationale, que depuis le 19 juillet 1936, l’initiative contre-révolutionnaire, dans celle qu’on nommait improprement la « zone républicaine » appartenait aux staliniens. En décrétant la politique des fronts populaires, le 7ème congrès de l’Internationale de Staline ne leur avait-il pas assigné la tâche de secourir le capitalisme contre un prolétariat chaque jour plus socialiste, bien que les organisations, prétendument socialistes et communistes le fassent chaque jour un peu moins ?[9] Et jamais, depuis la Révolution russe de 1917, le capitalisme n’avait eu autant besoin d’être sauvé qu’en Espagne ! C’était un grand jour pour le Front populaire ! Pour forger le Front populaire, les staliniens n’avaient-ils pas commencé par déclarer que la révolution prolétarienne n’était pas d’actualité ? Donc, si la révolution éclatait, si elle se manifestait avec la simplicité fondamentale des phénomènes physiques, il fallait la détruire et poursuivre ses partisans, qualifiés de « fascistes »[10]. Oui, le Front populaire avait enfin sa grande chance.

C’est alors qu’entra en fonction le gouvernement de Largo Caballero, que les staliniens surnommèrent le « gouvernement de la victoire », en attendant que ce projet acquière sa pleine signification avec Negrín[11]. En apparence, la situation restait la même, comme en Catalogne. Les comités-gouvernement, ou les organisations ouvrières qui exerçaient le pouvoir, continuèrent à être pratiquement la seule forme existante de gouvernement. Les derniers oripeaux gauchistes qui restaient au Caballero de 1934 ne purent même pas servir à le transformer immédiatement en un véritable chef de gouvernement[12]. Un triomphe révolutionnaire comme celui du 19 juillet 1936 est toujours puissamment affirmatif et, même s’il lui manque les idées nécessaires pour achever son œuvre, il ne revient pas volontiers en arrière : il ne se laisse repousser que lentement et avec répugnance. Le gouvernement de Largo Caballero était obligé de reconnaître les acquis révolutionnaires, qu’il s’agisse des usines expropriées, des terres occupées par les paysans ou collectivisées, des fonctions exécutives exercées par un comité ou une organisation quelconque, de l’organisation des milices indépendantes du gouvernement, ou de la surveillance de l’arrière et de l’exercice de la justice par les institutions surgies de la révolution. Ce qui était fondamental pour le nouveau gouvernement, la seule chose à laquelle il pouvait aspirer pour le moment, c’était de se soumettre quelques comités, partiellement ou totalement ; de récupérer des entreprises pour l’État ; d’organiser un état-major gouvernemental qui commande les diverses milices, fût-ce en leur laissant une certaine autonomie ; d’arrêter l’armement prolétarien à l’arrière ; en somme, de donner une vague consistance au pôle de pouvoir capitaliste. Discrètement, sans gestes ostentatoires qui auraient pu provoquer des réactions hostiles et dangereuses, on préparait des mesures plus importantes contre la révolution. Ainsi donc, de même que la transformation du Comité central des milices en gouvernement de la Generalitat de Catalogne, la constitution du gouvernement Largo Caballero à Madrid transforma immédiatement l’atomisation du pouvoir entre les mains des comités-gouvernement en une dualité du pouvoir, où le gouvernement fut investi des fonctions et des attributs du pouvoir capitaliste. S’il ne proposa aucune mesure semblable au décret sur les collectivisations[13], c’est parce que les partis – « socialiste » et « communiste » – sur lesquels ce gouvernement reposait, étaient des ennemis délibérés de la révolution.

« Nouveau gouvernement[14], représentant toutes les forces du Front Populaire »
« Largo Caballero [en photo], président du Conseil et ministre de la Guerre. Prieto, ministre de la Marine et de l’Armée de l’air. »
Journal « El Sol », le 5 septembre 1936

De Robespierre à Lénine, les gouvernements révolutionnaires[15], en arrivant au pouvoir, ont toujours pris des mesures énergiques et radicales qui changent la structure sociale et soulèvent l’enthousiasme des masses. Rien de comparable ne se produisit avec le gouvernement Largo Caballero. Le simple mot de « révolution » le dégoûtait et provoquait son rejet. Ses actes étaient désespérément gris et ternes, pas tellement parce que le talent de ses ministres frôlait la médiocrité, mais à cause de son empreinte antirévolutionnaire.

Loin de proclamer d’audacieuses mesures socialistes, le gouvernement de Largo Caballero commença par manœuvrer dans l’ombre contre les mesures déjà prises par les masses. Il récupéra facilement la Banque d’Espagne et d’autres banques. Peu formés politiquement et conseillés par les réformistes et staliniens, les employés qui contrôlaient ces établissements bancaires ne virent pas d’inconvénient à remettre le capital financier à un « gouvernement antifasciste ». Cette décision sauvait les sociétés financières de l’expropriation par le prolétariat et, à court ou moyen terme, condamnait les entreprises expropriées par les ouvriers au rachitisme, à la faillite, et à être remises également à l’État. Également en cachette, s’appuyant sur les militants staliniens et réformistes les plus inconditionnels ou les plus prisonniers des idées bourgeoises de leurs partis respectifs et abusant de la confiance et de la naïveté de beaucoup d’autres, le gouvernement fit transférer certaines industries entre ses mains. Ainsi commença l’expropriation du prolétariat. Même si la manœuvre passa inaperçue au début, les ouvriers n’eurent pas besoin de plusieurs mois pour se rendre compte qu’ils avaient perdu une bataille.

Certes, l’unification de toutes les industries en un seul réseau de production était une nécessité pour la révolution et la guerre, mais cette mesure aurait du être prise par les comités-gouvernement organisés en gouvernement unique[16]. Cette réorganisation dans les mains du pôle capitaliste du pouvoir signifiait l’expropriation du prolétariat et l’usage des industries à des fins contre-révolutionnaires[17].

À l’étranger, peu de gens savent – et en Espagne on l’a oublié – que le gouvernement de Largo Caballero maintint la censure de la presse, qui sévissait sans interruption depuis l’époque d’Alejandro Lerroux – Gil Robles. Durant les premiers mois, la censure était inefficace. Mais, plus l’appareil d’État capitaliste se reconstruisait, plus elle devenait pesante et se transformait en une arme réactionnaire importante. Avec le temps, elle allait passer des mains de Negrin à celle de Franco.

Affiche de propagande du Front Populaire : « Unité Ouvrière pour lutter contre le fascisme »

Mais c’est dans le domaine de l’armement que le travail en cachette du gouvernement Largo Caballero contre la révolution fut le plus perfide et eut les conséquences les plus réactionnaires. À peine arrivé au pouvoir, Largo Caballero lança une campagne de recrutement pour les gardes d’assaut, les gardes civils et les carabineros, mesure qui allait lui permettre de dissoudre les milices de l’arrière[18]. Le prolétariat, y compris la majorité des paysans, était instinctivement hostile à tous les corps de répression capitalistes. Les noyaux des gardes d’assaut – parfois intégrés sur les fronts des milices – étaient généralement considérés avec aversion et méfiance. Sans que personne ne leur suggère, les miliciens surveillaient constamment leur conduite. Cette méfiance, en dehors d’exprimer un sens de classe perspicace et salutaire, était justifiée par de nombreuses trahisons, désertions à l’ennemi ou manifestations de mauvaise volonté pour le combattre. Plus tard, quand les troupes fascistes entrèrent victorieusement dans les villes du Nord, les gardes d’assaut aidèrent fréquemment les troupes ennemies à donner le coup de grâce et elles guidèrent la répression franquiste. Pour vaincre la répugnance instinctive des masses, le gouvernement Largo Caballero entreprit une propagande sournoise, surtout dans les unités de milices comprenant des paysans. Le pouvoir prétendit que les corps de répression capitalistes étaient désormais totalement différents de ce qu’ils avaient été jusqu’au putsch militaire. La contre-propagande orale menée par les éléments les plus révolutionnaires des milices ne pouvait empêcher que les paysans les moins conscients, et les lâches qui voyaient une occasion de sauver leur peau, rejoignent la Guardia de asalto ou la Guardia civil. Ainsi, alors que, en apparence, la révolution ne régressait pas, et faisait même quelques progrès locaux, le gouvernement Largo Caballero préparait les forces de répression qui allaient bientôt permettre à l’État capitaliste de proclamer : « Me voilà ! »

« LES ARMES DOIVENT ÊTRE AU FRONT ! »
Affiche du Comité Exécutif Populaire de Valence, réalisée par le Bureau de Propagande et de Presse

Je ne peux pas passer sous silence que cette manœuvre vitale aurait difficilement pu réussir sans le concours de la propagande anarcho-syndicaliste et poumiste. Je ne parle pas des partis stalinien et socialiste, car ces deux organisations étaient des ennemis de la révolution et donc de l’armement du prolétariat, et qu’ils soutenaient et protégeaient les corps de répression du capitalisme. Que les militants staliniens et socialistes ne protestent pas, s’ils lisent ces critiques. Leurs partis avaient la possibilité de détruire les derniers vestiges des institutions bourgeoises. Ils préférèrent désarmer le prolétariat et reconstituer les corps de répression capitalistes sur une échelle sans précédent. Ils trahirent la révolution et la confiance de tant de militants qui crurent en la sincérité des partis « socialiste » et « communiste »[19]. Mais la manœuvre enveloppante de ces partis ne rencontra aucune résistance de la part de la CNT, de la FAI et du POUM. Dans leur presse, ces organisations appelaient généralement les restes de l’appareil de répression capitaliste leurs « camarades gardes »[20], et traitaient le problème de l’armement avec une légèreté pleine de bonhomie – alors qu’il s’agissait pourtant d’une question de vie et de mort pour la révolution.

Trois facteurs différents influèrent sur la fraternisation entre les membres des corps de répression et les masses :
– la force de persuasion irrésistible que représentait l’attaque globale, écrasante, des masses contre la réaction ;
– la sympathie qu’éprouvaient une minorité des gardes civils et des gardes d’assaut, spécialement les plus jeunes, pour le mouvement ouvrier ;
– et l’obligation, sous peine de mort ou de risques graves, de se ranger aux côtés du vainqueur.

Dans des proportions différentes – mais indubitablement l’action des masses prévalait -, ces trois facteurs provoquèrent, en faveur de la révolution, le basculement des policiers qui ne coopérèrent pas avec l’ennemi dès le premier jour. Mais toute fraternisation, limitée ou générale, d’une institution répressive bourgeoise avec les masses, exprime aussi partiellement la décomposition générale de l’État capitaliste. C’est le signe historique de sa disparition. Et de même que la décomposition de l’État doit se poursuivre jusqu’à sa disparition totale, de même la décomposition des corps de répression, qui condensent la nature de l’État actuel, doit se terminer par leur dissolution totale et laisser les armes uniquement au prolétariat et aux paysans pauvres. Provoquée par une situation exceptionnelle, toute phase de fraternisation est passagère par nature. Se contenter de ce que les « camarades gardes » combattent et s’exhibent avec satisfaction au milieu des forces révolutionnaires, c’est préparer un futur guet-apens pour la révolution.

Il ne fallait pas beaucoup d’efforts pour convaincre les masses de la nécessité de dissoudre les vieux corps de répression. Sans avoir été exprimée, l’idée imprégnait les masses et était pratiquement réalisée. S’opposer à la dissolution aurait été universellement considéré comme contre-révolutionnaire. Même les vestiges de la Guardia de Asalto, de la Guardia Civil et des Carabineros attendaient leur dissolution. S’abstenant de la réclamer, la CNT, la FAI et le POUM favorisèrent de fait la campagne de recrutement entreprise par le gouvernement stalinien-socialiste de Largo Caballero. Réagirent-ils au moins contre cette manœuvre ? En aucune manière. Néanmoins il n’était pas difficile de découvrir pourquoi le « gouvernement de la victoire » voulait maintenir ces forces de répression à ces ordres. Tout le monde le savait. Étant donné que l’État capitaliste s’était écroulé lorsque ses corps de répression avaient été vaincus par les masses en armes, pour lui infuser une nouvelle vie, il fallait reconstituer ces corps et désarmer les masses[21]. La CNT, la FAI, et le POUM, embarqués dans la collaboration de classes, étaient aveuglés par la formule mensongère de l’« unité antifasciste », qui couvrait les agissements des deux principales forces qui complotaient contre la révolution : le stalinisme et le réformisme. L’anarcho-syndicalisme et le poumisme aspiraient tout au plus à conserver la dualité des forces armées. Mais, conserver à côtés des Milices de l’arrière et des Patrouilles de vigilance les corps de répression capitalistes, ce n’était rien de plus qu’une façon hypocrite de battre en retraite devant les ennemis de la révolution. Un jour, les ouvriers s’apercevraient subitement que les « camardes gardes » tiraient sur eux, les désarmaient, les conduisaient en prison et dans les camps de travail forcé, les assassinaient, tout cela au nom de la guerre et de l’« unité antifasciste ».

« AU FRONT ! »
Affiche de la CNT-FAI

Grandizio Munis, Leçons d’une défaite, promesse de victoire


[1] Cf. notre article sur le Comité Central des Milices : http://guerredeclasse.fr/2022/08/15/dualite-du-pouvoir-la-contre-offensive-reactionnaire/

[2] Cf. notre article sur l’union sacrée des Fronts Populaires à l’étranger : http://guerredeclasse.fr/2022/08/21/pourquoi-les-ouvriers-espagnols-se-battent-ils/

[3] Déclaration de Joan Peiró, ministre CNT de l’Industrie, à un meeting avec la base, quelques semaines avant la promulgation des décrets de dissolution des comités : « Les comités ne sont pas de trop… Ce qu’il faut, c’est qu’ils deviennent les auxiliaires du gouvernement. »

[4] À l’opposé des nationalisations prônées par les socialistes et stalinistes et de l’auto-gestion louée par les anarchistes, la révolution communiste, elle, n’aura pour seul objectif que la destruction, par le processus de communisation, des catégories qui font le Capital (salariat, argent et État).

[5] Federica Montseny, García Oliver, Juan Peiró et Juan López firent donc partie du second « gouvernement Caballero », qui dura du 4 novembre 1936 au 16 mai 1937. Ils occupèrent, respectivement, les fonctions de ministre de la Santé, de la Justice, de l’Industrie et du Commerce.

[6] Nous avons déjà insisté, dans notre article portant sur le CCMA, sur le fait que ce dernier était un organe de court-circuitage de la révolution, et ce, dès sa création. En effet, il fut d’emblée constitué par les fractions cénétistes et poumistes, mais aussi par l’ERC et l’UGT. De plus, le Comité Central des Milices, qui reconnut tout de suite le gouvernement catalan, aurait même été créé à l’initiative de Companys. La reconversion de cet organe en celui de la Généralité ne fut donc pas un accident de parcours, mais bien une étape nécessaire dans le processus qui visait à dissoudre les éléments vraiment révolutionnaires que constituaient les comités ouvriers.

http://guerredeclasse.fr/2022/08/15/dualite-du-pouvoir-la-contre-offensive-reactionnaire/

[7] Cf. notre article sur le 19 juillet 1936 : http://guerredeclasse.fr/2022/07/27/le-19-juillet-1936-g-munis/

[8] On remarquera, dès septembre 1936, l’ouverture du gouvernement du Front Populaire à l’extrême gauche du Capital, avec l’entrée du parti socialiste (PSOE), du parti dit « communiste » – mais stalinien en réalité – (P « C »E), et finalement des anarchistes le mois suivant (CNT-FAI). Tout ceci, remis à l’endroit, n’indique évidemment pas une radicalité communiste soudaine de l’appareil gouvernemental – ce qui serait un contresens- mais bien le besoin de canaliser celle des masses, en essayant de parler au mieux le langage de la révolution.

[9] Pour comprendre cette stratégie de l’Union soviétique, il faut en revenir au contexte géopolitique. Pour trouver des alliances avec la France et la Grande-Bretagne, l’Union Soviétique approuva en août 1935 la ligne politique du Front Populaire (dont les partis socialistes et libéraux étaient auparavant les ennemis dans cet objectif diplomatique). Le septième congrès mondial du Komintern appellera même à constituer « un vaste front populaire et antifasciste ». Ainsi, dès le début de la révolution, le P « C » E et le PSUC épousèrent la cause des classes moyennes pour répondre à cet objectif et pour renforcer leur position face à leurs adversaires anarcho-syndicalistes.

[10] L’appellation de « fasciste » pour discréditer tout adversaire est même antérieure aux événements de mai 1937, les stalinistes en ayant déposé le brevet dès les années 20… On se souviendra ainsi de procédés similaires lors de la commune de Kronstadt, lors de laquelle les révolutionnaires furent accusés par le pouvoir bolchévique d’être des « gardes blancs ».

http://guerredeclasse.fr/kronstadt-1921/

[11] Avec la chute du gouvernement Caballero en mai 1937 remplacée par celui de Negrín, la contre-révolution monta d’un cran en intensité avec les stalinistes désormais aux manettes qui, après avoir écartés leurs rivaux anarchistes et socialistes (ayant eux-mêmes rempli leur fonction contre-révolutionnaire !), purent finir de liquider les dernières conquêtes de la révolution avant de laisser la place à Franco.

[12] À la perte de la majorité socialiste suite aux législatives de novembre 1933, Caballero et autres consorts socialistes adoptèrent un langage pseudo-révolutionnaire pour tenter de capter le mécontentement populaire. On se souviendra notamment d’une de ses déclarations cette année-là : « Nous sommes convaincus que la démocratie bourgeoise a échoué ; à partir d’aujourd’hui, notre objectif sera la dictature du prolétariat. »

[13] Dès le début du mois d’août 1936, le gouvernement Giral prit une série de décrets portant sur les collectivisations, qui lui permit de courir après le mouvement révolutionnaire (en reconnaissant des expropriations qui avaient déjà eu lieu) et, surtout, de remettre la main sur l’industrie, en utilisant l’expression “collectivisation” pour recouvrir ce qui était en réalité un processus d’étatisation.

[14] Il s’agit du premier « gouvernement Caballero », qui dura du 4 septembre au 4 novembre 1936.

[15] À recontextualiser : nous avons à plusieurs reprises souligné les manquements de Munis au niveau de son avant-gardisme, qui plus est lorsqu’il fait référence à des personnages historiques qui se sont distingués par leur rôle éminemment contre-révolutionnaire. Ceci explique la glorification de Robespierre, bourreau de la sans-culotterie parisienne, et de Lénine, massacreur du prolétariat russe.

[16] Contrairement à Munis, nous ne parlerons pas de la constitution d’un gouvernement unique et global, mais de celle d’une dictature anti-étatique du prolétariat.

[17] On peut renvoyer au fait que, prétextant à l’effort de guerre, ces entreprises nationalisées exigèrent une augmentation des cadences et des heures de travail, pour revenir finalement au niveau d’avant-guerre, voire à un niveau bien plus élevé par endroits…

[18] Sous le gouvernement Caballero, le corps des carabineros passa de 15 000 à 40 000 en avril 1937 (il atteignit jusqu’à presque 100 000 hommes durant l’année 1938 sous le gouvernement Negrin). Des milliers d’hommes supplémentaires furent également recrutés chez les gardes d’assaut et la garde civile. En raison de leurs privilèges en solde et en équipement, les carabineros étaient très impopulaires auprès des soldats et étaient surnommés la « peste verte » en raison de la couleur de leurs uniformes.

[19] Il ne s’agit bien évidement pas de trahison, mais de la fonction même des partis et syndicats de contenir et briser les mouvements révolutionnaires. La CNT-FAI et le POUM sont donc à ranger aux côtés des socialistes et des staliniens, comme ennemis – de toujours ! – de la révolution.

[20] Rappelons-nous toujours de l’appel à la capitulation fraternelle lancé aux prolétaires insurgés par les dirigeants anarchistes, lors des journées de mai 37 à Barcelone :

« Déposez les armes ; embrassez-vous comme des frères ! Nous obtiendrons la victoire si nous sommes unis, la défaite si nous luttons entre nous. Pensez-y bien. Pensez-y bien. Nous vous tendons les bras, sans armes ; faites de même et tout s’arrêtera. Qu’entre nous règne la concorde »

http://guerredeclasse.fr/2022/06/28/lanarchisme-a-lepreuve-des-faits-de-mai-1937/

[21] Pour désarmer progressivement les milices ouvrières, le gouvernement Caballero promulgua un décret prévoyant d’absorber celles-ci par l’État, pour que les miliciens de l’arrière n’étant pas intégrés à ce dispositif, n’aient plus la possibilité de circuler avec des armes. Ce décret était une mesure préparatoire à la militarisation des milices sur le front…