Après le 19 juillet, le gouvernement Giral, dont les forces de répression n’étaient plus que l’ombre d’elles-mêmes, lança des appels à légaliser une « armée de volontaires », mais la grande majorité des ouvriers et paysans préférèrent s’engager dans les milices ouvrières, en tant que manifestation spontanée de l’auto-mouvement du prolétariat… Ces mesures étaient appuyées par les stalinistes qui espéraient former une armée permanente sous contrôle étatique. Ceux-ci n’étant pas assez puissants au départ dans l’appareil gouvernemental, ils s’abstinrent dans un premier temps à réclamer la fusion des milices au sein d’une armée contrôlée par le gouvernement, ce qui deviendra par la suite l’un des points les plus importants de leur programme.

Les premiers envois massifs d’armes et d’équipements par l’U.R.S.S. permettent au P « C » E de gagner de l’influence parmi les forces de répression capitalistes incarnées par le Front Populaire et coïncident avec la décision du gouvernement Caballero, le 10 octobre 1936, d’incorporer les milices ouvrières dans la nouvelle « armée populaire ».

Le mythe de la défense de Madrid érigé par la propagande soviétique[1] servit notamment de catalyseur pour justifier la nécessité d’une armée professionnalisée en lieu et place des milices, et par la propagande du « D’abord gagner la guerre » et ainsi de déplacer le front de classe sur le terrain de la guerre impérialiste…[2]

Ce basculement ne se fit pas sans résistance de la part des milices ouvrières, comme en atteste la déclaration de la colonne Durruti que nous avons reproduite en annexe.


Dans le chapitre sur le 19 juillet 1936, j’ai déjà expliqué que le triomphe du contre-putsch prolétarien, en désarmant la bourgeoisie et en armant le prolétariat, détruisit complètement la société bourgeoise et ses institutions. La révolution commença précisément au moment où elle liquida les corps de répression bourgeois : armée, Guardia civil, Guardia de asalto, Carabineros, gardes municipaux. A peine armé, le prolétariat créa de façon embryonnaire les éléments coercitifs nécessaires à la révolution socialiste : Milices de combat, Milices de l’arrière, Patrouilles de vigilance. Dans une société divisée en classes, les armes sont le complément, l’appui indispensable de la propriété privée. Mais, dans cette époque de lutte suprême entre réaction capitaliste et révolution sociale, une fois toutes les possibilités que recelait la propriété privée épuisées, le capitalisme repose principalement sur la violence de ses institutions armées. Actuellement, aucune politique n’est révolutionnaire si elle ne tend pas vers deux mesures décisives : le désarmement et la dissolution des corps de répression capitalistes, et l’armement du prolétariat.

La politique du Front populaire avait empêché les masses espagnoles de s’armer de façon organisée et de désarmer la bourgeoisie[3]. Elles s’armèrent de façon spontanée et tâtonnante, par un enchaînement de circonstances qui empêchèrent le Front Populaire de pactiser avec la réaction et rendirent inévitable l’affrontement armé entre la réaction et la population exploitée. Pourquoi le 19 juillet 1936 espagnol revêt-il une importance mondiale ? Parce que le prolétariat et la paysannerie pauvre, braqués dans le dos par deux de leurs organisations, désorientées ou mal dirigés par deux autres[4], réussirent à arracher les armes à la bourgeoisie et détruisirent dans un sursaut tout l’échafaudage de la société capitaliste. S’il ne suit pas cet exemple, le mouvement ouvrier mondial n’arrivera jamais à faire la révolution.

Les Tartuffe, qui réduisent les causes de notre défaite à la supériorité militaire de Franco, ont essayé de la présenter comme une confirmation de leur thèse. Non, messieurs les partisans de l’unité nationale. Nous, les révolutionnaires, nous avons défendu la nécessité d’armer le prolétariat et de désarmer le capitalisme ; vous vous êtes opposés à ces deux mesures. Nous avons soutenu que l’armement systématique du prolétariat aurait assuré le succès de la révolution ; après le 20 juillet 1936, vous avez désarmé le prolétariat et conservé les institutions répressives capitalistes, pour pouvoir détruire aussitôt les conquêtes de la révolution. Nous pensions et continuons à penser que l’efficacité militaire des armes se multiplie lorsqu’elles sont mises au service de la révolution ; en étranglant la révolution, vous avez réduit l’efficacité des armes à leur minimum. La technique militaire de Franco n’était que l’expression traditionnelle des nécessités du capital. […] Sur le plan uniquement militaire, la réaction possédait la supériorité ; mais si l’on avait opposé l’arme politique de la révolution à celle de la réaction, c’est la première qui aurait eu l’avantage. En effet, qu’était le conflit militaire en Espagne sinon l’expression violente d’un conflit social ? Chaque partie possédait son arme politique, arme qui représentait à la fois la raison d’être et l’âme de ses armes à feu. En détruisant la révolution, vous, les Tartuffe qui prônez la primauté de la technique militaire, vous avez réduit en miettes l’unique arme qui nous garantissait une supériorité sur Franco.

L’armée prolétarienne indispensable à la révolution socialiste se profilait clairement dans les milices ouvrières issues du combat contre la réaction. De même, la forme du pouvoir socialiste se dessinait dans les comités, les tribunaux et les décisions de la justice révolutionnaire prises par la base, y compris les exécutions[5]. Et de même, l’indispensable vigilance ouvrière se manifestait dans les Milices de l’arrière et les Patrouilles qui surveillaient les ennemis de la révolution socialiste.

[…]


Affiche du Front Populaire du Capital : « …nous vaincrons… OUI, mais avec l’ORDRE à l’arrière… »

La tendance stalino-réformiste commença par s’affirmer grâce à la militarisation des milices décrétée par le gouvernement Largo Caballero. Les effets de cette mesure ne furent pas immédiats, parce qu’il n’y avait pas suffisamment de cadres pour l’appliquer et que la majorité des combattants résistèrent spontanément. Néanmoins, elle donna un statut légal aux méthodes qui allaient être développées plus tard par Negrín. Jusqu’alors, la majorité des officiers et des commissaires politiques des milices étaient élus démocratiquement[6]. Le choix se portait toujours sur les meilleurs, y compris lorsqu’il s’agissait d’officiers – commandement qui exige des aptitudes particulières. Les grades n’entraînaient ni privilèges matériels, ni distinctions honorifiques, seulement des responsabilités plus grandes. Ces habitudes spontanément instaurées par la fraternité des combattants indiquaient clairement quelles devaient être les règles saines d’une grande armée révolutionnaire. La militarisation stoppa et liquida ce processus, en réintroduisant les coutumes traditionnelles, les différences matérielles et hiérarchiques, les abus de pouvoir et la soumission politique aux cadres militaires (ce que les stalinistes et les réformistes appellent « l’apolitisme » de l’armée), caractéristiques de toutes les armées capitalistes. Commissaires politiques et officiers cessèrent d’être élus par les combattants : ce droit fut attribué uniquement au ministère de la Guerre[7]. Ceux qui avaient été démocratiquement élus purent conserver leur poste, s’ils se soumettaient plus ou moins complètement à la politique gouvernementale, ou, au moins, s’ils ne la contestaient pas ouvertement. Dans le cas contraire, leur vie était en jeu… et ils la perdaient très fréquemment[8], puisque le deuxième « gouvernement de la victoire » était déjà au pouvoir.

Le gouvernement Largo Caballero eut seulement le temps de donner une première impulsion à la militarisation. En effet, il fut renversé par ceux-là mêmes à qui il avait fait tant de faveurs, à l’arrière comme au front, ceux qui craignaient tellement la révolution. Ces derniers[9] se chargèrent – notamment grâce à la passivité de Largo Caballero – de mener à terme l’œuvre réactionnaire de la militarisation, jusqu’à constituer ce que l’on appela hypocritement « l’armée populaire ».


Affiche produite par la Junte de Défense de Madrid[10] :
« INTÉGRATION DE TOUTES LES MILICES DANS L’ARMÉE POPULAIRE. »

Une fois le pouvoir ouvrier vaincu sur le plan politique, la guerre entra dans une nouvelle phase : celle de la répartition des postes de commandement militaire et de commissaires politiques entre les partis les plus représentatifs de la contre-révolution dans la zone républicaine ; en même temps, la pression politique en faveur du parti stalinien et de la droite réformiste se renforça sur les soldats. On destitua, emprisonna ou assassina les éléments les plus révolutionnaires de l’armée, au front comme à l’arrière. La propagande mit en valeur le prestige de certains cadres militaires, le plus souvent membres du parti stalinien[11], parfois de la droite socialiste. On accrut le fossé entre les officiers et les soldats, en accordant des privilèges et en tolérant les abus de pouvoir répugnants, au niveau de la nourriture, de l’habillement, de la solde, des distinctions honorifiques et des mauvais traitements infligés par les officiers supérieurs à leurs subordonnés. Enfin, on ouvrit certains fronts uniquement pour des raisons de prestige politique en faveur des staliniens et des socialistes de droite et l’on sabota d’autres fronts où les deux principaux éléments de la contre-révolution se trouvaient en minorité. Le gouvernement Negrín-Prieto-Staline ne tint compte des intérêts de la guerre civile que lorsqu’ils coïncidaient avec ses propres intérêts anti-révolutionnaires – c’est à dire rarement[12].

[…]

Peu à peu, l’armée républicaine et les forces armées de l’arrière tombèrent sous les fers de la réaction gouvernante. Leur organisation acquit toutes les caractéristiques de l’armée bourgeoise, sans pouvoir lui donner la solide base de classe de ce type d’armée. L’armée espagnole proprement dite, je le répète, combattait avec Franco ; dans leurs efforts pour l’imiter, ses concurrents du Front populaire ne pouvaient que favoriser l’arrivisme, privilégier les imbéciles et les individus falots à la personnalité fabriquée, et favoriser l’arbitraire. Lorsqu’ils désignaient des officiers et des commissaires, ils écartaient systématiquement ceux qui étaient fidèles au prolétariat et à la révolution ; même les capacités techniques constituaient un élément secondaire, subordonnée à l’acceptation totale de la politique réactionnaire du Front populaire et, à l’intérieur de celui-ci, du stalinisme[13]. Dans ces conditions, on promut systématiquement les individus sans scrupules, les arrivistes sans idées, recrutés soit dans l’ancienne armée, soit dans les milices : ces gens-là étaient prêts à passer chez Franco et même à le servir, si on leur garantissait la vie sauve et un poste. Sur tous les fronts, et particulièrement dans les situations graves, des chefs et des officiers sélectionnés par le gouvernement désertèrent, seuls ou avec leurs soldats, quand cela leur était possible. Je ne peux m’étendre ici sur cette question. Mais l’histoire de notre guerre civile exigerait que l’on rédige une étude sur les tendances politiques des déserteurs, espions ou agents de l’ennemi qui jouirent de la confiance gouvernementale. Cette histoire sera certainement écrite un jour, pour que toute l’ignominie dont ils se rendirent coupables retombe sur ceux qui défendaient des mots d’ordre comme « Moins de comités et plus de pain ». On découvrira alors qu’il y avait un plus grand pourcentage de déserteurs et d’agents de l’ennemi dans les tendances pro-capitalistes que chez les autres ; on s’apercevra que, parmi eux, le pourcentage de staliniens fut certainement le plus élevé, car, pour obtenir un poste au PCE, il suffisait de déclamer un petit couplet anti-trotskiste et de se courber devant les ordres transmis par le Kremlin.

En échange de cette soi-disant nouvelle armée nationale, les factions gouvernantes détruisirent progressivement la confiance et l’énergie des combattants. Ce processus se déroulait parallèlement à l’évolution de l’arrière. Du premier épisode important de notre guerre (la défense de Madrid) aux deux derniers épisodes (la chute de Barcelone et celle de Madrid), la conduite du gouvernement et de ses dirigeants militaires de confiance contrasta honteusement avec la conduite des combattants et des ouvriers. Le stalinisme essaya de s’adjuger le rôle principal dans la défense de Madrid. Mais rien n’était plus loin de la vérité, car ce fut le PCE qui déploya le plus d’effort pour discréditer les milices.

[…]

Toutes les consignes locales lancées dans les manifestations et acclamées par la presse stalinienne, socialiste et bourgeoise, puisaient dans la même idée contre-révolutionnaire inventée à Moscou pour dissimuler les activités de ses mercenaires espagnols : « Notre guerre n’est pas une guerre civile, révolutionnaire, mais une guerre d’indépendance nationale ». Puisque la dynamique profonde de la guerre civile et de la révolution contrariait les dessins du Kremlin et de l’impérialisme mondial – car elle venait d’un besoin historique, du plus profond des entrailles de la société -, les staliniens et le gouvernement devaient détruire l’une et l’autre pour se frayer un chemin. Leurs méthodes ne pouvaient pas être nobles et loyales, mais ignobles et déloyales. Commandement unique, armée populaire, discipline, désarmement de l’arrière, « moins de comités et plus de pain », « toutes les armes au front », « tout le pouvoir au gouvernement », chacune de ces consignes exprimait une intention perfide contre les masses, la révolution et la guerre civile. Nous traiterons les problèmes militaires dans un chapitre spécial[14]. Mais nous le soulignons dès maintenant pour exposer toutes les intentions du gouvernement : celui-ci exploitait un besoin élémentaire de la lutte militaire dans un objectif réactionnaire. Franco avait lui aussi besoin de la discipline, d’un commandement unique et d’une armée régulière, structures naissantes des relations de classe capitaliste qui existaient dans la zone qu’il contrôlait, c’est à dire, imposées d’en haut à la majorité de la population. Dans la zone « républicaine », ces mêmes structures auraient dû naître des relations de classe socialistes créées par le triomphe des masses le 19 juillet 1936, c’est à dire en sympathisant et en consolidant, de bas en haut, ce qu’elles avaient entrepris pour la révolution. Le gouvernement, ses conseillers staliniens et ses porte-paroles socialistes prétendaient, au contraire, établir une discipline, un commandement unique et une armée régulière sur des bases capitalistes. Ils n’étaient pas guidés par les intérêts de la guerre civile, dont ils niaient l’existence, mais par ceux d’une guerre d’indépendance nationale. Néanmoins, ces dispositions militaires, dissimulées avec ruse par les intérêts de la guerre, tournaient directement au détriment de la guerre civile.

Le phénomène que nous venons de décrire sur le plan militaire se traduisait de façon beaucoup plus évidente dans les slogans politiques, qui exigent une plus grande clarté. En effet, que signifiaient des mots d’ordre comme « désarmement de l’arrière » et « toutes les armes au front » ? Ni plus ni moins que : « Nous voulons prendre ces fusils au prolétariat, laisser sans défense les révolutionnaires qui s’armèrent le 19 juillet 1936. En un tour de main, nous liquiderons la révolution ; nous satisferons les puissances impérialistes et le Kremlin ; nous ferons cesser la guerre civile et nous nous préparerons à gagner la guerre d’indépendance nationale pour obliger la bande franquiste à signer un pacte avec nous ». Désarmer l’arrière ne pouvait signifier autre chose que désarmer le prolétariat. Les intérêts de la guerre n’avaient aucun rôle dans une telle consigne politique. Au contraire, le gouvernement osait lancer sa consigne de désarmement à l’arrière, car il avait retiré des milliers d’armes au front, armes remises aux gardes civils et gardes d’assaut pour mettre en œuvre sa politique. Et le gouvernement n’était pas le seul à retirer des armes au front. Avec son consentement, le parti stalinien faisait de même. La presse anarchiste réussit à dévoiler, de façon très documentée, comment les staliniens catalans du PSUC volèrent quatorze tanks, précisément au moment où ils couvraient les murs de Barcelone d’affiches qui demandaient l’envoi de toutes les armes au front, et dénonçaient comme « franquistes » les ouvriers et les révolutionnaires qui refusaient de remettre les armes qu’ils possédaient. Heureusement, ce vol pu être découvert. Mais beaucoup d’autres, réalisés dans l’ombre du gouvernement ou avec sa complicité directe, sont restés ignorés. En tout cas, on peut avoir la certitude qu’alors, comme dans n’importe quel autre moment, ceux qui s’opposaient à l’armement du prolétariat préféraient équiper les forces antirévolutionnaires que le front[15]. À leurs yeux, la victoire signifiait, avant tout, la victoire contre la révolution.


Affiche du PSUC : « LES PROVOCATEURS[16] DISENT NON À LA FORMATION… DE L’ARMÉE POPULAIRE. »

« Toutes les armes au front ! » criaient les staliniens et la majorité des socialistes, soutenus par le chœur de la bourgeoisie et des spéculateurs. En même temps, des quantités d’armes chaque fois plus grandes – et les meilleures – étaient confiées au corps de répression capitalistes. Les ouvriers qui avaient conservé un pistolet arraché aux fascistes pendant les journées de juillet 1936, les Patrouilles de vigilance qui continuaient à exercer leurs fonctions à Barcelone, étaient dépeints comme des hors-la-loi. Pendant ce temps-là, dans les armureries des gardes civils, des gardes d’assaut et des carabiniers, dans les locaux du parti stalinien, s’accumulaient des armes de guerre de première importance, prêtes à servir contre le prolétariat. À la veille des événements de mai 1937, il aurait été intéressant de savoir combien d’armes possédaient les Patrouilles de vigilance, les Milices de l’arrière et les ouvriers de façon individuelle, d’un côté, et, de l’autre, les corps de répression bourgeois et les organisations ennemies de la révolution (les staliniens, la droite socialiste et les républicains). Une telle comparaison aurait certainement montré que la campagne conduite au cri de « Toutes les armes au front ! » réussit à soustraire au front des dizaines – sinon des centaines – de milliers de fusils, des centaines de tanks, des milliers de grenades à main et des dizaines d’unités d’artillerie. Pour contenir une révolution accomplie par l’immense majorité de la population, le gouvernement avait besoin d’une énorme quantité d’armes. Par contre, pour maintenir et développer les acquisitions révolutionnaires, quelques armes laissées à l’arrière après le triomphe sur les militaires suffisaient. La campagne « Toutes les armes au front ! » est l’un des chapitres les plus abjects de la guerre civile, où les calculs et la mauvaise foi des staliniens en premier lieu, des réformistes en second lieu, font apparaître leur nouvelle dimension réactionnaire.

Grandizo Munis, Leçons d’une défaite, promesse de victoire


MILICES ANTIFASCISTES
COLONNE DURRUTI
Quartier général

AU CONSEIL DE LA GENERALITE DE CATALOGNE

Au sujet de la publication du décret de militarisation des milices, le Comité de guerre de la COLONNE DURRUTI, exprimant les sentiments de la totalité des miliciens qui s’y sont enrôlés, déclare ce qui suit :

La provocation militaro-fasciste du 19 juillet a donné lieu à un mouvement authentiquement et indiscutablement populaire qui a condamné définitivement, entre autres, l’organisation hiérarchique militaire et le Code de justice auquel se réfère l’art.2 du Décret en question.

Cette colonne, formée spontanément dans l’enthousiasme du mouvement dans les rues de Barcelone et qui a été rejointe par la suite par tous ceux qui se sont sentis très proches de notre idéal, tient son unité des circonstances et de ses objectifs, et ses membres sont disciplinés parce qu’ils veulent précisément atteindre leur but, vaincre le fascisme. Si la discipline existe pour obtenir une meilleure efficacité des individus, cette colonne peut faire montre de son efficacité collective : le travail réalisé sur le front par nos miliciens et l’avancée constante de nos positions sont notre meilleure défense en faveur de l’autodiscipline.

Les miliciens de cette colonne ont entière confiance en eux-mêmes et en ceux qui la dirigent selon la volonté de ceux qui les ont choisis pour ce faire. Ils pensent donc, et nous sommes totalement d’accord avec eux, que le décret de militarisation ne peut aucunement améliorer nos perspectives de lutte, et peut créer, au contraire, une méfiance, des réserves et un rejet qui aboutiraient et provoqueraient une véritable désorganisation.

La raison alléguée, que l’ennemi lutte « en recevant une grande quantité de matériel », ne sera pas résolue, c’est évident, par la militarisation des milices.

Compte tenu de ce qu’il vient d’exposer, et se faisant l’écho de la clameur des protestations contre le décret au sein de la colonne, le Comité se voit obligé de le refuser.

En l’informant de cette détermination formelle et précise et en estimant que la lutte qui est menée ne doit pas être paralysée pour autant, nous demandons au Conseil pleine liberté d’organisation et nous le prions de répondre de façon précise, dans les plus brefs délais, afin de mettre un terme à l’inquiétude régnante.

Front de Osera, le 1er novembre 1936
Pour le COMITE DE GUERRE
Buenaventura Durruti


[1] Pío Moa, dans son travail d’archive Les mythes de la guerre d’Espagne, nous montre qu’en réalité les forces républicaines étaient supérieures en nombre et matériel, car les soviétiques avaient commencé à fournir plus massivement des moyens à cette époque que les allemands et les italiens.

[2] Nous incitons nos lecteurs à se référer à la précieuse analyse de Bilan à ce propos : http://guerredeclasse.fr/2022/05/18/plomb-mitraille-prison-ainsi-repond-le-front-populaire-aux-ouvriers-de-barcelone-osant-resister-a-l-attaque-capitaliste/

[3] Voir notre article à ce propos : http://guerredeclasse.fr/2022/07/19/linsurrection-victorieuse-de-juillet-1936/

[4] Nous rappelons au lecteur la nécessité d’aller au-delà de la vision fétichisée de Munis d’un parti de classe censé orienter le mouvement révolutionnaire.

[5] Note de Munis : « Les « excès » de la répression doivent être mis sur le compte des organisations qui empêchèrent que les tribunaux populaires deviennent les seuls organismes judiciaires. Pour exiger de la discipline des masses sur ce plan, il faut organiser une véritable justice révolutionnaire. En restaurant les lois et les tribunaux capitalistes, on poussait les masses à exercer la justice elles-mêmes. »

[6] Contre sens de Munis sur la démocratie : le fait d’élire son officier de milice ne signifie pas un fonctionnement démocratique, qui est lui le résultat d’un long processus historique qui part de la décomposition de la communauté primitive de l’être générique, pour en arriver au diktat démocratique du spectacle de la marchandise dans son pourrissement terminal.

[7] Le Ministère de la Guerre fut lui-même noyauté progressivement par Moscou dès l’année 1936.

[8] Voir la déclaration de la colonne Durruti du 1er novembre en annexe. Celui-ci ayant été grièvement blessé le 19 pendant les combats de Madrid et mourut le jour suivant, très probablement assassiné d’une balle « perdue » … stalinienne.

[9] Munis fait référence ici bien évidemment aux stalinistes qui, après que le gouvernement Caballero eut accompli son office pour contenir la révolution jusqu’aux événement de mai 1937, se servirent de prétexte pour le renverser et mettre à la place Negrín, l’homme de Moscou.

[10] Organisme créé le 6 novembre 1936 par le gouvernement Caballero, destiné officiellement à la défense de la capitale contre l’offensive franquiste. La Junte de Défense de Madrid rassemblait toutes fractions de la gauche du Capital (PSOE, P « C » E, CNT-FAI, Gauche républicaine) et elle avait à sa tête le général Miaja (voir note suivante).

[11] On pensera notamment au personnage du général Miaja glorifié pour la défense de Madrid par le P « C »E qui avait besoin de hisser un héros sur le pavois pour sa propagande à l’intérieur du pays et à l’international. Celui-ci n’eut en réalité aucun impact opérationnel mais les soviétiques mettaient en avant ce personnage malléable, orgueilleux et suffisant pour mieux manœuvrer à l’arrière…

[12] La chute du Nord est particulièrement révélatrice de cette politique du Front Populaire : il sabota le front d’Aragon qui aurait permis la jonction avec le Pays Basque car celui-ci contenait les éléments les plus révolutionnaires qui échappaient à son contrôle. Il força donc ce front à l’immobilité et le rationna en armes et nourriture (voir à ce propos le témoignage d’Orwell présent sur ce front durant l’hiver 1936-1937), avec l’objectif de le discréditer tout en lançant ailleurs des offensives de prestige médiatique avec ses unités contre-révolutionnaires. Au-delà de ces torpillages, la critique communiste sait quoi qu’il en soit que les fronts militaires sont la mort du front de classe.

[13] Note de Munis : « Le parti stalinien, qui souhaitait jouer un rôle important dans la « réconciliation nationale », chercha à s’attirer les bonnes grâces du plus grand nombre possible d’officiers. À cette fin, il usa de deux moyens : la répression policière et la corruption par des salaires élevés. »

[14] Dans ce texte que nous publions figurent des extraits de ce chapitre à propos de la militarisation, où Munis nous parle des nombreuses opérations militaires sabotées par les stalinistes notamment, tout cela dans le but de répondre à leurs objectifs de domination politique.

[15] On peut se référer à l’ouvrage d’Orwell notamment, qui témoigne des semaines passées sur le front d’Aragon avec des moyens dérisoires en armes et équipements. Et pendant que les miliciens incorporés à l’armée régulière étaient « occupés » sur le front, la contre-révolution prenait le dessus à l’arrière…

[16] Les éléments les plus radicaux du prolétariat espagnol de 1936-37 seront constamment accusés d’être des « provocateurs » …